Une nouvelle condamnation du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie qui «ne s'attaque nullement aux vraies racines des problèmes ne pourra jamais contribuer à éviter de futures guerres», estime le chercheur John Laughland.
Quand l'ancien président yougoslave, Slobodan Milosevic, est décédé dans la prison du Tribunal pénal international à Scheveningen, près de La Haye, le 11 mars 2006, les médias se sont livrés à une véritable orgie de dénonciation du «bourreau de Balkans». Ils l'ont fait en ne tenant compte d'aucune séance du procès, qui avait pourtant duré quatre ans et qui était en cours quand Milosevic est mort à cause d'une maladie du coeur que les juges ont refusée de faire soigner. Le procès aurait pu ne pas avoir eu lieu, tellement ils ont voulu vite refermer sa parenthèse. Leur méthode consistait à ressortir du placard toutes les vieilles histoires qu'ils avaient apprises au début des années quatre-vingt-dix, quand les guerres yougoslaves ont éclaté, à l'instar de la politique occidentale dictée par les Allemands et les Américains qui se sont concurrencés pour dénoncer les Serbes et pour aider, y compris militairement, les sécessionistes d'abord croates et slovènes, ensuite islamo-bosniaques.
Aucune accusation pour génocide au Kosovo n'a jamais été engagée, alors que celui-ci était le prétexte pour le bombardement illégal de la Yougoslavie par l'Otan en 1999
En réalité, le procès avait produit bien de surprises. De nombreux témoignages avaient disculpé l'ancien président, y compris de la part de témoins à charge dont certains ont accusé l'Accusation de torture. Les juges se sont déshonorés en faisant taire l'accusé à chaque fois qu'il démontrait les mensonges de ses accusateurs. L'Accusation a même été contrainte d'abandonner, au milieu du procès, son affirmation centrale, à savoir que Milosevic aurait cherché à créer une Grande Serbie. Comme j'avais moi-même été le dernier journaliste occidental à rendre visite à Milosevic dans sa cellule, j'en savais quelques chose. J'étais tellement dégoûté par la légèreté et la malhonnêteté des reportages médiatiques que j'ai rédigé un livre sur le procès fleuve dont le titre résume bien l'argument: "La parodie" (Travesty, en anglais).
Depuis la mort de Milosevic, bien des événements juridiques ont eu lieu qui vont dans le sens d'une réévaluation des guerres yougoslaves. Aucune accusation pour genocide au Kosovo n'a jamais été engagée, alors que celui-ci était le prétexte pour le bombardement illégal de la Yougoslavie par l'Otan en 1999. En 2007, après quatorze ans de délibérations, la Cour internationale de justice (la plus haute instance juridique des Nations-Unies, et non pas un tribunal ad hoc concocté pour des raisons politiques par les Américains, comme le TPI) a rendu son jugement dans l'affaire qui opposait la Bosnie-Herzégovine à la Serbie depuis 1993. La Cour a trouvé que la Serbie n'avait joué aucun rôle décisif dans la guerre civile bosniaque et que la très grande majorité des accusations de génocide portées contre les Serbes de Bosnie étaient sans fondement. La Bosnie avait en effet affirmé, dès le début des combats, que les Serbes voulaient exterminer les Musulmans, et que Milosevic et les Serbes de Bosnie ne faisaient que répéter le travail entrepris contre les Juifs par Adolf Hitler. Cette thèse fut aussi avancée par un universitaire américain, Norman Cigar, dans un livre publié avant la prise de la ville de Srebrenica en juillet 1995.
Tous ces développements juridiques restent largement inconnus du grand public, et pour cause. Si hier la salle de presse du TPI était comble pour entendre le verdict des juges dans le procès Karadzic, c'était la première fois depuis le début du procès, en 2009. Tout comme pendant le procès de Milosevic, les journalistes ont fait preuve d'un dédain superbe quant au vrai déroulement de la procédure contre Karadzic. Ils n'ont assisté à aucune séance. Tous ceux qui se sont empressés de vous annoncer avec délectation que l'ancien président de la République serbe de Bosnie avait été jugé coupable de génocide sont parfaitement incapables de vous citer le nom d'un seul témoin parmi les 585 qui ont été entendus pendant les cinq dernières années.
Pire, les juges semblent avoir agi de la même manière. En écoutant la voix robotique du président coréen de la Chambre de première instance, O-Gon Kwon, qui lisait le résumé du jugement (celui-ci fait 2.600 pages) on aurait pu croire que le procès n'avait pas eu lieu. Pas un seul argument de la Défense n'a été cité ou retenu; pas le moindre rééquilibrage ou nuance des faits n'a pu être observé. Au contraire, le jugement ne consiste qu'en la répétition d'accusations vieilles de 25 ans et issues de la propagande occidentale depuis les tous premiers mois de la guerre.
