Universitaire spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan est l'auteur de nombreux livres. Il anime un blog consacré à l'actualité et à la géopolitique de l'Afrique. Il dirige la revue par internet L'Afrique réelle www.bernard-lugan.com

Mali : pour l’armée française, l’ennemi est islamiste mais Touareg, pour l’armée malienne

Mali : pour l’armée française,  l’ennemi est islamiste mais Touareg, pour l’armée malienne Source: Reuters
Des soldats maliens patrouillent la capitale du Mali Bamako
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Le spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan, explique les racines du conflit malien en faisant le point sur toutes les récentes guerres qu'a connues ce pays d'Afrique de l'Ouest.

Le Mali, pays sahélo-saharien divisé par un rift géographique et racial est une artificielle création coloniale coupant des peuples parents ou, au contraire, faisant vivre ensemble des ethnies historiquement antagonistes. Composé d’un nord et d’un sud présentant d’énormes différences géographiques et humaines, il est caractérisé par l’écrasante domination démographique, donc politique, des ethnies sudistes.

Dans l'opacité de la situation actuelle, la chronologie permet d'introduire une lueur de compréhension:

1. Fin 2011-début 2012, culbutés par les Touareg, les militaires maliens furent chassés du nord du pays. Deux guerres éclatèrent alors :

-La première concernait les seuls Touareg. Elle fut menée par le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) dont le but était l’indépendance de l’Azawad, la partie nord du Mali, ce qui passait par la partition du pays. Cette indépendance fut proclamée le 6 avril 2012 mais, depuis, le MNLA y a renoncé au profit d'un confédéralisme.

-La seconde était menée par deux mouvements islamistes, Ansar Dine et le Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest)dont les objectifs, totalement différents, étaient l’instauration de la loi islamique, la Charia, dans tout le Mali unitaire. Ces deux mouvements étaient composés de combattants appartenant à diverses ethnies dont des Touareg et des Arabes sahariens (Maures) qui chassèrent le MNLA du nord Mali avant de tenter  de prendre Bamako.

Il n'était pas question que l'armée malienne revienne dans les fourgons des forces françaises

2. L'opérationfrançaise Serval qui débuta au mois de janvier 2013 bloqua la poussée djihadiste vers le sud et chassa Ansar Dine et le Mujao du Nord Mali qui fut réoccupé par le MNLA. Ce dernier annonça alors clairement qu'il n'était pas question que l'armée malienne revienne dans les fourgons des forces françaises.

3. Les élections de l’été 2013 ont confirmé l’ethno-mathématique nationale et la domination démographique, donc politique des populations sudistes. Elles n'ont donc débouché sur aucune réelle avancée constitutionnelle.

4. Au mois de janvier 2014, l'armée malienne tenta de reprendre pied dans le Nord mais elle fut une nouvelle fois battue par les Touareg du MNLA, rejoints par certains groupes arabes. Puis, ces divers mouvements dont la représentativité réelle est sujette à discussion, se regroupèrent dans le CMA (Coordination des mouvements de l'Azawad)*.

5. Conscientes que leur armée ne parviendrait pas à vaincre le CMA-MNLA, les autorités maliennes décidèrent ensuite de diviser les Touareg en agissant à travers les  milices du GATIA ( Groupe d'auto défense touareg Imghad et alliés) du colonel Ag Gamou  associées à divers mouvements ethniques régionaux**.

6. Le jeudi 14 mai, à Alger, un accord fut paraphé par la CMA, ce qui sembla alors signifier que cette dernière allait donc apposer sa signature lors de la réunion de paix de Bamako prévue le 15 mai. Or, il n'en fut rien car, la signature d'Alger ne s'expliquait que parce que la CMA avait été menacée de sanctions internationales en cas de refus. Le pré-accord d'Alger avait d’ailleurs été vidé de sa substance dès sa conclusion car le porte-parole de la CMA avait déclaré qu'«un paraphe n'est juridiquement pas un engagement, ce qui est tout le contraire d'une signature».

7. Ce fut finalement, le 20 mai, à Bamako, que fut signé l'accord de paix en présence de plusieurs chefs d'Etats africains, d'Annick Girardin  secrétaire d'Etat française chargée du Développement et de Federica Mogherini, chef de la diplomatie de l'UE. Longuement élaboré par le «facilitateur» algérien, l'ONU et l'Union africaine, il  prévoyait la création d'assemblées régionales élues au suffrage universel direct et dotées de réels pouvoirs ainsi que la reconnaissance de l'Azawad en tant que «réalité humaine».

Cet insolite «accord de paix» ne fut en réalité signé que par une partie, à savoir le gouvernement malien et ses alliés, mais pas par la CMA qui considérait qu'il n'avait pas de contenu politique. Bilal Ag Chérif, secrétaire général du MNLA, principale composante touareg de la rébellion exigeait que soient examinées plusieurs de ses revendications non négociables dont «la reconnaissance officielle de l'Azawad comme entité géographique, politique et juridique», la création d'une assemblée interrégionale engerbant les trois assemblées prévues dans la région et  un quota de 80% de ressortissants de l'Azawad dans les forces de sécurité régionales. Nous étions donc revenus au point de départ...

La situation malienne est dans une impasse

Même si, depuis, certaines avancées ont pu être constatées, la situation malienne est dans une impasse car les accords périodiquement signés par certains acteurs du conflit ne règlent pas en profondeur la question Nord-Sud. Ces accords garantissent en effet l'intégrité du Mali et ils ne prévoient ni fédéralisme, ni autonomie, mais une simple reconnaissance de la réalité «humaine» de l'Azawad. Ils ne marquent donc aucune avancée tangible par rapport aux accords de 1991-1992 et de 2006 qui reconnaissaient déjà la spécificité du nord du Mali avec création d'assemblées régionales et délégation d'une partie de la sécurité au niveau local.

Le problème malien qui doit sa complexité à l'accumulation de multiples facteurs historiques est actuellement amplifié par deux éléments d’actualité:

-       Poussé par la communauté internationale à négocier avec la rébellion touareg, le président malien Ibrahim Boubakar Keita (IBK) est en même temps condamné à montrer aux sudistes (80% de la population) qu'il est capable  de garantir l'intégrité territoriale du pays. D'où ses positions contradictoires et une ligne politique manquant de cohérence.

-       Pour l’armée française engagée dans le combat anti-djihadiste, l’ennemi est islamiste alors que pour l’armée malienne, il est d'abord Touareg. Les islamistes que les soldats français combattent sont même parfois vus comme des «alliés» contre les séparatistes touareg qui menacent l'unité du pays.

* La CMA regroupait le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), le HCUA  ( Haut conseil pour l'unité de l'Azawad) et le MAA (Mouvement arabe de l'Azawad).

** A savoir  le MAA-dissident (scission pro-Bamako du Mouvement arabe de l'Azawad ), la CPA (Coordination pour le peuple de l'Azawad) et le CM-FPR (Coordination des Mouvements et Fronts patriotiques de résistance).

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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