2015 : L'année-championne des déroutes et des confusions... Ou pas ?

La déroute et la confusion semblent avoir régné tout au long de l'année 2015 au plan international. Neil Clark, journaliste et écrivain britannique, en fait l'énumération mois par mois.

Je suis confus au sujet de beaucoup de choses qui se sont produites en 2015. Quelqu'un peut-il m'aider?

JANVIER

Le 7 janvier, 12 personnes ont été tuées lors de la fusillade qui a éclaté dans les locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo à Paris. Suite à cet acte de violence, plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement sont venus défiler sur les Champs-Elysées afin de montrer leur solidarité avec Charlie et la France, acclamée comme un rempart de la liberté d'expression.

Comme nous ont dit les défenseurs de la «liberté d'expression» occidentaux, cette dernière ne vaut rien si elle ne s'étend pas à la liberté d'offenser et même de bouleverser. Mais, dans la confusion, un humoriste français s'est fait interpeller pour avoir exprimé ses sentiments à propos de l'attaque de Charlie Hebdo sur Facebook. Et il ne s’agissait pas d’un évènement isolé.

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«Plus de 60 personnes ont été arrêtées en France, non pas pour ce qu'elles ont fait, mais pour ce qu'elles ont écrit à propos des attaques de Charlie Hebdo sur les réseaux sociaux. Croyons-nous qu’il existe un droit d’offenser ? Ou pas ? Ou bien, s'applique-t-il uniquement quand nous voulons exprimer certains points de vue "offensants" et pas d'autres» ?

Les attaques de Charlie Hebdo et leurs conséquences m'ont laissé très confus quant à cette la liberté d'expression et quant à la vraie signification de ce terme.

Début janvier également, à peu près en même temps que les attaques de Charlie Hebdo, ont eu lieu des massacres perpétrés par des terroristes en Afrique. Mais ces meurtres n’ont pas bénéficié de la même couverture [médiatique] que ceux de Paris qui ont coûté la vie à 17 personnes au total.

Pourquoi les victimes du terrorisme en Afrique reçoivent-elles beaucoup moins d'attention que les victimes du terrorisme en Europe ? Est-ce du racisme ? Et je pensais que nous étions tous censés être anti-racistes, en particulier en Occident, «illuminé» par les valeurs «libérales». Tout cela est très déroutant.

MARS

Une alliance militaire commandée par l'Arabie saoudite a commencé de bombarder le Yémen, l'un des pays les plus pauvres du Moyen-Orient. Les bombardements se sont déroulés tout au long de l'année.

En septembre, l'ONU avait dénombré 2 204 morts civils et 4 711 blessés, civils également, dans un conflit dont 93% des victimes ne sont pas des soldats.

Pourtant, en dépit de ce nombre important de morts, il y a eu un silence étrange et mystérieux de la part des «interventionnistes libéraux» occidentaux, qui sont habituellement si rapides pour nous rappeler la «responsabilité de protéger» les civils qui sont victimes d’attaques.

Où sont les appels à la création de zones d'exclusion aérienne qui doivent être imposées au Yémen afin de protéger les civils par ceux-là même qui demandaient à ce qu’elles soient imposées en Libye (en 2011) et en Syrie ? Où sont passés ces éditoriaux dans les journaux néo-conservateurs appelant à «faire quelque chose» pour sauver les gens menacés par les attaques saoudiennes menées au Yémen ?

Ce que l'ONU a appelé le «silence virtuel» sur la question du Yémen, c'est très déroutant et je suis sûr que vous serez d'accord.

MAI

Le temps des élections générales au Royaume-Uni. Le journal The Sun a mis en garde ses lecteurs: «D’ici une semaine, la Grande-Bretagne pourrait plonger dans le chaos. La gauche minoritaire du Labour fragilisé, dirigé par Ed Miliband et ses trésoriers des syndicats, soutenue par les destructeurs du Parti national écossais, pourrait prendre le pouvoir... Vous pouvez arrêter cela. Mais seulement en votant pour le Parti conservateur».

