La crise financière qui vient, par Philippe Murer

La crise financière qui vient, par Philippe Murer© Lai Seng Sin Source: AP
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Selon l'économiste Philippe Murer, la crise de l'énergie et la spirale inflationniste engendrent un risque de crise financière, conséquence de la politique des taux zéro introduite après le tsunami financier mondial de 2008.

Nous avons vu dans un précédent article que la crise énergétique est en train de déclencher une récession violente et potentiellement durable en Europe.

En effet, la crise de l’énergie accélère la crise inflationniste qui existait avant la guerre en Ukraine. Cette inflation détruit le pouvoir d’achat des ménages et génère une baisse de la consommation et donc une récession économique. La crise de l’énergie va causer une nouvelle vague de désindustrialisation et de délocalisations vers l’Asie et les Etats-Unis.

Cela concernera d’abord les industries les plus énergivores puis par ricochet les industries de produits finis. Si nous avons affaire à des pénuries d’énergie (ce sera probablement le cas), alors nous aurons aussi un chaos économique : combien de congélateurs de nourriture perdue chez les ménages et les entreprises, quelles seront les incidences indirectes des fermetures d’usine, des coupures de téléphonie mobile ou d’internet ? Personne ne le sait.

Enfin, il apparaît que certains agriculteurs cultivant des légumes sous serre risquent la faillite à cause du gaz hors de prix. La production d’engrais réalisée à partir de gaz s’effondre en Europe et ailleurs ce qui pourrait occasionner de faibles rendements agricoles et une crise alimentaire. La crise énergétique et économique pourrait déboucher sur une crise alimentaire, la pire crise possible. Quand les gens ont faim, la colère déborde. Cette accumulation de crise pourrait déboucher elle-même sur une crise politique grave.

Le carrefour de crises et cette instabilité globale nous conduit à la possibilité d’une crise financière importante en Occident.

Vers un éclatement des bulles ?

Depuis la crise des subprimes de 2008, l’économie occidentale s’est mise à croître presqu’uniquement grâce à des taux à 0%. En effet, l’industrie est la clé de la prospérité. Ce graphique illustre parfaitement ce principe. Les pays aux revenus les plus élevés sont ceux qui défendent, encouragent et ont le plus de production industrielle, les pays aux revenus les plus faibles sont ceux qui négligent ou ont à cause de leur histoire le moins d’industrie.

Corrélation Production industrielle par habitant en dollar et PIB par habitant en dollar© Banque mondiale
Corrélation Production industrielle par habitant en dollar et PIB par habitant en dollar

La désindustrialisation subie par l’Occident suite aux accords de libre-échange signés notamment avec l’Asie (au premier rang, la Chine), empêche les économies occidentales de croître grâce à une croissance de la production réelle. Les taux 0 sont donc une obligation pour elles. Les taux 0 allègent le fardeau de la dette et des jours difficiles, permettent d’avoir une croissance de l’économie financière, une croissance de certains patrimoines et de certaines consommations (services financiers, luxe, ameublement…), basée sur la dette et des bulles d’actifs, immobiliers et financiers (bourse, obligations d’état, crypto-monnaies etc.). En résumé, la croissance se fait surtout par les paradis artificiels et non par la croissance de l’économie réelle. Aujourd’hui, cette pelote pourrait se dérouler en sens inverse via une crise financière.

En effet, l’inflation élevée en Occident, en accélération en Europe avec la crise de l’énergie, oblige les banques centrales européennes à avoir des taux assez élevées pour éviter qu’une spirale hausse de prix-hausse de salaires ne s’enclenche. Cette hausse des taux fait naturellement baisser les prix des marchés financiers et immobiliers. Les marchés d’actions et d’obligations américaines ont vu ainsi leurs prix baisser de 20% chacun cette année. Ira-t-on jusqu’à l’éclatement des bulles ?

La crise financière peut arriver par de multiples canaux.

