Le renseignement américain bientôt dépassé par la puissance chinoise ?
En se focalisant pendant deux décennies sur la lutte contre le terrorisme, les services de renseignement américains ont délaissé l'émergence de la puissance chinoise, analyse un rapport de la Chambre des représentants des Etats-Unis.
Le 30 septembre 2020, la commission de la Chambre des représentants des Etats-Unis chargée d’évaluer les activités des agences de renseignement a rendu public un rapport de 37 pages dans lequel elle affirme qu'en l'absence de changements significatifs, le gouvernement et les renseignements des Etats-Unis ne seront pas en capacité de «continuer à concurrencer la Chine sur la scène mondiale lors des décennies à venir».
Le rapport, basé sur des centaines d'heures d'entretiens avec des agents du renseignement, constate que la communauté du renseignement des Etats-unis (17 agences, dont la CIA et la NSA) doit changer sa façon de travailler. Il s'agirait non seulement d'améliorer sa connaissance de la Chine, mais aussi de mieux répondre à «l'importance croissante de l'imbrication des menaces transnationales non-militaires, telles que la santé mondiale, la sécurité économique et le changement climatique».
Une trop grande focalisation sur le terrorisme et le Moyen-Orient
Cette situation des renseignements aurait pour origine les attentats du 11 septembre 2001, date à laquelle les autorités américaines ont réorienté la majeure partie de leurs moyens financiers et technologiques vers le contre-terrorisme et les interventions militaires au Moyen-Orient.
Une concentration de moyens sur une zone géographique qui aurait profité à la Chine qui, elle, a continué à ventiler ses moyens croissants sur l'ensemble du globe.
Le rapport dresse également un tableau inquiétant de la Chine de 2020, qui utiliserait les nouvelles technologies pour créer «un Etat autoritaire post-moderne dans lequel la population du pays est surveillée 24 heures sur 24 par le biais de ses téléphones et d'un réseau toujours croissant de caméras de surveillance équipées d'une technologie de reconnaissance faciale».
Les services chinois seraient par ailleurs depuis 20 ans devenus experts dans l'art de l'espionnage industriel et dans le domaine de la cybersécurité, celle-ci leur procurant la capacité de lancer des attaques massives contre les systèmes informatiques d'un Etat, explique le Congrès des Etats-Unis.
L'interdiction des deux applications chinoises WeChat et TikTok par le gouvernement américain en septembre 2020 n'est pas anodin. TikTok, en particulier, représenterait en effet une «menace pour la sécurité nationale», selon les auteurs américains du rapport, avec d'importants transferts de données de ses 100 millions d'utilisateurs américains vers la Chine. Le président américain Donald Trump accuse d'ailleurs TikTok d'espionnage au profit de Pékin, ce que rejette le réseau social.
Le bilan dressé par la commission est sans ambiguïté : «En l'absence d'une réaffectation significative des ressources, le gouvernement américain et la communauté du renseignement ne parviendront pas à atteindre les résultats requis pour permettre aux Etats-Unis de continuer à concurrencer la Chine sur la scène mondiale pendant les décennies à venir, et pour protéger la santé et la sécurité des Etats-Unis».
La Chine, nouvelle bête noire des Etats-Unis
Le rapport recommande par conséquent que les agences d'espionnage fassent meilleur usage des données en open source, modernisent leurs pratiques d'embauche et réorientent leurs priorités en matière de dépenses. Bien que le texte ait été rédigé par la majorité démocrate de la commission, la commission plénière l'a approuvé avec les voix des républicains.
Ce rapport à charge est publié dans un contexte où les relations entre les Etats-Unis et la Chine connaissent une «tension sans précédent», selon l'ambassadeur de la République populaire à Washington, Cui Tankai. Celui-ci avait également déclaré en août qu'une nouvelle guerre froide «ne servirait les intérêts de personne».
L'administration Trump décrit en effet régulièrement la Chine comme une menace majeure pour les Etats-Unis, mais aussi pour le «monde libre». Le secrétaire d'Etat Mike Pompeo l'a par exemple martelé me 23 juillet : «Si nous nous inclinons maintenant, nos petits-enfants pourraient être à la merci du Parti communiste chinois, dont les actes constituent le premier défi du monde libre.» Une vision bipolaire que rejette notamment la Russie, Moscou ayant fait savoir que l'idée d'un front commun contre Pékin n'était pas une option envisageable.