Jacques Sapir est directeur d’Études à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales, dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS), le groupe de recherche IRSES à la FMSH

L’intelligence artificielle de Jack Dion

L’intelligence artificielle de Jack Dion© Philippe Wojazer Source: Reuters
Un homme ? Ou un robot ?..
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Une analyse de la plume de Jack Dion, journaliste à Marianne, consacrée à un récent livre de l'économiste Jacques Sapir pourrait éveiller des soupçons : serait-ce une machine qui s’est faite passer pour le journaliste Dion ?

Etant tombé ce samedi sur l’article que Jack Dion a consacré à mon livre dans Marianne (Marianne, du 19 au 25 février, p. 69), je me suis demandé – sérieusement – si ce journaliste avait été possédé par l'esprit (malin, évidemment) d’un de ses confrères européistes ou si – plus probablement – on avait à faire à une page écrite par un robot, comme c’est le cas dans de nombreux journaux. Et, oui, ce sont des choses qui nous guettent…Mais en ce cas l’intelligence artificielle manque singulièrement d’intelligence. Et oui, comme dans Dune, «tu ne feras pas de machine à l’esprit de l’homme semblable»…

Homme ou machine (mon coeur balance) ?

Car, cette recension parle d’un autre ouvrage que Souveraineté, Démocratie, Laïcité. D’un ouvrage que Jack Dion aurait aimé lire pour pouvoir le détester. Car la page qu’il a consacrée à mon ouvrage pourrait tout aussi bien s’intituler «Ne lisez pas ce livre». Ainsi, à lire Dion, on pourrait croire qu’il s’agit d’un livre d’histoire. Le deuxième paragraphe débute ainsi : «L’économiste relate la longue marche vers l’Etat-nation… » Sauf que cette (petite) partie historique (de la page 105 à la page 108 sur un ouvrage de 325 pages) vient après une longue réflexion sur l’hétérogénéité fondamentale de nos sociétés, ce qui constitue le peuple, mais aussi une critique des apories du légalisme, ou plus précisément de la réduction de la légitimité au légal. De même, sont passées sous silence les pages consacrées à la production, par les économistes de l’école dominante, d’une conception du droit qui converge dans ses effets avec celle de juristes qui haïssent la notion de souveraineté. Que l’un des buts du livre soit justement de faire la critique, tant de ces conceptions du droit que des conceptions de l’économie qui tendent à les fonder, n’avait pas échappé à Bertrand Renouvin qui, lui, a fait une lecture autrement profonde de mon ouvrage.

Décidément, nous avons affaire à un robot

Donc, de deux choses l’une, ou il faut lancer d’urgence un appel à souscription pour que M. Dion puisse s’acheter des lunettes (oui, les frais d’opticiens sont élevés et son salaire de pauvre journaliste ne lui permet certainement pas de les couvrir comme c’est, hélas, le cas de nombreux français), ou alors c’est une machine qui a ouvert le livre au hasard (on dit « de manière aléatoire ») et qui a rédigé cet article. Je penche plutôt pour la seconde solution, et je pense pouvoir en apporter la preuve.

En effet, le texte se poursuit (3e paragraphe) par : « …un penseur longtemps proche des thèses de Philippe Seguin… » Où donc la machine qui se fait passer pour Jack Dion est-elle aller chercher cela ? Non que je n’aurais éprouvé de la sympathie pour le personnage de Philippe Seguin, et pour son ombrageux caractère. Mais, dans les années 1990, j’étais bien plus proche de Jean-Pierre Chevènement. Cette machine-Dion doit donc utiliser un moteur de recherche qui recourt à un apéritif anisé (pas de publicité dans ce carnet) bien plus qu’au silicium pour fonctionner. Il ne me viendrait pas à l’idée que le Jack Dion réel ait pu écrire cela dans une crise d’éthylisme. Tout le monde sait que les journalistes sont sobres et consciencieux. Non, décidément, nous avons affaire à un robot, mais un robot quelque peu détraqué, un petit cousin du HAL-9000 de 2001 : l’Odyssée de l’espace de feu Stanley Kubrick, qui use et abuse de la lecture aléatoire.

Un parti-pris d’anti-intellectualisme ?

