Tariq Ramadan : «On ne peut pas dire en parlant de Daesh, ça n'a rien à voir avec l'Islam»
Islamologue suisse et professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford, Tariq Ramadan a répondu aux questions de RT France concernant l'Islam, la mixité sociale et différentes questions sur la société contemporaine. Rencontre.
Le point commun des djihadistes : une faible connaissance de l'Islam
Comment lutter contre la radicalisation et cerner les profils des potentiels djihadistes quand chaque mois, de nouveaux individus partent rejoindre Daesh ? Parmi eux, 1 700 français, venus grossir les rangs de l'Etat islamique en Syrie et en Irak, qui comptent près de 30 000 combattants sont étrangers.
Pour Tariq Ramadan, l'examen des causes de la radicalisation permet de penser à des moyens de lutter contre l'extrémisme. Si les profils des djihadistes varient, certains traits communs ressortent : «Ce n'est pas uniquement une compréhension religieuse profonde, dogmatique et extrémiste, c'est plutôt un engagement émotionnel lié à un lavage de cerveau». Un lavage de cerveau qui, combiné à une frustration et à un isolement, comme le plus souvent une coupure avec la famille, faciliterait le recrutement.
Citant une étude menée en Angleterre, il affirme que 92% des djihadistes ont étudié et pratiqué l'islam moins de deux mois avant de passer à l'acte et insiste sur le fait que très peu ont été recrutés par le biais des mosquées.
L'origine sociale n'est pas l'unique responsable de la radicalisation
Donnant l'exemple des terroristes des attentats de Londres, diplômés et issus de milieux aisés, qui tranchent avec le cliché habituel de la recrue pauvre, marginalisée et illetrée, Tariq Ramadan réfute l'approche simpliste qui tend à expliquer la radicalisation par les seuls facteurs sociaux.
Dire que le basculement des jeunes dans le terrorisme est uniquement dû à la condition sociale, c'est insuffisant
Face à ce constat, l'islamologue propose plusieurs solutions : éduquer les jeunes sur le plan religieux, par le biais d'interlocuteurs rôdés et respectés sur le terrain, et prendre au sérieux les réalités sociales, pour éviter la marginalisation des cibles potentielles.
L'islam, une religion de paix ?
Interrogé sur cette question à propos de laquelle les avis sont partagés, Tariq Ramadan réagit en prenant pour exemple la phrase de George W. Bush qui avait affirmé en 2001 : «L'islam est une religion de paix», afin de montrer qu'il ne faisait pas d'amalgame entre terroristes et musulmans au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.
Pour l'expert, une telle assertion est trop simpliste. «Affirmer, que l'islam est une religion de paix ne veut rien dire. L'islam, au même titre que le judaïsme, le christianisme ou le bouddisme, appelle à la paix. Mais toutes ces spiritualités doivent gérer la violence des hommes».
On ne peut pas dire en parlant de Daesh, ça n'a rien à voir avec l'islam et ce ne sont pas des musulmans ; à partir du moment où quelqu'un se dit musulman, il est musulman
L'islam, au même titre que les autres spiritualités, devrait donc être interprété en tenant compte du contexte dans lequel ses textes ont été rédigés. Du recul, une éducation seraient donc nécessaires afin de ne pas prendre à la lettre et de pouvoir interpréter certains extraits violents.
Le clash des civilisations, une réalité ?
Malgré les tensions intercommunautaires, «montées en épingle par les médias», pour Tariq Ramadan, il n'y aurait «pas de limites au vivre-ensemble». «On parle toujours des hommes qui refusent de saluer les femmes. Mais pour un homme qui ne salue pas les femmes, combien le font ?»
Le problème selon lui : «Ceux qui tuent sont plus écoutés médiatiquement par leurs actes que ceux qui parlent pour les condamner», poursuit-il. «On parle de groupes qui sont extrêmement visibles sur le plan médiatique mais qui ne représentent pas, en termes de nombre, la pensée musulmane», conclut-il.
Pour lui, les sociétés occidentales seraient «victimes du succès de l'intégration», car cette intégration qui rend visibles les minorités, force les sociétés à se remettre en cause.
On se concentre toujours sur ceux qui créent des problèmes. Moi, ceux qui m'intéressent sont ceux qui trouvent des solutions.
Prenant l'exemple des crispations liées au fait que certains époux refusent que leurs femmes soient examinées par des médecins hommes, il propose de mettre à profit l'expérience de ceux qui ont déjà réglé le problème et qui savent qu'islamiquement, il n'y a pas de contre-indication à cela.
Sur le plan international, le choc des civilisations est en revanche, pour lui, une réalité, un rapport de force entre les civilisations, entretenu par les extrémismes des deux bords : les extrémistes occidentaux comme les islamistes. Développer les lignes de fracture serait précisément leur stratégie.
Mettant sur le même plan l'extrême droite et le fondamentalisme de Daesh, il affirme ainsi, «c'est autant vrai pour l'extrême droite occidentale qui joue sur l'islam en disant qu'il ne peut pas être une religion européenne, que pour Boko Haram ou Daesh qui font exactement la même chose. En nourrissant la polarisation, ils font un clash des civilisations».
Ces phénomènes sont grâves, mais ils ne vont pas empêcher le cours de l'Histoire, qui est inéluctable : je suis aussi européen que vous et l'Islam est une religion européenne
S'il admet que l'époque est difficile, à cause des violences et des crispations identitaires, il n'en reste pas moins optimiste pour l'avenir et considère ces difficultés comme transitoires.
«Je ne minimise pas les difficultés, mais sur le long terme, ça va changer. Je suis très optimiste», conclut-il.
L'islam, un sujet tabou en France ?
Peut-on tout dire en France ? Interrogé à ce propos, Tariq Ramadan évoque «un vrai malaise concernant l'islam».
Il y a un vrai problème de liberté d'expression à géométrie variable dans ce pays
Selon lui, on ne voudrait pas entendre en France un certain discours, qui interpelle notamment les politiques sur leur façon de faire, notamment sur les questions sociales et sur la politique internationale.
Interrogé sur la question du clientélisme à l'égard de la communauté musulmane, que des élus comme Malek Boutih dénoncent, Tariq Ramadan rétorque en soulignant surtout la contradiction des politiques qui, d'un côté ont des exigences sur la laïcité au niveau local, et de l'autre, traitent avec des pays connus pour leur radicalité.
«Comment voulez-vous avoir une cohérence quand vous traitez sur le plan géostratégique ou économique avec les Etats du Golfe et l'Arabie saoudite, qui financent des mosquées et dont l'idéologie est contraire à ce que vous voulez voir sur le terrain ? Cette politique internationale a évidemment des conséquences nationales !», dénonce l'islamologue.
Concernant la censure, dénoncée par certains, il concède par ailleurs qu'il est difficile en France d'avoir un débat apaisé sur l'islam, la religion et le conflit israélo-palestinien, alors que le dialogue reste pourtant, selon lui, «une condition du vivre-ensemble».
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.