«Une guerre dévastatrice pour les deux camps» : lancement d'une opération militaire en Ethiopie
Une vaste opération militaire a été lancée dans la région du Tigré en Ethiopie, accusée par Addis-Abeba de velléités sécessionnistes. Cette escalade des tensions pourrait coûter cher aux deux camps, selon Marc Lavergne pour RT France.
Depuis l'organisation en septembre d'élections régionales non reconnues par le pouvoir central, la situation se tend dangereusement entre le gouvernement éthiopien et la province du Tigré, faisant craindre un conflit susceptible de menacer la stabilité déjà fragile du deuxième pays le plus peuplé du continent avec plus de 100 millions d'habitants et, au-delà, de toute la Corne de l'Afrique.
Après y avoir décrété l'état d'urgence pour six mois, le pouvoir central a lancé le 4 novembre 2020 une vaste opération militaire dans la province du Tigré contre le Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF) – parti qui dirige cette région septentrionale et défie depuis plusieurs mois l'autorité du gouvernement fédéral – accusé par Addis-Abeba de velléités sécessionnistes. Cette escalade des tensions pourrait coûter cher aux deux camps, a estimé pour RT France Marc Lavergne, spécialiste de la Corne de l'Afrique.
Vers un conflit ouvert dans la région du Tigré ?
Selon un avis d'information des Nations unies diffusé le 8 novembre, «une frappe aérienne a visé Mekele», la capitale du Tigré, à proximité de l'aéroport. «Une seule explosion a été notée, ainsi qu'une riposte venue du sol», ajoute ce rapport.
Un responsable des Nations unies, sous couvert d'anonymat, a indiqué la veille à l'AFP que, selon un rapport interne, les forces armées tigréennes tenaient le quartier général de l'armée éthiopienne à Makele, qui est l'une des plus importantes bases militaire d'Ethiopie, héritage des années de guerre avec l'Erythrée, qui borde le Tigré.
Un média public éthiopien a également cité le 8 novembre le nouveau général Berhanu Jula affirmant que les forces fédérales avaient «totalement détruit les armes lourdes de la clique de traîtres», en référence au Front de libération des Peuples du Tigré, qui a, durant près de 30 ans et jusqu'à l'avènement d'Abiy Ahmed en 2018, dominé les structures de pouvoir en Ethiopie. Berhanu Jula, promu général le 8 novembre, a ajouté que les soldats éthiopiens avaient «complètement capturé» quatre villages de l'ouest du Tigré où se sont concentrés les combats.
Le gouvernement du Tigré a pour sa part assuré dans un communiqué avoir abattu un «avion militaire», sans qu'il soit possible de vérifier l'affirmation.
Des puissances extérieures «sont intéressées à démembrer cette Ethiopie», selon Marc Lavergne
Du fait de la coupure de tous les moyens de communications aussi bien hertziens que terrestres dans la province du Tigré, Marc Lavergne a d'abord expliqué qu'il est très compliqué d'avoir des informations sur ce qui s'y déroule.
Néanmoins, ce conflit n'est pas «inattendu», selon le spécialiste de la Corne de l'Afrique, puisqu'il «se préparait depuis fort longtemps avec la constitution d'une base arrière au Tigré pour les dirigeants [régionaux] qui avaient été évincés du pouvoir» en 2018. Ainsi, d'après Marc Lavergne, il existe un sentiment larvé de revanche des Tigréens «à l'égard des gens qui étaient au pouvoir à Addis-Abeba».
Le spécialiste a ensuite rappelé que les Tigréens étaient au départ «un mouvement de guérilla créé par l'Erythrée pour déstabiliser le pouvoir d'Addis-Abeba. Ils ont pris ce pouvoir à la chute de l'URSS en 1991. Depuis lors, ils ont fait fortune et sont devenu un élément central dans la composition de l'Ethiopie». Après s'être fait évincer du pouvoir, poursuit-il, les Tigréens cherchent donc «à prendre leur revanche non pas tellement en reprenant Addis-Abeba et le pouvoir central, mais en développant une envie d'indépendance».
Si les différends liés à la «mosaïque ethnique très complexe» s'ajoutent aux enjeux politiques dans ce conflit, des éléments extérieurs qui «sont intéressés à démembrer cette Ethiopie ou du moins à l'affaiblir» sont également à prendre en compte. Le chercheur a en effet rappelé pour RT France que «l'Ethiopie est un géant d'Afrique, siège de l'Union africaine, donc un pouvoir à l'importance considérable». Or, «on sait, depuis cette histoire de barrage sur le Nil, les difficultés qu'il y a entre l'Egypte et l'Ethiopie», a rappelé Marc Lavergne.
«L'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis sont des pays qui regardent vers la mer Rouge, et tout ce qui se passe autour de la mer Rouge les inquiète», a fait savoir le spécialiste de la Corne de l'Afrique. Ce sont donc des pays qui pourraient intervenir pour tenter de pacifier la situation. Mais, a relevé Marc Lavergne, «d'un autre côté, la puissance émergente de l'Ethiopie gênait d'une certaine manière l'Arabie saoudite, qui a exclu l'Ethiopie des pays riverains de la mer Rouge quand elle a créé cette organisation il y a maintenant deux ans».