Avec les accords de libre-échange, les autorités essayent de satisfaire à la fois les partenaires commerciaux et de calmer l’opinion publique, estime l'économiste belge Paul Jorion.
RT France : Selon une annonce, un accord aurait été trouvé sur le CETA. La Wallonie a-t-elle pu faire entendre ses exigences ou la pression des négociateurs du camp adverse a été la plus forte ?
Paul Jorion (P. J.) : J’espère qu’on a respecté le point de vue de chaque partie. En Belgique c’est un régime régional, le système européen permet à ces trois régions d’avoir le droit de dire ce qu’elles pensent, mais on ne sait rien sur la manière dont la discussion a été menée, je suppose qu’on a essayé de trouver une position commune. Mais elle a dû se rapprocher de celle de la Wallonie, les exigences de la Wallonie n’ont pas simplement été éliminées.
Les projecteurs sont sur la Wallonie, mais c’est surtout l’Allemagne qui a émis des objections
En fait, l’opposition la plus sérieuse ne vient pas de Wallonie, mais d’Allemagne, du Conseil constitutionnel qui a mis des conditions extrêmement sérieuses à des accords de ce type-là. Il y a une ratification au niveau national. Les projecteurs sont sur la Wallonie, mais c’est surtout l’Allemagne qui a émis des objections.
RT France : Pensez-vous que le CETA soit bénéfique à l’Europe ?
P. J. : Des calculs ont été faits par différents organismes très sérieux qui montrent qu’un accord de ce type-là ne sera bénéfique pour personne. Il est un peu trop tard pour ces accords, l’opposition au niveau de l’opinion publique évoque les éventuelles pertes d’emploi ou des conditions difficiles pour des secteurs particuliers, surtout sur les tribunaux arbitraux. Cette idée de privatisation de la justice est particulièrement révoltante pour la population.
Jusqu’à très récemment la population ignorait même qu’il y avait des négociations de ce type-là avec le Canada
RT France : Il y a eu beaucoup de manifestations contre le CETA partout en Europe. Pensez-vous qu’il y en aura davantage à l’égard d’autres accords de libre-échange ?
P. J. : Le CETA est symbolique, parce que la population jusqu’à très récemment ignorait même qu’il y avait des négociations de ce type-là avec le Canada. L’opposition des opinions publiques porte surtout sur le TTIP, parce que le public était davantage au courant de cela. Quand il y a eu une discussion sur le CETA, vu la nécessité de la ratification, l’opinion publique s’est rendue compte qu’un accord avec le Canada allait d’une certaine manière ouvrir une porte dérobée aux discussions avec les Etats-Unis, dans la mesure où il y a au Canada énormément de filiales d’entreprises américaines. Dans un contexte où le travail disparaît, où tout ce qui est producteur est en cours de disparition, la population y est sensible. Il n’y a pas de discussion générale sur la disparition globale du travail, simplement un processus pratiquement millénaire ou centenaire de remplacement de l’homme et de la femme par la machine.
En ce moment, il y a une accélération du remplacement non seulement dans l’industrie par des robots, mais aussi dans les services, avec un remplacement par des logiciels. En quelques semaines, 4 000 emplois ont disparu dans le secteur de la banque en Belgique.
L'opposition de la Wallonie est importante d’un point de vue symbolique
RT France : Le gouvernement français s’est dit réticent pas rapport au TTIP, et s'est juste après tourné vers cet autre accord de libre-échange... Pourquoi ?
P. J. : On essaie de satisfaire à la fois les partenaires commerciaux, en disant «Oui, cela va le faire quand même», et de calmer un petit peu l’opinion publique avec des «Non, non, on ne va pas le faire». Bien entendu, on sait que les négociations continuent. C’est pourquoi cette opposition de la Wallonie est importante d’un point de vue symbolique. On essaie de personnaliser cette question, en parlant surtout de Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie, qui représente cette partie de la Belgique, mais ce n’est pas une opinion personnelle qu’il nous faut.
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