Le serpent financier se mord la queue

Des banques systémiques comme Crédit Suisse ou Deutsche Bank portent trop de risque, sont trop liées à la spéculation. Ainsi, Crédit Suisse a réussi l’exploit de perdre des milliards d’euros dans les faillites de l’entreprise spéculative Archegos et de la société financière Greensill, hors de toute crise financière, en 2021. Elle doit payer aujourd’hui des taux d’intérêt 3% au-dessus de l’Etat pour emprunter. Ceci n’est pas tenable pour une banque qui passe alors en marge négative lorsqu’elle prête à des clients. Si ces grandes banques systémiques s’effondrent, le château de carte financier s’effondre et nous pourrions assister comme fin 2008 à un nouveau moment «Lehman Brothers». Remarquons que les actions des grandes banques européennes ont globalement baissé de 85% depuis 2007 ce qui témoigne d’une santé financière très fragile.

Les fonds de «private equity», sociétés financières qui achètent avec des dettes financières des entreprises déjà naturellement endettées ont investi 10 000 milliards de dollars. Que se passera-t-il si une récession économique occasionne des résultats négatifs qui empêchent le remboursement des dettes ? Quid des entreprises rachetées ?

La crise peut venir des «produits dérivés» financiers. Il y a selon la BRI 800 000 milliards de dollars de produits dérivés dans le monde. Ces contrats financiers risqués sont signés entre les grandes sociétés bancaires, d’assurances, financières en général. Une partie de ce château de cartes peut aussi s’effondrer à tout moment et personne ne connaît ni ne maîtrise le risque financier induit par ces montagnes de risques.

Un exemple a été fourni par l’effondrement de 13% en 15 jours des obligations du gouvernement britannique. Les obligations d’Etat à 10 ans sont des produits peu volatils. C’est l’actif de base des fonds de pension anglais qui ont 3 800 milliards de livres sterling d’investissement (les fonds de pension américains pèsent quant à eux 35 000 milliards de dollars). Ces fonds de pension achètent des obligations d’Etat et un peu d’actifs plus risqués. Ils versent chaque mois une partie importante des retraites des Britanniques avec les intérêts et dividendes qu’ils en retirent. Mais depuis 2012, les taux de ces obligations d’Etat ont été proches de 0 (3 500 milliards de Livres investis à taux 0 rapportent 0), ce qui mettait en risque le versement des retraites. Les fonds de pension ont donc pris de plus en plus de risques en achetant des produits dérivés risqués pour un montant de 1 800 milliards de livres auprès des banques.

Ils ont ainsi augmenté sensiblement le rendement de leurs investissements, tant que les taux 0 étaient de mise. Le revers de la médaille existe : lorsque les taux augmentent fortement, ces stratégies occasionnent d’énormes pertes pour les fonds de pension qu’ils doivent couvrir en envoyant des dizaines de milliards de Livres de cash à leurs banquiers. Certains n’ayant plus de cash ont dû vendre en catastrophe des obligations d’Etat ce qui rajoutait de la baisse à la baisse précédente. C’est ainsi que les obligations d’Etat ont effectué en 15 jours un mouvement de baisse jamais vu. Remarquons que ce processus impose aux fonds de pension de céder à la casse les actifs qui leur permettent de verser des retraites !

Il s’agit donc d’une potentielle catastrophe pour le système de retraite britannique. Un fond de pension a même dû appeler à l’aide la Banque d’Angleterre. La seule solution pour éviter l’effondrement des obligations d’Etat britannique et des fonds de pension a été l’annonce d’achats massifs par la Banque d’Angleterre d’obligations d’Etat pour faire remonter leur prix. Cela a permis de calmer légèrement les marchés financiers qui savent cependant que la situation n’est pas pérenne. En effet, l’achat via l’argent de la banque centrale d’obligations d’Etat, est de la création de monnaie qui génère de l’inflation, inflation qui est justement le problème économique occasionnant la baisse de ces obligations. Le serpent financier se mord la queue.

Il est donc probable qu’une crise financière se déclenche dans les mois à venir et personne n’a aujourd’hui de certitudes sur «quel en sera l’élément déclencheur» ; les candidats sont nombreux et parfois cachés. Malheureusement, une crise financière nourrirait la crise économique, rajouterait de la crise à la crise et augmenterait l’instabilité générale.

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