Scotland Yard annonce la création d’une unité pour enquêter sur les commentaires sur internet. L’apparition d’une «police de la pensée» est un pas dangereux menaçant la liberté d’expression, selon l'ex-agent des services britanniques Annie Machon.
RT : Scotland Yard est prêt à dépenser deux millions de livres pour la création d’une «police de la pensée», censée cibler les trolls et espionner les utilisateurs du Web. Cet argent pourrait-il être dépensé de façon plus raisonnable ?
Annie Machon (A. M.) : On peut bien sûr dépenser cet argent autrement. La Grande-Bretagne a une tradition très ancienne, noble ou ignoble, celle de la satire politique, de la liberté d’expression : les gens peuvent attaquer les hommes politiques, la classe politique et débattent des idées politiques, sociales, etc. Tout cela participe à une démocratie saine. Il y a déjà eu des préoccupations concernant la surveillance de masse effectuée par les agences de renseignement, ce qui a eu un effet paralysant sur le concept même de liberté d’expression, car les gens se demandent : «Devrais-je m’exprimer sur internet comme je l’entends ?» Toutefois, traquer les terroristes, ça n’est pas exactement l’affaire de la police, mais plutôt celle des services de renseignement. Surveiller la population à cause de la liberté d’expression, de leur satire politique, c’est un pas dangereux vers le totalitarisme. Quand les gens ne se sentent plus capables de s’exprimer librement, ils ne s’expriment pas dans le domaine politique et la démocratie meurt.
Au lieu d’organiser des surveillances massives, il faudrait prévenir les attaques terroristes
RT : Selon vous, que devrait-il y avoir au centre des efforts de la lutte anti-terroriste ?
A. M. : Il faudrait plutôt concentrer les efforts pour cibler les terroristes qui nuisent à la population dans la rues, en particulier ces terroristes qui font des attentats en solitaire un peu partout en Europe. Je répète déjà depuis des années qu’au lieu d’organiser des surveillances massives, il faudrait prévenir ces attaques. La police et les services de renseignement devraient plutôt organiser une surveillance ciblée en utilisant des techniques d’investigation – pas seulement la surveillance électronique, mais [aussi] le renseignement humain, la surveillance des portables. En agissant ainsi, on pourrait, avec un peu de chance, prévenir ces attentats. En surveillant les gens sur internet, on va perdre les informations précieuses qui arrivent au renseignement.
Cette initiative de faire la police sur internet pour les soi-disant «crimes de pensée» n’est pas nouvelle, nous l’avons déjà vu au Royaume-Uni
RT : Cette nouvelle initiative pourrait-elle provoquer un changement dans le comportement des internautes ? En quoi cela pourait-il nuire au travail des services de surveillance ?
A. M. : C’est possible, car les [internautes] se sentent surveillés sur Twitter, sur Skype, sur Facebook ou n’importe où. Du coup, ils s’empêchent de dire ce qu’ils veulent, contrôlent leur manière de communiquer les uns avec les autres. De nos jours, nous avons une sorte de conscience prolongée quand on communique sur internet, nos vies sont presque toujours en ligne. Alors, si on commence à sentir qu’on ne peut plus communiquer facilement, lire ou voir des choses en ligne, on perd cette liberté. C’est un danger pour la démocratie. Cette initiative de faire la police sur internet pour les soi-disant «crimes de pensée» n’est pas nouvelle, nous l’avons déjà vu au Royaume-Uni en 2011 à l’époque du mariage entre le prince William et Kate Middleton : il y a eu des arrestations préventives de 24 heures, des gens ont été détenus pour avoir écrit sur Facebook qu’ils voulaient faire une manifestation contre ce mariage, à cause de leur rejet du concept-même de monarchie, étant des républicains, etc. Un professeur d’université a été parmi les personnes arrêtées et a passé 24 heures en prison. Il y a eu d’autres militants qui ont été traités de la même manière. Et tout cela pour avoir dit qu’il voulaient faire quelque chose – pas pour l’avoir fait. C’est tout simplement un crime de pensée. Le fait qu’une unité spéciale de la Metropolitan Police, qui coûte très cher, se voit attribuer de telles fonctions, c’est un autre pas [vers le totalitarisme], et c’est vraiment préoccupant.
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