Pendant ce temps, l’édition écossaise du Sun, média dont le propriétaire est le même, a exhorté ses lecteurs à, euh, voter pour les «destructeurs» du Parti national écossais. Si cela n'est pas déroutant, je ne sais pas ce qui peut l’être.

En fin de compte, les conservateurs ont remporté leur première majorité depuis 1992. Vous pourriez croire que toute la gauche du Royaume-Uni aurait été désespérée par cet échec, néanmoins, la chose la plus importante pour les «progressistes» semblait être la défaite du député antiguerre George Galloway.

Très déroutant, une fois de plus.

JUILLET

Une majorité considérable de Grecs a voté pour dire OXI aux exigences d'austérité de la Troïka. Mais une semaine plus tard, le Premier ministre grec Alexis Tsipras – dont le gouvernement de gauche radical avait été élu sur un programme anti-austérité à peine six mois plus tôt – a cédé et accepté des coupes budgétaires plus importantes que celles contenues dans le projet rejeté lors du référendum. Pour ceux qui pensaient que la démocratie dans l'Europe moderne disposait des moyens de respecter le points de vue des personnes, les événements grecs de 2015 ont été extrêmement... déroutants.

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Toujours en juillet, un accord international sur le nucléaire est signé avec l'Iran. Les faucons l'ont dénoncé. Mais ce sont ces mêmes faucons qui nous ont répété pendant de nombreuses années que l'Iran était très proche de développer des armes nucléaires. Alors comment est-ce qu’un pays qui, en 1992, n’était qu’à «trois ou cinq ans» de créer sa bombe atomique, et qui en 1995 n’était toujours qu’à «trois ou cinq ans» de sa bombe… Comment se pourrait-il que ce pays n’en dispose pas 20 ans plus tard, en 2015 ?

Encore une fois, très déroutant.

AOUT

L'outsider Jeremy Corbyn est élu à la tête du Parti travailliste. Mais les travaillistes «modérés», dont tous semblent avoir été de fervents partisans de la guerre en Irak qui était, elle, loin de l’être, nous avertissent qu'une victoire de Corbyn serait terrible pour la démocratie. En fait, on nous a dit que dans l’intérêt de la démocratie, l’ascension de Corbyn – le candidat le plus populaire – devait être arrêtée. La démocratie, semble-t-il, serait mieux servie par l’élection d’un candidat moins populaire, quelqu’un dont le discours parle à l’élite de l’électorat mais pas au public, en général. Vous aussi, vous en restez confus ?

Jeremy Corbyn a facilement gagné les élections, avec près de 60% des voix, mais même après sa victoire, les appels à le renverser, pour le bien de la «démocratie», n’ont pas cessé.

La crise des réfugiés fait la une des journaux en Europe occidentale. Environ 60% d’entre eux provient de trois pays : la Syrie, l'Afghanistan et la Libye – des pays attaqués et déstabilisées par les puissances occidentales ou leurs mandataires.

Et quelle était la solution prônée par l'élite politique de l'Occident pour faire face à cette crise des réfugiés ? L’intensification des interventions militaires occidentales ! Il y a également eu des appels pour l'imposition de zones d'exclusion aérienne en Syrie – même si Daesh n'a pas d'armée de l'air. Une fois de plus, totalement déroutant.

SEPTEMBRE

La Russie est intervenue militairement en Syrie avec des frappes aériennes contre Daesh et les groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda. A l'Ouest, tous ceux qui ont été en faveur d'une intervention en Syrie ne se félicitent pas de l'action de la Russie –en réalité, ils la critiquent, en disant qu'elle ne ferait qu’aggraver la situation. Tout d'un coup, ceux qui n'avaient affiché aucune inquiétude pour les pertes civiles causées par les bombardements américains en Syrie ont commencé à se préoccuper terriblement du nombre de victimes civiles.

