Lula da Silva sur la suspension de Dilma Rousseff : «Un coup d'Etat qui coûtera cher au pays»

Lula da Silva sur la suspension de Dilma Rousseff : «Un coup d'Etat qui coûtera cher au pays» Source: Reuters
L'ex-président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva
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L'ancien président brésilien Lula da Silva commente la destitution du chef de l'Etat Dilma Rousseff, l'activité du gouvernement intérimaire, ainsi que la probabilité de sa participation aux élections présidentielles de 2018.

RT : Il y a un peu plus d'une semaine, nous vous avons vu avec la présidente Dilma Rousseff. Vous étiez là à un moment difficile pour elle, pour le Brésil et pour votre parti. Comment avez-vous vécu la journée de l’annonce de la suspension de Dilma ?

Luiz Inacio Lula da Silva (L. D. S.) : En vérité, je ne voulais pas participer à ce processus ni figurer sur cette image, parce que je crois que c’était cruel, que c’était presque une violation de la démocratie brésilienne, en raison de laquelle Dilma a dû quitter son poste avant l'expiration de son mandat présidentiel. J'ai quitté le poste de président il y a cinq ans, en 2010, dans un beau pays où Dilma a été élue présidente de la République. Et le jour de sa destitution, j’ai eu un sentiment amer, c’était un jour très triste pour moi parce que ça ne concernait pas seulement la présidente qui a soudainement dû quitter son poste. Il s’agissait de l'effondrement d’un rêve – celui de l'intégration de la société. D’un plan qui a montré au monde qu'il était très facile de diriger un pays et résoudre les problèmes des pauvres, si leurs besoins sont pris en compte dans le budget de l'Etat. Si vous ne les traitez non pas comme un phénomène statistique ou un problème social, mais comme des personnes, des êtres humains qui ont des droits et des obligations. […]

Je ne pense pas qu'il soit juste et nécessaire que le gouvernement intérimaire agisse de la même manière que celui qui a été définitivement élu

Et tout cela s’est écroulé devant mes yeux, donc j’ai été très agacé par ce qui s’est passé, et en même temps, je me prépare à l’avenir, d’une manière très soigneuse et très tranquille, parce que je pense que les gens qui soutiennent ce plan reviendront au pouvoir au Brésil. Les pauvres viennent d'apprendre ce que cela signifie que de bénéficier des avantages sociaux, et ils veulent déjà leur arracher ces avantages de leurs mains. Donc, pour moi, pour être honnête, cela a été un jour d'indignation. Ce jour-là a été difficile pour moi, et si cela avait dépendu de ma volonté, je n’aurais pas participé à ses événements. Je l'ai fait par solidarité avec Dilma, pour ne pas la laisser seule dans un moment difficile et pour montrer à ses adversaires que beaucoup de choses peuvent encore se produire dans le pays, que le pays va se battre, et qu’il faut faire beaucoup de choses pour que le peuple brésilien atteigne un niveau de vie décent, que de nombreux pays ont déjà atteint.

RT : Le processus qui a été lancé se terminera après 180 jours maximum, soit six mois, voire peut-être plus tôt. Quels mécanismes juridiques existent pour que Dilma revienne au pouvoir ?

La révolution est dirigée contre la démocratie naissante au Brésil

L. D. S : Voilà ce qui est ensuite arrivé au Brésil – la Chambre des députés a forcé le Congrès à lancer le processus – purement politique de notre point de vue, comme aucun crime contre la Constitution n'a eu lieu – lors duquel le Sénat a voté en faveur de la destitution de la présidente Dilma. Le Sénat a approuvé la destitution. Cela signifie que pendant un certain temps, le Sénat examinera les accusations portées contre la présidente Dilma, mais il n'y a aucune preuve qu'elle ait enfreint la loi. Ensuite, il y aura un vote. Et le gouvernement devrait agir en tant que gouvernement temporaire, car après 20 jours, ou un mois, ou deux, ou trois – il y aura un vote, et les sénateurs pourraient changer d'avis. Du coup le gouvernement intérimaire devra partir, pendant que le gouvernement légalement élu retournera au pouvoir. Donc, je ne pense pas qu'il soit juste et nécessaire que le gouvernement intérimaire agisse de la même manière que celui qui a été définitivement élu –comme si la destitution avait déjà été approuvée par un vote et Dilma avait finalement été écartée du pouvoir. Mais cela n'a pas encore eu lieu ! Donc, je pense que c’est un coup d'Etat qui s’est produit, [...] et je pense qu’il coûtera cher au pays.

