Donald Trump, la fin des illusions ?

Donald Trump, la fin des illusions ?© Carlos Barria Source: Reuters
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L’élection présidentielle américaine a été surprenante car elle a été une véritable preuve de démocratie, mais elle pourrait aussi nourrir bien des illusions, selon le chroniqueur Matthieu Buge, qui remet en perspective l’élection de Donald Trump.

Grands dieux, non! Après le Brexit, encore un pavé dans la mare néolibérale ! C’est à se demander comment va se finir l’année 2016. Après tout, jamais deux sans trois... Il faudrait demander à Bernard-Henri Lévy. Visionnaire, il avait prédit l’échec du Brexit et la défaite de Donald Trump.

Il est un peu tôt pour se réjouir. Personne ne sait ce dont Trump est capable et incapable. Peut-être sera-t-il une catastrophe pour les Etats-Unis et pour la planète. Et peut-être pas. Seul l’avenir le dira. Mais on peut néanmoins applaudir à cette élection.  

Donald a été, pendant ces longs mois de campagne, seul contre tous

 Séisme à Wall Street

On peut d’abord applaudir le Donald. Car il a été, pendant ces longs mois de campagne, seul contre tous. Seul contre l’establishment, seul contre les puissances financières (il a beau être milliardaire, il ne pèse pas grand chose face à aux multiples investisseurs internationaux qui ont parié sur la pouliche Clinton), seul contre les médias ligués contre lui et seul même au sein de son propre parti. Ceux qui ont insisté sur son manque d’expérience politique en sont pour leurs frais. Aller aussi loin, jusqu’au bout, montre bien que Trump n’a pas froid aux yeux et qu’il est un politicien de grand talent. On a dit «politicien», pas «politique» : il serait difficile d’affirmer qu’il fait preuve, avec sa rhétorique balourde et ses idées simples, d’une grande profondeur conceptuelle. Mais, et malgré le discours nettement plus sophistiqué des démocrates, Hillary Clinton et ses petits amis se retrouvent confrontés au vide absolu de leur politique. Il suffit de gratter un peu la couche de vernis néolibéral pour voir qu’elle ne recouvre rien.

Le peuple américain a su résister au matraquage médiatique selon lequel Trump était «fasciste», «mysogine», «machiste», «vulgaire»

Le peuple américain mérite, aussi, des applaudissements. Et ce, bien sûr, malgré les hurlements de l’élite politico-médiatique occidentale qui n’est pas loin d’accuser, comme dans le cas du Brexit, les électeurs de Trump (donc la majorité des Américains) d’être un tas de veules alcooliques à ornières et au racisme en acier «trumpé». Car la propagande néolibérale, en grande partie faite de bons sentiments impossibles à combattre (sous peine d’être affublé d’une mèche et d’une petite moustache carrée) et soutenue par des milliards de dollars, est effroyablement efficace. Le peuple américain a su résister au matraquage médiatique selon lequel Trump était «fasciste», «mysogine», «machiste», «vulgaire»... Des termes qui n’ont rien à voir avec la politique – même le difficilement supportable «fasciste», tellement galvaudé qu’il a perdu tout sens – mais extrêmement puissants parce que simplistes.

Il fallait voir, à chaque attaque sur le scandale des emails d’Hillary Clinton, le camp néolibéral faire diversion en agitant la menace russe. Il fallait les entendre, ces rangées très organisées, hurler au racisme quand il parlait immigration, délocalisations et chômage – et ce alors que les minorités de couleurs sont les premières touchées par la pauvreté. Etre en faveur de Trump, c’était, à l’aune de la quasi intégralité des médias occidentaux, être un sale égoïste, xénophobe, sexiste et rétrograde sans cœur, en plus d’être un anti-exceptionnalisme américain. Il faut pouvoir affronter le regard des autres dans la rue, il faut pouvoir se regarder dans la glace, quand on se retrouve qualifié ainsi au réveil en écoutant les programmes matinaux.    

Le «soft power» néolibéral n’a plus grande force de frappe face à la violence de la guerre de classes

Mais on pourrait aussi tout à fait minimiser les mérites de Trump et du peuple américain. La victoire de Trump est une suprise finalement tout ce qu’il y a de plus logique. C’est que le système est à bout de souffle et n’a pas finalisé le cadenassage des principes démocratiques à temps. Comme la mise en place des systèmes électroniques de vote et l’élection de 2000 l’ont suffisamment prouvé, il est fort aisé, de nos jours, de truquer une élection. Mais avec la vague Trump, ça n’aurait, de toute évidence, pas été suffisant. Il aurait fallu frauder de manière à faire passer le Ghana pour un champion de l’organisation d’élections. Lorsque l’on a encore des institutions démocratiques, il faut se résoudre à voir le camp des pauvres, qui n’a cessé de se développer pendant les vingt dernières années, se retourner contre le club des riches, qui n’a cessé de s’engraisser pendant les vingt dernières années. Il n’est pas très étonnant que ce soient des Etats désindustrialisés de la rust belt qui aient fait «swinger» cette élection en défaveur de l’oligarchie financière. Le «soft power» néolibéral n’a plus grande force de frappe face à la violence de la guerre de classes.

Le plus étonnant, dans cette longue nuit du 8 novembre, n’est donc pas tant le vote des électeurs que le fait que le système ait autorisé – ou n’ait pas réussi à empêcher – la victoire de Trump.

What’s next ?

Ne nous réjouissons pas pour autant.

