Si la victoire du non au référendum italien est un jugement sans appel pour Matteo Renzi et les politiques européennes, pour Dario Citati, elle représente la possibilité pour les mouvements souverainistes de s'imposer dans la vie politique du pays.
RT France : Le «non» victorieux était-il un refus catégorique de cette réforme constitutionnelle ou un vote de défiance envers le gouvernement de Matteo Renzi?
Dario Citati (D. C.) : Il s'agit sans conteste d'une défiance contre le gouvernement mais aussi contre l'Union européenne. Matteo Renzi a commis une incroyable erreur en commençant par mener et présenter la campagne du «oui» comme celle d'une question simplement institutionnelle, qui ne regardait que l'organisation de l'état italien et l'amélioration de gouvernance; alors que de l'autre côté, il a personnalisé ce référendum en déclarant qu'il démissionnerait en cas de victoire du «non». Il a transformé tout seul ce référendum institutionnel en un texte politique.
Or, la question du référendum était très technique et difficile à comprendre pour une partie de la population. La victoire du «non» est forcément une décision contre Matteo Renzi et, en quelque sorte, également contre les réformes du gouvernement qui étaient perçues comme la confirmation d'un certain système politique poussé par l'intégration européenne. Derrière ce référendum, il y a aussi une critique des politiques qui ont dominé ces dernières années - de l'économie aux migrants jusqu'aux questions idéologiques et de valeurs comme la famille. Toutes ces décisions et ce système idéologique auraient été confirmés si le «oui» l'avait emporté. La victoire du «non» est définitivement une victoire du front anti-Renzi.
Lorsque les populations s'expriment d'une manière contraire à ce qu'attend un certain establishment européen, il y a délégitimation de ce choix
RT France : Un chef de gouvernement contesté, une frustration des citoyens contre les politiques de Bruxelles, la situation rappelle celle du Brexit. Certains observateurs craignent d'ailleurs que ce référendum soit la première pierre vers une sortie de l'Italie de l'UE. Peut-on comparer ces deux scrutins?
D. C. : D'une façon indirecte, oui, la comparaison est justifiée. Le référendum anglais était centré sur la question de la sortie de l'UE, ce n'est pas le cas de l'Italie, mais il est un signe important de la méfiance des Italiens envers ces institutions perçues comme lointaines et qui imposent des politiques qui ne répondent en aucun cas à un contrôle démocratique. C'est un vrai paradoxe que ce refus de démocratie dans toute l'Union européenne. Et lorsque les populations s'expriment d'une manière contraire à ce qu'attend un certain establishment européen, il y a délégitimation de ce choix instantanément. Le processus d'une sortie potentielle de l'Italie de l'UE serait certes très longue à mettre en place mais cette victoire du non confirme une tendance à travers toute l'Europe de méfiance envers l'UE et d'un retour du souverainisme.
Peut-être que sur le long-terme nous sommes au début d'un changement profond, mais à court-terme je ne crois pas à une déstabilisation du système
RT France : Matteo Renzi démissionne, quelle va être désormais la suite pour le pays? Va-t-il plonger dans le chaos institutionnel promis par le gouvernement et par les institutions européennes?
D. C. : A mes yeux, le scénario le plus probable sera un gouvernement technique de transition et une future élection pour 2018. Ce qui va être intéressant maintenant sera d'observer comment les différents champs et partis politiques, qui se sont unifiés pour faire front à Matteo Renzi, vont s'organiser et préparer ces futures élections. Je ne crois pas du tout à la théorie du chaos institutionnel. On est déjà passé par là après la démission de Silvio Berlusconi, après le gouvernement d'Enrico Letta... Cette crainte a toujours existé sans vraiment se confirmer. Après les premiers moments de doute, la stabilité institutionnelle revient toujours. Peut-être que sur le long-terme nous sommes au début d'un changement profond, mais à court-terme je ne crois pas à une déstabilisation du système. Néanmoins, maintenant que les forces anti-construction européenne se sont fait entendre, il faudra attendre de voir leur consolidation dont découlera surement le futur de l'Italie et de l'Europe dans les prochaines années.
Le M5S est né dans le contexte italien mais n'a aucune vision précise de la stratégie de politique étrangère italienne
RT France : Les mouvements politiques souverainistes et décrits comme eurosceptiques comme le M5 Etoiles de Beppe Grillo ou la Ligue du Nord de Salvini ont-ils une chance de gagner la future élection et de gouverner?
D. C. : Evidemment ces partis ont plus que jamais une chance. Il leur reste néanmoins des défis à relever. Il va leur falloir passer par une étape essentielle de construction politique et de recherche de cohérence. Par exemple, contrairement à ce qui peut être dit à l'étranger, le M5S n'est pas eurosceptique en soi. C'est un mouvement anti-corruption et populiste au sens propre du terme. C'est un mouvement qui est né dans le contexte italien mais qui n'a aucune vision précise de la stratégie de politique étrangère italienne et n'a que des idées très contradictoires sur les migrants, sur la Russie ou sur les Etats-Unis. Il lui faudra clarifier tout ça.
De son côté, la Ligue du Nord a des positions très claires, qui pourraient apparaître semblables à celles du Front national français ou au FPÖ de Norbert Höfer, mais leur problème sera de réussir à unifier la droite et ainsi se présenter comme le pôle conservateur et une alternative viable. C'est sur la réussite de leurs deux constructions en tant que mouvement politique cohérent que se jouera la future élection.
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