Comment les masques respiratoires sont devenus un enjeu géopolitique

Comment les masques respiratoires sont devenus un enjeu géopolitique© "AFP PHOTO / ECPAD / THOMAS PAUDELEUX " Source: AFP
Première livraison de masques par un Antonov 124 de la compagnie russe Volga-Dnepr en provenance de Chine à l'aéroport de Paris-Vatry par l'établissement de ravitaillement du Service de santé des armées à Marolles (Marne), le 30 mars 2020.
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La demande de pétrole s’est effondrée, mais celle des masques de protection respiratoire explose, et cette fois c’est la Chine qui domine le marché. Cette situation engendre déjà des changements dans l’ordre géopolitique mondial.

Au cours du premier semestre 2020, les brokers (courtiers) du monde entier ont assisté à un phénomène rare d’inversion de la courbe des prix de deux commodities (marchandises) en apparence sans rapport : le pétrole et les masques de protection respiratoire. Alors que la demande pour la première s’effondrait entrainant une chute des prix de plus de 50% fin mars par rapport au début de l’année, celle pour les masques donnait lieu à une foire d’empoigne mondiale.

Selon les informations du New York Times, les prix de gros des masques à la norme N95, (la plus élevée et destinée en priorité à la protection du personnel médical) ont quintuplé et les tarifs du fret aérien trans-pacifique (Asie-Amérique) ont triplé.

La Chine, d’où s’est propagé le nouveau coronavirus, produit à elle seule la moitié des masques de protection respiratoire dans le monde. A ce titre, elle joue et a joué un rôle prédominant dans la lutte contre l’épidémie mondiale de Covid-19. Alors que l'épidémie se propageait, le gouvernement chinois a bloqué les exportations de masques et a exigé que tous les fabricants du pays, y compris la filiale de l’américain 3M, augmentent leur production.

Cette situation a contribué à provoquer des pénuries dans le reste de l’Asie, en Europe et aux Etats-Unis, lorsque l’épidémie s’est propagée au-delà des frontières chinoises. Dans de nombreux pays, dont la France, les autorités sanitaires se sont trouvées dans l’incapacité de protéger totalement leurs personnels soignants, sans parler de leur population.

Pour importer de Chine des masques en nombre suffisant, la France a mis en place ce que les médias ont unanimement appelé un «pont aérien». Un terme qui, dans l’inconscient collectif européen, est immédiatement associé à un événement majeur du début de la Guerre Froide : le pont aérien mis en place en 1948 pour ravitailler Berlin-Ouest, isolé en territoire contrôlé par l’armée soviétique.

Incidents diplomatiques

Cette pénurie générale et la course aux achats de masques respiratoires et d’autres équipements médicaux (gants, blouses, lunettes…) ont déjà été à la source d’incidents diplomatiques. Ainsi, le 5 mars, la France a saisi près de Lyon quatre millions de masques de fabrication chinoise appartenant à une société suédoise qui les commercialise. Un quart seulement des masques étaient destinés à la France, le reste devant être exporté vers d’autres pays, dont l’Espagne et l’Italie, les plus durement touchées par l’épidémie.

Ce n'est pas ainsi qu’on se comporte avec les partenaires transatlantiques. Même en temps de crise mondiale, on ne devrait pas recourir à ces méthode du Far West

L’Allemagne et la France ont aussi accusé les Etats-Unis de détourner à leur profit des cargaisons qui leur étaient destinées. Le ministre allemand de l’Intérieur, Andreas Geisel a même qualifié l’opération de réquisition de chargements sanitaires par les Etats-Unis d’ «acte de piraterie moderne» et déclaré : «Ce n'est pas ainsi qu’on se comporte avec les partenaires transatlantiques. Même en temps de crise mondiale, on ne devrait pas recourir à ces méthode du Far West.»

Aux Etats-Unis, selon l’agence de presse américaine Bloomberg, les Etats fédérés en sont réduits à participer à des enchères, les uns contre les autres, pour acheter des lots de masques dont les adjudications peuvent se faire à des tarifs 10 fois supérieurs à la normale.

Le 2 avril le président des Etats-Unis Donald Trump s’en est pris sur twitter au groupe industriel américain 3M, premier fabricant de masques respiratoires du pays. Il reprochait à l’inventeur du Post-it, de ne pas en faire assez pour produire les masques dont manquent les Etats-Unis ne fût-ce que pour protéger leur personnel hospitalier. 

3M et une poignée de concurrents plus petits produisent actuellement environ 50 millions de masques N95 (norme supérieure) par mois, bien en deçà des 300 millions d'unités estimées nécessaires aux seuls professionnels de santé américains chaque mois, selon le Wall Street Journal.