RT : Pensez-vous que cette révolution est dirigée uniquement contre la présidente, ou contre l'idée-même qu'elle défendait ?

Je pense que Dilma a été victime d'un boycott des médias et des entrepreneurs qui ne payaient pas d'impôts afin de réduire les fonds collectés par le gouvernement

L. D. S. : Je crois que la révolution est dirigée contre la démocratie naissante au Brésil. Vous ne pouvez pas destituer un président en raison d'un désaccord avec ses idées ou du fait qu'il ne soit pas bien classé dans les sondages. Nous devons apprendre à respecter la décision du peuple brésilien. Les gens ont voté pour Dilma, elle a remporté l'élection, elle a reçu 4 millions de votes de plus que son adversaire. [...]
Je crois que l'élite économique du Brésil et l'élite des médias brésiliens ont décidé de déclarer que ce n’était pas le cas. La démocratie, affirment-ils, c’est quand nous choisissons le moment et décidons qui doit partir et qui doit rester. Je pense que Dilma a été victime d'un boycott des médias et des entrepreneurs qui ne payaient pas d'impôts afin de réduire les fonds collectés par le gouvernement. De plus, nous avons été victimes de nos propres erreurs, ce qu’il faut reconnaitre. Nous avons fait des erreurs, nous aussi, principalement au cours du second mandat présidentiel de Dilma. Nous avons gagné les élections en disant une chose, mais une fois arrivés au pouvoir, nous avons commencé à faire ce que nous avions promis de ne pas faire. Cela nous a causé beaucoup de tort, et surtout à notre peuple de travailleurs.

RT : Les changements, sont-ils nécessaires pour répondre aux exigences du peuple brésilien ?

L. D. S. : Je crois que le Brésil a besoin d'un grand nombre de changements. Tout d'abord, nous avons besoin d'une réforme politique radicale, qui doit être réalisée dans le cadre du Congrès national. Mais le Congrès ne va pas mener de réforme politique dans sa composition actuelle. Il est nécessaire de convaincre le peuple brésilien d’exiger, par un plébiscite, des élections directes et la convocation d'une assemblée constitutive pour mener à bien la réforme politique dans le pays. [...]
Ensuite, nous devrions avoir une politique économique qui donne à la classe ouvrière et à la société une opportunité de croissance. Oui, nous connaissons actuellement une crise mondiale, mais dans un pays aussi vaste que le Brésil, elle ne devrait pas se faire sentir de manière aussi forte, parce que le Brésil a un marché intérieur très grand et puissant, accompagné d'un potentiel d’investissement exceptionnellement important. Maintenant, la situation au Brésil est la suivante : l'Etat ne peut pas lever de fonds, et les entrepreneurs ne veulent pas investir parce qu'il n'y a pas de stabilité politique. Les banques ne fournissent pas de prêts et d'investissements. Ni les autorités locales, ni l'Etat ne disposent de conditions pour investir. Par conséquent, il faut concentrer les efforts sur la reprise de la croissance économique, et pour cela, à mon avis, l'Etat brésilien, en raison de sa taille, peut faire beaucoup de choses. Voici un exemple : en 2007, lors de la crise mondiale, la dette étatique des Etats-Unis s’élevait à 64,7%. Maintenant, elle est de 105%. Il était nécessaire d'augmenter la dette de l'Etat pour qu'il soit en mesure de stimuler son développement. Au Brésil, la situation est la même. Un pays de la taille du Brésil pourrait avoir une dette publique s’élevant à 65%, et si cet argent était investi dans le développement des infrastructures, de création d’actifs qui permettraient au pays de gagner de l'argent, il n'y aurait pas de problème.

