La vie politique française est dominée par une poignée de mastodontes qui sont tous plus au moins interchangeables dans un système où rien ne change, estime l'historien John Laughland.
L'annonce par Nicolas Sarkozy de sa candidature aux élections présidentielles confirme une règle désolante de la vie politique française : celle de la longévité exceptionnelle de ses hommes politiques dont une poignée peut dominer le système pendant une génération. C'est ce facteur, ainsi que le fait que ces mastodontes en question sont tous plus ou moins interchangeables, qui explique le terrible blocage qui asphyxie la France.
Un ami m'avait dit en 1993 : «Ce Sarkozy, nous l'aurons sur les bras pour 30 ans.»
Si Nicolas Sarkozy est élu l'an prochain, sa carrière politique aura duré trois décennies : ayant été nommé ministre du Budget en 1993, il serait président de la République jusqu'en 2022. Je me souviens d'un ami qui, en 1993, m'avait dit, «Ce Sarkozy, nous l'aurons sur les bras pour 30 ans.» Cet ami avait vu juste.
De même, si Alain Juppé est élu, sa carrière au sommet de l'Etat aura duré presque 40 ans. Il a été ministre du Budget (comme Sarkozy !) en 1986 et Premier ministre en 1995, donc voici 20 ans. Quand il avait encore une petite quarantaine d'années, il avait exprimé à la télévision son dégoût pour les vieux politiciens qui s'accrochent à leurs postes électifs : trente ans plus tard, ce même Juppé, aujourd'hui septuagénaire, est toujours là.
Ces deux hommes imitent leurs prédécesseurs : Jacques Chirac avait été Premier ministre en 1974 et il a finit son deuxième mandat présidentiel en 2007. Cela fait une carrière aux plus hautes sphères du pouvoir de 33 ans au moins, plus encore si on inclut ses mandats ministériels au début des années 1970.
Ces hommes politiques partagent aussi une autre caractéristique : ils reviennent sur leur promesse de quitter la vie politique
De même, François Mitterrand, qui fut chef de l'opposition au général de Gaulle aux élections présidentielles en 1965, n'a terminé son deuxième mandant présidentiel qu'en 1995, 30 ans plus tard. Elu président de la République en 1981, donc 20 ans après s'être présenté candidat pour la première fois, il avait dit qu'un mandat de sept ans était déjà trop long mais que quatorze ans au pouvoir était excessif. Néanmoins, il restera président pendant deux mandats de sept ans chacun.
Ces hommes partagent aussi une autre caractéristique : ils reviennent sur leur promesse de quitter la vie politique. Nicolas Sarkozy avait été formel en 2012 : en cas de perte aux élections, il avait promis de ne plus faire de la politique. Même chose pour Juppé, qui en 2004 a promis de se retirer pour toujours au cas où il serait déclaré inéligible dans l'affaire des faux emplois de la ville de Paris. Décidément, les promesses de ces hommes n'engagent que ceux qui les croient.
Quel contraste avec le Royaume-Uni, où les élites politiques se renouvellent assez rapidement. Une fois désavoués par les électeurs, les anciens premiers ministres britanniques ne reviennent que très rarement au pouvoir. Le dernier à le faire a été Harold Wilson en 1974. Certes, le résultat inattendu du référendum sur le Brexit a déclenché une lutte pour le pouvoir entre les principales personnalités du parti conservateur, un peu comme celle qui oppose actuellement les différents poids lourds à droite et à gauche en France. Mais cette lutte à Londres a duré très exactement deux semaines et demi, du 24 juin au 11 juillet, alors que depuis maintenant deux ans, toute la vie politique française est aspirée par la perspective des élections présidentielles en 2017 : Alain Juppé a annoncé qu'il était candidat à la présidentielle en août 2014 !
Une élection présidentielle en France ressemble aux JO dans la mesure où c'est une course entre professionnels dont le but est uniquement de divertir le public et de le faire adhérer au système
Si certains chanceliers allemands ont pu rester longtemps au pouvoir - Helmut Kohl pendant 16 ans, Angela Merkel depuis 2005 - aucun chancelier de la République fédérale n'est revenu au pouvoir après avoir perdu une élection. En Italie, Giulio Andreotti fut sept fois Premier ministre d'Italie entre 1972 et 1992, et il était au pouvoir dans pratiquement tous les gouvernements comme ministre à partir de 1955. Mais tout comme en Grèce, où la vie politique se réduisait à une lutte entre différents membres des grandes dynasties politiques, cette façon de faire la politique semble avoir pris fin, plus ou moins, avec le départ d'Andreotti et sans doute définitivement avec le départ de Silvio Berlusconi en 2011. Mais la France continue, hélas, toujours dans la même voie.
Nicolas Sarkozy avait choisi le jour de la fin des Jeux olympiques pour annoncer sa candidature dont plus personne ne doutait. La coïncidence n'est qu'apparente. Une élection présidentielle en France ressemble aux JO dans la mesure où c'est une course entre professionnels dont le but est uniquement de divertir le public et de le faire adhérer au système. Tout comme en sport, où chaque match produit un résultat mais surtout, avant la fin, de la spéculation sur l'issue exacte du concours, une élection présidentielle en France fournit une occasion pour les politiciens ambitieux de marquer leur territoire et de s'entrainer pour des compétitions futures. Il ne s'agit aucunement de se battre sur des vrais enjeux politiques car tous les candidats partagent, à peu près, les mêmes options politiques. Mais le fait de pouvoir mettre son bulletin de vote dans une urne donne à l'électeur un sentiment de participation factice qui le rend complice d'un système où fondamentalement, rien ne change, ni les choix politiques ni mêmes les guignols qui les expriment.
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