Mer de Chine : dans une région trop militarisée, un accident peut déclencher un conflit

Mer de Chine : dans une région trop militarisée, un accident peut déclencher un conflit© US Navy Source: Reuters
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La Chine et les Etats-Unis ont renforcé leurs présences militaires en mer de Chine, chacun pour assurer la prédominance de son influence. L'ancien Premier ministre australien Kevin Rudd analyse la situation.

La rivalité entre les Etats-Unis et la Chine s’intensifie alors que Washington essaye de contrecarrer l’influence de plus en plus forte de Pékin dans la région Asie-Pacifique. La mer de Chine méridionale est une des zones qui reste particulièrement disputée entre la Chine et plusieurs pays limitrophes. Quels sont donc les risques réels du renforcement de la militarisation de la région ? L’ancien Premier ministre australien et membre du club de Valdai, Kevin Rudd, répond aux questions de RT.

RT : Les tensions entre les différentes armées présentes dans la région augmentent. Pensez-vous que ces tensions pourraient soudainement être hors de contrôle et entraîner de réelles confrontations entre les Etats-Unis et la Chine ?

Kevin Rudd (K. R.) : Ce danger est toujours présent. Je dirais qu’il y a trop de matériel militaire qui survole la région ou navigue dans les eaux du Pacifique. Et il s’ensuit une question de probabilité : quand vous avez une quantité X d’équipement militaire naval et aérien de différents pays dans un espace confiné, un accident est tout à fait probable. Et s’il y a un accident, comme une collision, alors – et comme l’Histoire l’a montré – cela peut entraîner une crise qui peut à son tour entraîner un conflit. Donc la question à se poser est : comment fait-on pour réduire le niveau de tensions stratégiques ? Ce que vous voyez dans notre région, ce sont des zones où les Etats-Unis et la Chine, dans un avenir proche, ne vont pas être d’accord, que ce soit sur la mer de Chine orientale, sur la mer de Chine méridionale ou encore sur des éléments de la politique taiwanaise. C’est une réalité, cela fait longtemps que c’est le cas. Mais il y a d’autres domaines dans lesquels les Etats-Unis, la Chine et nos amis russes peuvent coopérer – et je soulignerais ici le défi que représentent la Corée du Nord et son programme d’armement nucléaire. Je considère que c’est un défi pour nous tous, et c’est sur une base comme celle-ci que la Chine, les Etats-Unis et la Russie peuvent développer une confiance mutuelle.

On ne peut pas créer un bloc commercial qui isole la Chine

RT : Aujourd’hui l’Australie est vue comme un partenaire du «pivot vers l’Asie» d’Obama, qui a pour but de contenir ou d’isoler la Chine. Pensez-vous que cette stratégie américaine est dans l’intérêt de l’Australie ?

K. R. : Quand on parle de ce que les Américains appellent le «rééquilibre» ou le «pivot», on doit se rappeler de ce qu’il s’est passé en termes mathématiques. Rappelez-vous qu’avant, la marine américaine envoyait 60% de ses effectifs et de son équipement dans diverses régions du monde, y compris l’océan atlantique, la Méditerranée, le Moyen-Orient, et environ 40% dans l’océan pacifique. Maintenant, les Etats-Unis essayent d’équilibrer cette répartition de leurs capacités navales. Mais malgré la réduction générale des capacités navales des Etats-Unis - de sa flotte et de ses sous-marins, vous savez ce que je pense qu’il va se passer ? La répartition sera probablement la même qu’avant. Mais vous avez raison de souligner un facteur fondamental, qui est cette tension qui monte entre la Chine et les Etats-Unis. Je me suis penché sur ce problème ces deux dernières années, dans mes travaux à la Harvard Kennedy School et maintenant en tant que président de l’Institut politique de la société asiatique à New York.

RT : L’accord de partenariat transpacifique - un accord commercial proposé par les Etats-Unis - fait partie de la stratégie du «pivot vers l’Asie» qui a pour but d’isoler la Chine. Est-ce un but réaliste ? La deuxième économie du monde peut-elle être isolée ? Ou est-ce juste symbolique ?

K. R. : L’Australie n’a aucun intérêt à isoler la Chine. Cela fait 30 ans que nous entretenons des relations économiques extrêmement fortes avec la Chine. En termes de quantité, elles sont plus fortes que les relations économiques russo-chinoises.

La lutte anti-terroriste en Asie est un domaine où la Russie, la Chine et les Etats-Unis pourraient coopérer de manière bien plus efficac

RT : Pourquoi alors la Chine n’a-t-elle pas été invitée à faire partie de l’accord de partenariat transpacifique ? Nous avons parlé avec des représentants du gouvernement chinois et des responsables commerciaux chinois et ils ont dit : «Nous n’avons jamais été invités à faire partie de cet accord. Nous accepterions cette invitation avec plaisir.»