Car d’une part, personne ne sait véritablement de quel bois politique est fait Donald Trump. Il pourrait retourner sa veste. Il n’est, finalement, «qu’un» homme d’affaires – est-ce pour cela, d’ailleurs, qu’il a séduit tant d’Américains ? Il est évident qu’il n’a pas dû toujours être un honnête homme et qu’il ne doit pas être le dernier à rechigner à avoir recours à une entourloupe de derrière les fagots pour arriver à ses fins. Ses interlocuteurs, américains comme étrangers, ne savent pas sur quel pied danser. Il n’est pas sûr que son programme intérieur soit réalisable – surtout en quatre petites années – et, la reconstruction nationale mise à part, il ne promet aucune utopie sociale. Sa politique étrangère, quant à elle, réserve sans doute des surprises d’envergure. Que fera-t-il lorsqu’il sera réellement confronté au gigantesque déficit américain, à la complexité des multiples guerres dans lesquelles les Etats-Unis sont impliqués ? Sera-t-il en mesure de faire plier à sa volonté les innombrables acteurs qui agissent dans ces sombres coulisses ? Personne n’en sait rien.

Le milliardaire n’est devenu l’homme le plus puissant du monde que sur le papier

Mais on peut, sans grand risque, avancer qu’il n’y arrivera pas. Les naïfs fanatiques transis du Donald comme les illuminés traqueurs de fascistes devraient s’oxygéner un peu. Le milliardaire n’est devenu l’homme le plus puissant du monde que sur le papier. Croire qu’il va demain matin forcer le président mexicain à prendre sa truelle et son sac de ciment pour construire le fameux mur ou qu’il passera la semaine prochaine l’Ohio et l’Indiana à l’antirouille, c’est un peu comme s’imaginer Vladimir Poutine pourfendant demain tout seul et à mains nues l’hydre du mondialisme.

Il n’y a pas de pouvoir personnel absolu. Sans même spéculer sur le «deep state», on sait bien que tout n’est que lutte de pouvoir interne, de surcroît dans un système aussi complexe que l’administration américaine. Que le président, le département d’Etat, le Pentagone et la CIA, pour ne mentionner qu’eux, n’ont pas toujours les mêmes objectifs. Un des seuls mérites de Barack Obama est d’avoir réussi à, quelque peu, freiner le camp Clinton sur la Syrie. Et on sait à quel point même la CIA et le Pentagone, s’accordant pourtant à dire qu’Obama n’allait pas dans la bonne direction sur ce dossier, n’ont pas les mêmes méthodes (les milices armées par la CIA se battant face à celles armées par le Pentagone...). Comment Trump pourrait-il opérer en un tournemain un si grand retournement, que ce soit sur le Moyen-Orient ou sur les grands traités commerciaux en chantier depuis des années ? Comment pourrait-il, face aux grands de Wall Street qui voulaient sa peau, faire revenir demain les millions d’emplois qui ont quitté les Etats-Unis pour des pays à main d’œuvre bon marché ? Comment le Pentagone et Wall Street vont-ils accueillir une administration portant l’étiquette «outsider» ?

Revenons au très insider philosophe en carton-pâte Bernard-Henri Lévy, qui face à la victoire de Trump, a estimé dès le 9 novembre au matin : «Il faut arrêter avec le déni, il faut arrêter de faire comme si la catastrophe était impossible [...] c’est un avertissement pour ceux qui pensent que le pire n’arrive pas.» Avoir le culot de ne jamais concéder s’être trompé et persister à débiter des âneries le plus sérieusement du monde, c’est le privilège de l’élite. Elle peut se le permettre. Car elle peut tout faire échouer, tout compromettre. Jusqu’à présent, on ne sait si le Brexit aura vraiment lieu. On peut même en douter. Après tout, les élites de l’axe Washington-Bruxelles ont tellement excellé dans le bafouage des principes démocratiques et le mépris absolu du peuple, qu’ils ne sont pas à une escroquerie près. Cette élite doit désormais faire face à Trump. Elle n’aura pas beaucoup d’options : transiger, le faire plier, ou l’amener à faire une promenade en limousine à Dallas, Texas.

Si Trump n’arrive pas à mettre en pratique son programme, si on l’empêche de retaper les infrastructures civiles, réindustrialiser son pays et limiter l’immigration et l’interventionisme américain, combien de temps l’illusion démocratique tiendra-t-elle encore ?

Les gens ont voté Trump car ils veulent mieux vivre et non plus rêver

L’élection de Trump est un évènement majeur car il implique un choc terrible à venir : l’illusion créée par les élites néolibérales peut se prendre la réalité de plein fouet. Les gens ont voté Trump car ils veulent mieux vivre et non plus rêver. Ca n’est pas un mystère si tout Hollywood était derrière Clinton. Si un faux philosophe prenait son parti. Si le discours démocrate est fait de belles impressions et d’émotions face à la brutalité de celui de Trump. Si même les images des QG de campagnes de Clinton étaient plus sexy que celles de Trump. Les électeurs de Trump ont montré qu’ils en avaient assez du spectacle, qu’un retour à la réalité était nécessaire. On comprend qu’une partie de l’Amérique manifeste contre Trump au lendemain de sa victoire. Car elle n’est pas bien belle, la réalité. The show should go on.  

Rassurons-nous ! Avec son incapacité à être totalement politiquement correct, Trump devrait en offrir, du spectacle. Même s’il ne sera pas du goût de tous...

Lire aussi : Trump président

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