Ce simplisme qui frôle la débilité est particulièrement criant dans le cas du plus grand tabou de tous, celui des massacres qui ont eu lieu à Srebrenica après trois ans de guerre atroce. Avec l'énorme mémorial construit près de la ville pour figer cet événement dans la pierre (en face duquel, d'ailleurs, des livres et DVD islamistes sont en vente dans un kiosque), Srebrenica constitue une référence négative presqu'aussi forte que celle de la Shoah, à laquelle les évènements de juillet 1995 sont censés ressembler. Mais que disent les juges dans l'affaire Karadzic sur Srebrenica? Ils racontent exactement les mêmes âneries que leurs prédécesseurs dans les autres procès devant le TPI.
Ils racontent en particulier, tout comme la Cour internationale de justice en 2007, que les Serbes de Bosnie n'avaient aucune intention de commettre un génocide contre les Musulmans de Bosnie en général. Karadzic a été acquitté hier pour génocide dans sept municipalités où pourtant l'Accusation avait affirmé sa culpabilité. Ils démentent ainsi l'affirmation centrale portée par la Bosnie dès 1992. En revanche, les juges nous invitent à croire que la volonté génocidaire des Serbes de Bosnie ne concernait pas tous les Musulmans de Bosnie, mais seulement les hommes musulmans de la ville de Srebrenica. Ils nous invitent à croire, en outre, qu'après trois ans de lourds combats le plan génocidaire a été conçu à 20h le 13 juillet 1995. Dans le jugement du 24 mars, Karadzic a été acquitté par ses juges de toute accusation de génocide antérieur à ce moment précis.
Cela serait à hurler de rire si ce n'était pas si macabre. Plusieurs massacres ont certainement eu lieu dans la ville suite à sa capture par les forces serbes de Bosnie, nul ne le conteste. La plupart des victimes étaient des combattants, ou des anciens combattants, qui ont formé une colonne de plusieurs milliers d'hommes essayant de fuire la ville pour rejoindre Tuzla, territoire bosniaque. Les Serbes leur ont tiré dessus et ils ont riposté. Mais les juges ne mentionnent aucune riposte, prétendant que dans la colonne il n'y avait que de civils non armés. Je le répète: qu'il y ait eu barbarie, personne ne le nie. Mais comment un génocide peut-il s'appliquer aux seuls habitants masculins d'une seule ville? Ce n'est pas le sens du mot génocide, qui veut dire "destruction de tout un peuple" ou "de toute une race", c'est-à-dire des hommes et femmes d'une certaine race ou religion, partout où ils se trouvent.
En ignorant volontairement l'anthropologie de la guerre, les juges du TPI ont déformé la réalité de la guerre
En voulant préserver à tout prix la condamnation sensationnaliste pour génocide, qui constitue un grand succès institutionnel pour le TPI, les juges n'ont pas seulement prêté aucune attention aux centaines de témoins à décharge ni aux arguments de la Défense prouvant que Karadzic avait essayé d'éviter le pire. Ils ont surtout commis une grosse erreur d'analyse qui va vicier pour les décennies à venir la loi de la guerre qu'ils entendent renforcer. Ce qui s'est passé à Srebrenica, sous la chaleur intense de l'été 1995, est très clairement une série d'actes de vengeance, d'une fureur et d'une violence rares. Pendant trois ans, les Serbes autour de Srebrenica avaient été victimes d'attaques barbares par les islamistes sous le commandement de Nasir Oric, grand coupeur de têtes exonéré par le TPI en 2006, comme les très nombreux tombeaux dans les villages voisins l'attestent. Ils haïssaient ceux qui les avaient terrorisés et ils voulaient un règlement de comptes. Leurs actes étaient sans aucun doute condamnables - mais ils ne peuvent pas être qualifiés de génocidaires car le génocide est une opération planifiée et appliquée méthodiquement pour des raisons racistes. Ce n’est pas une explosion spontanée de violence.
En ignorant volontairement l'anthropologie de la guerre, et en particulier le phénomène girardien de la montée aux extrêmes de la spirale de violence - une violence que, ne l'oublions pas, les Musulmans avaient été les premiers à déclencher - les juges du TPI ont déformé la réalité de la guerre. Leur énième condemnation, basée sur une telle déformation et qui ne s'attaque nullement aux vraies racines des problèmes qu'elle entend résoudre, ne pourra jamais faire autorité. Elle ne pourra donc jamais contribuer à mitiger, et encore moins à éviter, des guerres futures.
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