Car, nous en sommes là. Les approximations et les erreurs fourmillent dans ce texte. Passons sur le fait de me présenter comme un adversaire de l’Europe (qui n’est pas l’UE). Il est certainement possible de refonder celle-ci sur d’autres bases, et par exemple sur une coopération des nations. Bien sûr, un journaliste comme Jack Dion n’aurait pas fait cette erreur de m’attribuer une pensée aussi pauvre. Bien sûr, un journaliste comme Jack Dion aurait noté ce retour des frontières et des politiques nationales au sein même de l’Union européenne et en aurait déduit que ceci avait quelques relations avec le problème de la souveraineté. Autant de preuves que ce n’est pas Jack Dion qui a écrit ce papier mais une machine, un ordinateur quelque peu désordonné. Car, s’il était prouvé que c’était bien Jack Dion qui a réellement commis ce texte, nous aurions du souci à nous faire sur sa santé mentale.

La lecture de mon livre par celui qui se fait passer par Jack Dion a été très aléatoire

De même quand il tique sur la référence à Carl Schmitt ; là, clairement, Dion à des boutons. Mais, là encore, le véritable Dion aurait tout de suite vu la référence à Chantal Mouffe ou à Laclau, deux des inspirateurs de PODEMOS, deux auteurs qui, justement, n’ont pas hésité à « penser avec Carl Schmitt pour penser contre Carl Schmitt ». Ben oui, c’est ballot. Chantal Mouffe a même dirigé un livre collectif The Challenge of Carl Schmitt, qui fut publié en 1999 chez un excellent éditeur de gauche à Londres, Verso, que je cite d’ailleurs à la page 87 de mon ouvrage. Décidément, la lecture de mon livre par celui qui se fait passer par Jack Dion a été très aléatoire. Si c’était le véritable Jack Dion qui donc avait lu mon livre, il aurait su que de nombreux spécialistes, de Paul Hirst à Slavoj Zizek, de David Dyzenhaus et Jorge Dotti à Ulrich Preuss (j’en passe et des meilleurs, comme dirait le vieil Hugo) avaient développé une lecture, certes critique, mais reprenant des notions ou des concepts de Carl Schmitt. En fait, on pourrait s’interroger sur l’inconscient anti-intellectuel de la remarque faite par le supposé Dion. N’est-ce pas là la marque irréfutable d’une pensée d’extrême-droite ? Mais, il est clair, comme je l’ai déjà écrit, que nous avons à faire à un robot. Mais un robot qui, outre d’abuser des boissons alcoolisées, outre de pratiquer la lecture aléatoire, s’apprête à quitter Marianne pour aller au Nouvel Observateur, un journal qui accueillera mieux (et rémunèrera plus) sa prose. Ce serait l’occasion pour Maurice Szafran d’aller libérer de son cachot le véritable Jacques Dion et de le rendre à ses lecteurs.

Très clairement, « Jack Dion », qu’il soit homme ou machine, a rompu avec ce principe d’honnêteté

L’étrange rapport du supposé Jack Dion à l’honnêteté

Parce que, quand le supposé Jack Dion écrit, dans le dernier paragraphe : «Jacques Sapir se complaît ainsi à semer avec délices les petits cailloux de l’ambiguïté», le supposé Jack Dion non seulement profère un mensonge, mais un mensonge typique de ceux utilisés par les soi-disant socialistes qui sévissent dans la presse de « gôche ». Vous savez, ceux qui sont passés de Jaurès et Blum à Macron et El Khomri…Car, tout lecteur honnête aurait vu que mes multiples citations de Maurice Godelier sur la question de l’ethnicité et la nature politique du peuple vont dans un sens radicalement contraire à l’extrême droite et que ces passages sont clairement dépourvus d’ambiguïté. Les « identitaires » qui me critiquent par Internet interposé ne s’y sont, d’ailleurs, par trompés. Ce mensonge déshonore « Jack Dion », mais une machine n’ayant pas d’honneur, il n’est donc pas étonnant qu’elle profère un tel mensonge.

Et, quitte à parler de principe, il faut faire référence à celui d’honnêteté. C’est le principe auquel tout journaliste se devrait d’adhérer. Il implique de faire une critique honnête, sans chercher à interpréter de manière malveillante, sans aller au contraire de ce que dit un texte. Très clairement, « Jack Dion », qu’il soit homme ou machine, a rompu avec ce principe d’honnêteté. Qu’il en discute avec sa conscience, s’il en a une (et qui sait avec son intelligence qui semble bien être artificielle). Qu’il prenne conscience de ce que ces comportements ont comme conséquences quant à l’image des journalistes en France. Il faut lui rappeler que le carnet RussEurope, lui, a eu l’année dernière en moyenne 97 000 lecteurs par mois avec près de 250 000 connexions mensuelles. Et cela, c’est une réalité.

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Source : russeurope.hypotheses.org

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