Les regards tournés vers la Chine 

Dans cette situation d’épidémie inédite par son ampleur que de nombreux dirigeants – dont le président français Emmanuel Macron –  ont qualifié de «guerre», tous les regards sont naturellement tournés vers la Chine. La puissance asiatique a vu naître l’épidémie ; a, la première, rendu public le séquençage du génome du coronavirus Sars-nCoV2, et enfin domine la production mondiale des équipements sanitaires pour le combattre.

Mais elle s’est attirée de nombreux reproches des chancelleries occidentales. Pékin a tout d’abord été accusé d’instrumentaliser à des fins politiques l’aide qu’elle a fournie à certains pays comme l’Italie ainsi que ses livraisons de masques de protection respiratoire.

Plus récemment une nouvelle polémique a éclaté à propos de la sincérité des chiffres de mortalité annoncés par les autorités chinoises. Elle a pris de l’importance avec la diffusion le 1er avril par Bloomberg d’une dépêche titrée «La Chine a dissimulé l’étendue de l’épidémie selon les services secrets américains». La dépêche ne fournit aucun détail sur ce rapport. On lit seulement que «les responsables ont demandé à ne pas être identifiés car le rapport est secret et ils ont refusé d'en détailler le contenu». Mais l’idée maîtresse, selon eux, est «que les chiffres de la Chine sont faux».

Le jour même lors d’un point presse à la Maison Blanche, Donald Trump s’exprimant à propos de la Chine déclare :  «Leurs chiffres sont un peu légers et je suis gentil quand je dis ça.» En revanche il dément avoir un reçu un quelconque rapport chiffré. Son vice-président Mike Pence module les accusations à l’égard de la Chine en disant seulement qu’elle a tardé, peut-être d’un mois, à avertir le monde sur la propagation du virus et déclare «La réalité est que nous nous en sortirions mieux si la Chine avait été plus ouverte.»

Plus tôt, Michael McCaul, représentant républicain au Comité des affaires étrangères avait appelé le Département d'Etat à enquêter sur «la dissimulation initiale de Pékin et les actions ultérieures concernant cette pandémie». 

«A-t-on raison de douter du nombre de morts annoncé par la Chine ?»

Quant à la dépêche de Bloomberg, en dépit de son caractère extrêmement vague, elle a été largement reprise ou a inspiré de nombreux sujets, y compris dans les médias français. Le 3 avril, le site web de France TV Info publie une enquête détaillée intitulée «Coronavirus : A-t-on raison de douter du nombre de morts annoncé par la Chine ?»

On y trouve les points de vue d’éminents scientifiques et médecins français, ainsi que le récit de polémiques nées sur les réseaux sociaux. Notre confrère écrit par exemple : «De quoi déclencher une vague de spéculation sur les réseaux sociaux chinois. Extrapolant à partir des chiffres de Caixin, des internautes ont estimé à 3 500 le nombre d'urnes remises quotidiennement à Wuhan, raconte le site américain Radio Free Asia.» Est-il nécessaire de préciser que Radio free Asia est directement financée par le Congrès des Etats-Unis ? 

A son tour, dans sa chronique de géopolitique sur la radio publique France Inter le journaliste français Pierre Haski, s’interroge sur «le mystère des chiffres chinois sur les victimes du coronavirus». Il évoque des «évaluations [qui] font état de près de vingt fois plus de victimes». Mais Pierre Haski ne va pas jusqu’à calculer que, si l'on prenait en compte les estimations les plus dramatiques tirées des réseaux sociaux, on n’aboutirait qu’à 65 000 morts dans un pays de plus d’1 milliard et 300 millions d’habitants.

Par comparaison, aux Etats-Unis, le président Trump a déjà envisagé jusqu’à 200 000 morts dans un pays pourtant quatre fois moins peuplé et encore perçu comme la première puissance mondiale. Dans une précédente chronique géopolitique, Pierre Haski avait aussi vu dans l’épidémie mondiale un «révélateur du déclin de l’Occident». 

Mais pour tenter d’en avoir le cœur net sur cette histoire de chiffres et ses enjeux réels, nous avons interrogé, sous le couvert de l’anonymat, un très haut gradé de la médecine militaire française, spécialiste des maladies tropicales aujourd'hui retiré du service. Lui aussi est troublé par les chiffres de mortalité annoncés par la Chine, et pense qu’ils ont pu être «très inférieurs à la réalité». Mais il souligne, par ailleurs, que le système hospitalier des Etats-Unis est selon lui mal préparé à une telle épidémie. «Plus mal que les hôpitaux français», précise-t-il.

Ivan Lapchine  

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