K. R. : C’est une initiative américaine et ce sont les Américains qui invitent les pays à en faire partie. J’ai toujours pensé que si cet accord se concrétisait – et ce n’est toujours pas le cas parce que le Congrès doit encore le ratifier, et le Congrès américain est aujourd’hui très hostile au commerce – on ne peut pas créer un bloc commercial qui isole la Chine. Ça n’a pas de sens. La Chine a toujours énormément de croissance économique à offrir au reste du monde et pour être franc avec vous, je pense qu’isoler la Chine est totalement contraire à nos intérêts.

RT: La Chine a récemment déployé des missiles sol-air sur l’île que se disputent plusieurs pays dans la mer de Chine méridionale. Pékin affirme que cette action est défensive. Reprochez-vous à la Chine de développer sa défense alors que les Etats-Unis renforcent leur présence militaire dans la région, surveillent, patrouillent dans la zone limitrophe à la Chine et les mers de Chine ?

Tous les peuples d’Asie seraient heureux de voir ces trois armées et celles d’autres pays d’Asie de l’Est coopérer dans des exercices de lutte contre les catastrophes

K. R. : Quand je vois comment la Chine a modernisé son armée, une partie de moi reconnaît que c’est une conséquence naturelle du développement d’une petite puissance qui est devenue une puissance bien plus importante. La Chine est désormais la deuxième puissance mondiale, elle a la capacité d’investir dans son armée et le programme de modernisation de l’armée populaire de libération sous le président Xi Jinping est formidable. C’est normal que le pays développe un équipement militaire plus sophistiqué. Trouvez-moi un pays qui est soudain devenu une grande puissance mondiale et qui a dit : «Non merci, nous n’allons pas développer notre défense, ce n’est pas nécessaire.» J’ai une approche pragmatique. Les capacités militaires sont une chose. Faire face aux tensions stratégiques sous-jacentes en est une autre. La Corée du Nord – et on peut ne pas être d’accord avec cet argument – est un pays sur lequel la Chine et les Etats-Unis peuvent coopérer avec la Russie. Honnêtement, la lutte anti-terroriste en Asie est un domaine où la Russie, la Chine et les Etats-Unis pourraient coopérer de manière bien plus efficace. En outre, nous sommes souvent touchés par des catastrophes naturelles en Asie, et parce que la région est si densément peuplée, ces catastrophes entrainent souvent la mort de beaucoup de personnes. Tous les peuples d’Asie seraient heureux de voir ces trois armées et celles d’autres pays d’Asie de l’Est coopérer dans des exercices de lutte contre les catastrophes.

RT : Pensez-vous que l’Australie puisse devenir une plateforme de compétition pour l’Amérique et la Chine ?

K. R. : Si vous regardez la configuration des relations sino-américaines, elles se concentrent beaucoup sur le Nord-Est et l’Est de l’Asie. Nous revenons à la même question : que faut-il pour assurer la paix et la stabilité au long terme dans cette région, pour renforcer sa croissance économique phénoménale de ces 40 dernières années, c’est-à-dire depuis la fin de la guerre du Vietnam ? Nous n’avons pas eu de conflit majeur depuis. L’Asie concentre désormais 45% de l’activité économique mondiale et on dépassera les 50% d’ici 2050. Tout le monde a donc intérêt à ce que cette region continue de booster la croissance du commerce et des investissements dans le monde. Ce qui nous manque en Asie de l’Est c’est une institution régionale capable de réduire les tensions qui existent déjà, et c’est pourquoi en tant que Premier ministre j’avais proposé de développer ce que l’on appelle la «Communauté Asie-Pacifique» dont les Etats membres seraient la Russie, les Etats-Unis, la Chine, le Japon, la Corée, les dix Etats d’Asie du Sud-Est, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui ils sont tous membres d’une organisation vague, «les sommet de l’Asie orientale», et lorsque j’étais en poste au gouvernement j’ai beaucoup œuvré pour que la Russie et les Etats-Unis en deviennent membres, pour que tous les acteurs majeurs de la sécurité se retrouvent autour de la même table, avec un mandat ouvert, la Déclaration de Kuala Lumpur de 2005, pour organiser des projets de coopération en matière de sécurité, de politique et d’économie. Aujourd’hui il n’y a rien. Par conséquent, vous avez ces frictions bilatérales. Ce serait beaucoup mieux d’avoir une institution multilatérale qui pourrait résoudre certaines de ces frictions et développerait des habitudes et une culture de la coopération et du dialogue en matière de sécurité.

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