Il est possible que Joe Biden soit vraiment satisfait de la politique de Belgrade, qui pourrait céder sur le statut du Kosovo, selon Srdja Trifkovic, rédacteur en chef de la rubrique affaires étrangères de Chronicles Magazine.
Le 16 juillet 2016 le vice-président américain Joe Biden s’est rendu à Belgrade, la capitale serbe. Il a appelé à la «normalisation» des relations entre la Serbie et le Kosovo – la province rebelle qui a déclaré son indépendance de la Serbie en 2008.
Le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic a accueilli Biden, disant qu'il estimait que le vice-président était «un ami de la Serbie» et également son ami personnel. Biden était un ardent défenseur de l'intervention américaine en Serbie dans les années 1990, y compris du bombardement de Belgrade par l'OTAN en 1999.
Lors d’un discours au Kosovo, Joe Biden a appelé à la «réconciliation» entre la Serbie et sa province, séparée d’elle par l'intervention américaine, arguant que cela était «essentiel pour faire avancer» l’intégration complète du pays dans l'Europe.
Les Serbes ordinaires n’ont aucun moyen de diffuser leur opinion, et le gouvernement accueille Biden comme un VIP du plus haut niveau
RT : Quel est votre ressenti face à la visite de Biden en Serbie, compte tenu de ses déclarations faites en 1998 et 1999 à propos de ce pays et de la guerre des Balkans ?
Srdja Trifkovic (S. T.) : Ce n'est pas la première visite de Biden en Serbie depuis le jour où il a fait ces déclarations – il s’est en effet rendu à Belgrade en mai 2009. Déjà, à cette époque, certaines personnes disaient qu'il était inapproprié pour lui de faire cette visite étant donné qu’il avait diabolisé les Serbes en tant que nation dans les années 1990. Toutefois, le président – Boris Tadic à l’époque – poursuivait une politique fortement pro-occidentale, et, bien sûr, la question n'a pas été soulevée.
Cette politique a été poursuivie par l’actuel Premier ministre, Aleksandar Vucic, qui est maintenant dans son deuxième mandat et qui insiste sur la voie européenne pour la Serbie, ce qui implique une soumission à la volonté de Bruxelles et de Washington. C’est la raison pour laquelle seuls des gens comme Vojislav Sheshelj et le Parti radical, se sont effectivement donné la peine de s’opposer à Biden. La plupart des Serbes ordinaires se souviennent de ce que Biden a dit, à la fois pendant les guerres en Bosnie et en Croatie, et plus tard au cours de l'intervention de l'OTAN au Kosovo. Mais les Serbes ordinaires n’ont aucun moyen de diffuser leur opinion, et le gouvernement accueille Biden comme un VIP du plus haut niveau.
Je pense que, quoi qu’il arrive, Biden ne parlait pas à Vucic comme à son égal
RT : Pourquoi le peuple et le gouvernement serbes ont-ils des attitudes différentes à l'égard de cette visite ?
S. T. : Tout d'abord, Vucic insiste sur le fait que la Serbie doit] regarder en avant et pas vers le passé, ce qui est exactement ce que les fonctionnaires et les diplomates américains ont toujours encouragé la Serbie à faire. En d'autres termes, il faut passer l'éponge, y compris sur les bombardements de l'OTAN. En même temps, je crois que, derrière les portes closes, Biden a également insisté sur la nécessité pour la Serbie d'affaiblir ses relations avec la Russie afin de poursuivre cette voie d'adhésion à l'Union européenne à une date indéterminée. Il a également insisté sur ce qui est connu comme l’euphémisme de la «normalisation» des relations entre Belgrade et Pristina, ce qui, de facto, signifie la reconnaissance [de son indépendance]. Il ne dira jamais ouvertement que les États-Unis insistent pour que Belgrade reconnaisse le Kosovo en tant qu'Etat indépendant. Mais telle est la substance de ses déclarations.
Washington est plus que capable d'appuyer sur certains boutons, qui font écho et ont des retombées, dans les Balkans comme à Bruxelles
Dernier point, mais pas le moindre : il ne faut pas oublier qu’il y a un mois seulement, le gouvernement du Premier ministre Vucic a accepté deux détenus de Guantanamo en Serbie comme un geste de bonne volonté envers Washington. Donc, je pense que, quoi qu’il arrive, Biden ne parlait pas à Vucic comme à son égal, mais lui disait ce que Washington attendait de Belgrade dans la période à venir. Dans ce contexte, il est significatif que le Premier ministre russe Medvedev se rende à Belgrade la première semaine de septembre. La Serbie sera donc soumise à deux visions très différentes de sa future politique étrangère et de l’harmonisation des Balkans occidentaux.
RT : Vous avez mentionné le fait que les fonctionnaires serbes accueillaient chaleureusement Biden parce qu'ils veulent accélérer le processus d’adhésion de leur pays à l'UE. Mais Biden, qu’a-t-il à voir avec l'UE ?
S. T. : En effet, Joe Biden a dit que les Etats-Unis avaient significativement contribué à l'ouverture des deux derniers chapitres des négociations de la Serbie avec l'UE – les chapitres, [travail qui] avait été temporairement interrompu en raison de l'insistance de la Croatie. Washington est plus que capable d'appuyer sur certains boutons, qui font écho et ont des retombées, dans les Balkans comme à Bruxelles.
Deuxièmement, Joe Biden a également dit que, lors de ses brefs entretiens avec Vucic, il avait fait référence à la standardisation des armes de la Serbie sur les normes de l'OTAN. Ce qui est une déclaration importante, si on garde à l'esprit que, en février dernier, la Serbie a signé un accord donnant une immunité au personnel extraterritorial de l'OTAN – ce qui est de fait une immunité diplomatique à l’intérieur de la Serbie. Cette évolution est plutôt inquiétante. Lorsque Biden loue la voie européenne de la Serbie, cela veut effectivement dire qu'il est satisfait de la politique de la Serbie : céder en ce qui concerne le problème le plus important de tous, le statut du Kosovo.
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