DOSSIER DE RT : La guerre contre Daesh

OCTOBRE

Un charter russe, transportant des touristes qui rentraient de vacances en Egypte, s’est écrasé dans le Sinaï, tuant les 217 personnes qui étaient à son bord. Le ministre britannique des Affaires étrangères Phillip Hammond qualifie cet évènement de «tir d'avertissement» pour Moscou, même s’il avait précédemment accusé la Russie de ne pas bombarder Daesh. Si la Russie ne bombardait pas effectivement l’organisation terroriste, pourquoi Hammond et les autres néo-conservateurs ont-ils affirmé que l'Etat islamique avait pris pour cible un avion russe ? Et si la chute de l’A321 de Kolavia était vraiment un «acte de vengeance» contre la Russie qui bombarde les terroristes en Syrie, pourquoi le gouvernement britannique a-t-il affirmé que les bombardements des terroristes opérés par les Britanniques en Syrie, conféreraient une sécurité plus importante aux citoyens du Royaume-Uni ?

Pendant ce temps, un article néo-conservateur publié début octobre a effectivement accusé la Russie de «doter Daesh d'une force aérienne». Confus? Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas que vous qui le soyez.

NOVEMBRE

Le 24 novembre, un avion de chasse russe prenant part aux opérations anti-terroristes en Syrie est abattu par la Turquie. Un de ses pilotes a été tué. Les autorités turques affirment que l'avion a pénétré leur espace aérien pendant 17 secondes au total. Ainsi, pouvons-nous considérer que la Turquie prend très au sérieux les incursions dans l'espace aérien d'autres pays ?

C'est lorsqu’on apprend que la Turquie a violé l'espace aérien grec 2 224 fois rien qu'en 2014 que tout se trouble. 

La Turquie a également violé l'espace aérien de la Syrie et de l'Irak à plusieurs reprises.

En 2012, la Turquie a accusé les autorités syriennes d'avoir abattu un F4-Phantom turc après que l'avion a pénétré dans l'espace aérien syrien.

«Une violation de la frontière de courte durée ne peut jamais être un prétexte pour une attaque», avait déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan. Le secrétaire général de l'OTAN était, lui aussi, en colère, affirmant que l'attaque donnait «un autre exemple du mépris que les autorités syriennes avaient pour les normes internationales».

Néanmoins, en novembre 2015, la réaction de Recep Tayyip Erdogan était tout à l’opposé. Et l'OTAN n'a pas non plus qualifié l'action turque d’exemple de «mépris des normes internationales». Que c'est déroutant...

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Toujours en novembre, 130 personnes sont tuées dans des attentats terroristes à Paris.

Le gouvernement britannique utilise une fois de plus cette tragédie pour décider de frappes aériennes contre Daesh en Syrie, en prétendant qu'une telle opération permettra de garantir la sécurité des habitants du Royaume-Uni.

En parallèle, les partisans de l'«intervention» continuent d'exprimer leur regret que le parlement britannique s’est opposé, deux ans plus tôt, à des frappes aériennes contre un gouvernement laïc qui lutte contre Daesh et le noyau dur des djihadistes. Et cela, même si ces frappes avaient eu pour effet de placer la Syrie toute entière sous le contrôle de Daesh.

DÉCEMBRE

Au Venezuela, l'opposition gagne les élections parlementaires. Je trouve que c'est très déroutant étant donné que j'avais lu à plusieurs reprises que le Venezuela était une «dictature».

Pendant ce temps, l'UE prolonge ses sanctions économiques contre la Russie jusqu'au 31 juillet 2016. Néanmoins, en octobre, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait affirmé : «La Russie doit être traitée décemment. Nous ne pouvons pas laisser Washington nous dicter les termes de notre relation avec la Russie».

Mais malgré le préjudice économique que les sanctions et l’embargo russe sur les produits agricoles occidentaux causent aux entreprises et à l'industrie européenne, l'UE a voté pour leur renouvellement. On nous dit que l'Union européenne agit dans le plus grand intérêt de l'Europe. Mais comment le fait de prolonger les sanctions contre la Russie peut-il aller dans le sens des intérêts de l’Europe ?