RT : Selon les informations de Wikileaks, l'actuel président intérimaire avait une sorte de contact avec l'ambassade des États-Unis au moment où vous étiez au pouvoir en 2006.

L. D. S. : Je l’ai lu. Simplement, beaucoup de choses apparaissent au bout d’un certain temps. En tout cas, je suis convaincu que le Brésil est un grand pays avec un grand potentiel. Et je pense que très souvent le gouvernement brésilien ne pouvait pas réussir car il croyait, à tort, que les États-Unis pouvaient aider tout le monde. Tout le monde veut vendre ses produits aux États-Unis. Mais les États-Unis veulent, eux aussi, vendre à d'autres pays. Tout le monde veut vendre à la Chine, mais après tout, la Chine veut vendre aussi. Tout le monde veut vendre à l’Allemagne, et l'Allemagne veut aussi vendre ses produits. En quoi consistait notre politique ? Nous avons décidé d'examiner le potentiel de nos relations avec d'autres pays. Qu’est-ce qui manque aux relations entre le Brésil et le Venezuela, le Brésil et l'Angola, le Brésil et le Mozambique, le Brésil et l'Argentine, le Brésil et le Pérou, et aussi entre le Pérou et la Bolivie ? Qu’est-ce qui nous manque pour débloquer ce potentiel ? [...] Cela a été la base de notre politique étrangère. Il ne s’agissait pas seulement du commerce. Nous devons analyser nos relations aussi en termes de logistique, de géopolitique, de participation à des forums multilatéraux. C’est bien un représentant du Brésil qui a été élu coordinateur de l'Organisation mondiale du commerce ; un autre représentant du Brésil a été élu directeur général de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture).

Cependant, s'il y a quelque chose qui peut me faire à nouveau participer aux élections c’est la remise en place du projet de l'intégration sociale

Tout cela s’explique par le fait que nous avons réussi à élaborer une ligne politique claire et à gagner la confiance du peuple. Le Brésil ne peut pas considérer le Cap-Vert, la Bolivie, le Nicaragua et le Mozambique uniquement en tant que partenaires commerciaux. Nous devons assumer notre dette historique envers le continent africain, la dette qui ne peut pas être couverte avec de l'argent et qui ne se mesure pas en argent. Seule notre solidarité et la volonté de partager nos nouvelles technologies peut le faire en quelque sorte. La participation du Brésil à la construction d'une usine de médicaments antirétroviraux au Mozambique, résulte justement de notre désir de payer notre dette aux peuples d'Afrique pour tout ce qu'ils ont fait pour notre pays pendant les 300 ans d'esclavage. Ces principes sont au cœur de notre politique étrangère, qui n'ont rien à voir avec la déclaration officielle de l'actuel ministre concernant ses plans de conclure des accords bilatéraux avec les États-Unis. Les États-Unis, sont-ils prêts à acheter tout ce que produit le Brésil ? L'objectif des États-Unis est de vendre et ne pas d’acheter. Visiblement, notre nouveau gouvernement ne le comprend pas encore et a beaucoup de chose à apprendre à l’avenir.

RT : Est-il possible de vous voir vous représenter à la présidence du Brésil ?

L. D. S. : Je dirais oui et non. Tout d'abord, parce que je ne suis pas seul à prendre de telles décisions, je suis membre d'un parti politique, qui comprend une variété de mouvements, de syndicats, la société civile, et c’est précisément le parti qui décide de nos futures actions. J’espère que les conditions seront réunies pour nous permettre de préparer un grand nombre de personnes prêtes à se battre pour ce poste. Quant à moi, personnellement, pour être honnête, je ne voudrais pas présenter ma candidature. J'ai déjà été président. J’ai déjà connu cette expérience, et je pense qu'elle a été positive. Je pense que maintenant nous avons besoin de nouvelles personnes.

Cependant, s'il y a quelque chose qui peut me faire à nouveau participer aux élections – bien sûr, si la santé me le permet – c’est la remise en place du projet de l'intégration sociale, qui a été l'événement le plus merveilleux de ceux que notre pays a connu au XXIe siècle.

Lire aussi : Manif contre le coup d'Etat au Brésil sur le tapis rouge de Cannes

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