Attentats de Paris : des actes à forte portée symbolique

Attentats de Paris : des actes à forte portée symbolique Source: Reuters
Une femme allume une bougie en mémoire des victimes des attentats à Paris du 13 novembre
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Le géopoliticien Cyrille Bret, co-auteur du blog Eurasia Prospective, analyse les attentats survenus à Paris le 13 novembre.

Les actes terroristes sont aussi des actions de communication. Par-delà leur horreur et leur cruauté, leurs dimensions symboliques doivent être analysées. Trois signaux forts sont d’ores éléments identifiables dans les actes terroristes perpétrés à Paris le 13 novembre au soir : militarisation du terrorisme, indiscrimination des cibles et propagande par le fait.

Ces trois éléments constituent autant de messages adressés à l’Etat français et, par-delà, à la communauté nationale : Daesh se considère comme un Etat engagé dans un conflit mondial sur de multiples théâtres d’opération à travers le monde. Si l’Occident n’est plus engagé dans une guerre au terrorisme, le terrorisme, lui, se considère engagé dans une guerre.

EN CONTINU : La France sous le choc après les attentats de Paris qui ont fait 128 morts 

Les actes terroristes ont tous une forte dimension symbolique. Leur cruauté souligne leurs aspect irrationnels. Mais ils sont aussi mus par une logique interne – folle et barbare – qu’il est hautement nécessaire de comprendre. Ne serait-ce que pour les combattre de façon plus adéquate.

Même quand ils visent – comme à Paris hier soir – à tuer, blesser et mutiler le plus grand nombre de victimes possible, ils constituent non seulement des actes d’une violence effroyable mais également un ensemble de signes et de messages adressés par les terroristes. Même si l’horreur de ces actes souligne leur irrationalité, un décryptage de leurs modus operandi et de leur logique tactique est nécessaire.

Les actes terroristes sont aussi des actions de communication. Ils doivent être analysés comme tels.

Il est prématuré d’analyser le déroulement, les motivations et la portée des événements du 13 novembre 2015. En revanche, il est d’ores et déjà possible de décrypter cinq grands éléments symboliques révélés par le déroulement des attentats.

La militarisation du terrorisme : la France est un champs de bataille parmi d’autres

Les attentats perpétrés hier ont bien des caractéristiques d’une opération militaire. L’ampleur du nombre de victimes, la coordination dans le temps et l’espace, le recrutement et la préparation d’un grand nombres de candidats, etc. tout indique que l’action a été conçue comme une campagne militaire, à l’instar des prises d’otage à Moscou (2002) ou à Beslan (2004). 

Les messages adressés aux pouvoirs publics sont en conséquence très clairs : les attentats somme toute “artisanaux” des “loups solitaires” comme Breivik en Norvège (2011), Merah en France (2012) ou encore Nemmouche à Bruxelles (2014), sont aujourd’hui complétés par des opérations de grande ampleur. La portée symbolique est très forte : les terroristes entendent affronter la France sur plusieurs champs de bataille, comme un véritable Etat, en Syrie, au Mali et sur le territoire national.

En militarisant son terrorisme, Daesh essaie de se hisser au statut d’Etat à part entière et indique aux Etats qui le combattent qu’ils s’engagent dans une bataille sur leurs propres territoires nationaux. Il réactive ainsi une forme de terrorisme conçu comme une “arme de dissuasion” du faible au fort, comme l’Iran et la Libye des années 1970 : l’attentat devient une arme nucléaire du pauvre censée dissuader un Etat frappé d’attaquer un autre Etat. Le terrorisme militarisé est conçu pour élever ses commanditaires du statut de criminels à celui d’autorités étatiques et d’acteurs géopolitiques.

Du ciblage à l’indiscrimination : tout Français est une cible

Les attentats du 13 novembre 2015 interviennent seulement dix mois après les attaques contre la rédaction de Charlie Hebdo et l’hyperkacher de Saint-Mandé. Si les continuités seront sans doute bientôt mises en évidence, les différences indiquent une inflexion dans les messages des terroristes.

Les attentats de janvier étaient en grande partie ciblés contre des personnes condamnées par les terroristes pour leurs actes supposés blasphématoires (caricatures du prophète) et leur appartenance confessionnelle (la communauté juive). Les attentats d’hier semblent, au contraire, basés sur l’absence de choix dans les victimes : dans le public d’une salle de concert, dans la foule d’une terrasse de café et dans la masse d’un public sportif, les terroristes n’ont pas établi de différences. Ils se situent par-delà les distinctions entre combattants et civils, entre autorités publiques et simples particuliers, entre cibles symboliques et entre personnalités et passants.

La portée symbolique de cette indiscrimination est considérable : elle indique que, pour les terroristes, toute personne résidant en France est une cible potentielle. Aucune différence n’est à faire entre les différents membres de la communauté nationale. Daesh se pose ainsi comme un ennemi existentiel de la France et de ses alliés, selon une division tracée par Carl Schmitt entre les amis et les ennemis dans La notion de politique : l’ami et l’ennemi ne sont pas seulement en tension sur des intérêts divergents et ne sont pas seulement en rivalité. L’ami et l’ennemi sont les entités collectives qui considèrent l’existence de l’autre comme une menace à sa propre existence.

En somme, ce modus operandi indique la renonciation à l’usage du terrorisme comme un levier de négociation parmi d’autres. Durant les années 1980, le terrorisme en provenance du Liban avait été conçu aussi comme une forme de continuation de la négociation politique parmi d’autres moyens. Là c’est une lutte à mort qui est signifiée par l’usage d’une violence maximale et aveugle aux cibles.

La propagande par le fait : susciter le doute dans les autorités publiques

Les attentats d’hier ont également visé à instiller le doute de la population civile dans l’efficacité des pouvoirs publics. En perpétrant pas moins de six attentats simultanés, en faisant plusieurs centaines de victimes et en paralysant un pays pendant plusieurs jours, les terroristes cherchent à discréditer les pouvoirs publics français. De même que les anarchistes du 19ème siècle cherchaient à souligner la faiblesse des autorités républicaines en montrant leur vulnérabilité, par exemple par l’assassinat de Sadi Carnot, en 1894 à Lyon, de même, les djihadistes cherchent désormais à susciter le doute parmi les populations civiles.

Comme dans toute démocratie sous le choc d’attentats de masse, la France s’interroge légitimement : les services de police et de renseignement sont-ils suffisamment équipés? Les régimes juridiques sont-ils adaptés à l’évolution des menaces ? Les autorités politiques sont-elles suffisamment impliquées dans la lutte anti-terroriste ? L’ampleur des bilans des attentats de 2015 et leur fréquence sont en effet troublantes. Elles feraient presque oublier que la lutte anti-terrorisme est un tonneau des Danaïdes impossible à remplir.

Le message à la population française est en tout cas très clair : les terroristes entendent montrer que les pouvoirs publics sont incapables de protéger leurs populations. Elles sont donc invitées à se désolidariser de leur Etat et de ses actions, notamment au Moyen-Orient.

Daesh et la réinvention du terrorisme d’Etat

En revendiquant les attentats du 13 novembre, Daesh choisit une forme d’action terroriste bien spécifique, dont les messages sont distincts des messages du terrorisme des années 2000. La militarisation de l’action, la massification des bilans, le refus de choisir ses victimes, la concomitance avec les négociations de Vienne sur la Syrie, la multiplication des théâtres d’opération, tout indique le choix d’un terrorisme étatisé (et non pas internationalisé et franchisé comme Al-Qaida), d’une forme d’action qui vise avant tout à établir les commanditaires en autorités étatiques.

SourceEurasia Prospective

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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