Quand on fait rétrospectivement le bilan de cette année 2015, elle semble en effet avoir été une année pour le moins déroutante.

Mais voici quelques explications.

Premièrement, concernant la Syrie. La stratégie de l'Occident en Syrie semble déroutante si l'on se rend compte que l'objectif principal a toujours été celui de renverser le gouvernement laïc de Bachar el-Assad et non pas de vaincre l’Etat islamique, dont l'ascension est non seulement favorisée, mais aussi saluée par les élites occidentales.

Un rapport déclassifié des services secrets américains de 2012 parle d'une «possibilité d'établir une principauté salafiste déclarée ou non» en Syrie, ajoutant que «c'est exactement ce que veulent les forces soutenant l'opposition, visant à isoler le régime syrien».

La présence de Daesh pourrait également être utilisée comme un prétexte pour une intervention en Syrie afin d'obtenir un changement de régime dans le pays de façon discrète.

Mais en septembre, l'intervention russe a changé la donne, car la Russie, à la différence des puissances occidentales et de leurs alliés régionaux, veut vraiment que Daesh et les «filiales» d'Al-Qaïda en Syrie soient vaincues. D'où l'hostilité des élites occidentales vis-à-vis de l'action russe. En s’en prenant directement à Daesh, Vladimir Poutine a efficacement dévoilé le bluff de l'Occident et porté un coup sévère à ses plans qui avaient pour but de provoquer un changement de régime.

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Au sujet du Yémen, il n'y a pas eu d’appels pour la création de zones d'exclusion aérienne ou pour une «intervention humanitaire» afin de sauver la vie des civils parce que les pays qui bombardent sont alliés des Occidentaux. Les «interventionnistes libéraux» à l'Ouest ne se mettent à l'action que lorsqu’un pays officiellement «ennemi» largue des bombes ; la véritable préoccupation du sort des civils n'a rien à voir avec ceci. Le principe de la liberté d'expression s'applique de manière sélective et ne concerne que ceux qui ont une position «juste». Ces mêmes néo-conservateurs qui nous enseignent «la liberté d'expression» et le «droit d'offenser» appellent en parallèle à ce que la RT soit interdite de diffusion.

Les incursions dans l'espace aérien d'un autre pays est une infraction très grave - si un «ennemi officiel» le fait (même s'il ne s'agit que de 17 secondes), mais si un membre de l'OTAN, tel que la Turquie, viole l'espace aérien, cela n'a pas d'importance.

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L'UE et ses pays-membres n’agissent clairement pas dans l'intérêt des citoyens européens, mais pour les intérêts de Washington. Quant à la démocratie, nous avons vu ce que son interprétation par les «élites» représente, à travers les événements en Grèce et les tentatives de faire dérailler la campagne de Corbyn au Royaume-Uni.

Le Venezuela n'a jamais été une dictature (les néo-cons l'ont nommée ainsi seulement parce qu'ils n'aiment pas le gouvernement socialiste) et l'Iran n'a jamais développé d'armes nucléaires, nous devions seulement croire que c’était le cas. De la même façon, que nous étions censés croire que l'Irak possédait des armes de destruction massive en 2003.

La fausse gauche belliciste en Grande-Bretagne s'intéressait plus à la défaite de George Galloway qu'à un retour au pouvoir des conservateurs soutenant la guerre, car pour elle, faire taire une voix puissante anti-guerre a été primordial. Et The Sun a dit à ses lecteurs de voter pour le Parti nationaliste en Ecosse, mais de se méfier d'eux en Angleterre, parce qu'ils voulaient que les travaillistes perdent et que les conservateurs reviennent au pouvoir… C'est ce qui s'est passé.

Quant à la crise des réfugiés causée par les guerres et les interventions occidentales, elle a été cyniquement utilisée comme une excuse pour de nouvelles guerres et interventions occidentales.

Je souhaite à tous les lecteurs de RT une belle année 2016. Espérons qu'elle ne sera pas aussi déroutante.

Pour éviter toute confusion et déroute, vous pouvez suivre Neil Clark sur Twitter @NeilClark66.