International

Rencontre au «format Normandie» : quelle stratégie pour mettre fin au conflit en Ukraine ?

La rencontre au «format Normandie» prévue à Paris le 9 décembre sera l'occasion de relancer les discussions sur une cessation du conflit dans l'est de l'Ukraine. Objectif : aboutir à un cessez-le-feu, dans une région à l’économie exsangue.

Alors que s’ouvre à Paris, le 9 décembre, un sommet au «format Normandie» réunissant la France, l’Ukraine, la Russie et l’Allemagne, afin d’aboutir à un règlement du conflit qui fait rage depuis 2014 dans l’est de l’Ukraine et qui a déjà fait plus de 13 000 morts (dont plus de 3 000 civils) et plusieurs millions de déplacés, selon le Haut-commissariat des Nations unies, le pays reste toujours durement affecté.

Dans la région ukrainienne frappée par la guerre, autrefois prospère grâce à son sous-sol et à son industrie métallurgique, l’économie est peu à peu tombée dans l’atonie. Globalement, le PIB par habitant ukrainien a durement pâti du conflit, selon une étude intitulée «The war in Europe: Economic costs of the Ukrainian conflict» publiée par l'Institut allemand pour la recherche économique.

Eviter un enlisement du conflit

Faire sortir le pays du marasme économique fait donc également partie des enjeux des négociations de paix dans le Donbass. Dans une interview publiée par La Croix le 8 novembre dernier, l’ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavlo Klimkine, farouche opposant à tout rapprochement avec la Russie, avait prévenu qu’un enlisement du conflit, qui maintiendrait le statut quo, était «le scénario le plus probable».

«On peut imaginer une Russie qui décide de garder le Donbass sous un statut quasi-indépendant, tout en conservant la réalité du pouvoir. Le conflit alternerait le froid et le chaud, en fonction des intérêts du Kremlin qui aurait recours à la guerre hybride», avait-il alors prévenu, accusant donc la Russie d'exercer une influence directe sur les forces rebelles de l'Est ukrainien. Face à cette menace d'immobilisme, les partenaires du format Normandie ont tenté ces derniers mois d’aboutir à un consensus.

Emmanuel Macron a plusieurs fois réaffirmé sa volonté de resserrer les liens entre l’Union européenne et Russie, une étape qu'il considère essentielle à l'avancée des négociations sur le Donbass. Il a par exemple déjà reçu deux fois Vladimir Poutine depuis son entrée en fonction, ou encore mis en lumière les résistances de «l’Etat profond» au rapprochement entre la France et la Russie, tout en requérant un dialogue «exigeant» avec son homologue.

De leur côté, le président russe Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky se sont entretenus par téléphone à de multiples reprises depuis l’entrée en fonction du nouveau président ukrainien. Ces discussions ont débouché, en septembre, sur un échange historique de prisonniers entre la Russie et l’Ukraine (70 au total). Un mois plus tard, le 1er octobre, le représentant russe auprès du Groupe de contact trilatéral sur l'Ukraine, Boris Gryzlov, officialisait la mise en place par toutes les parties en Ukraine d'une feuille de route dite «formule de Steinmeier», avancée majeure vers un règlement du conflit.

Le début du retrait des troupes des villages de Petrivské et Bogdanivka, situés à proximité de Donetsk, entamé le 9 novembre, a également contribué à détendre les relations entre l’Ukraine et les Républiques populaires autoproclamées de Donetsk (DNR) et de Lougansk (LNR), mais aussi avec la Russie. Une dizaine de jours plus tard, Moscou annonçait que les trois navires militaires ukrainiens saisis pour violation des eaux territoriales russes près de la Crimée en novembre 2018 avaient été rendus à Kiev.

Résistances en Ukraine

Si ces nouvelles sont apparues comme des signaux positifs, plusieurs personnalités ukrainiennes ne l'entendent pas de cette oreille, à l’instar du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov. «Poutine a mis le masque de faiseur de paix mais il n’a pas renoncé à ses objectifs : il veut soumettre l’Ukraine et les pays limitrophes pour retrouver sa zone d’influence», a souligné le réalisateur, emprisonné en Russie pendant cinq ans, dans un entretien à Ouest-France mis en ligne le 5 décembre.

Même son de cloche chez Petro Porochenko, qui avait lancé en 2014 l'opération militaire dans l'est du pays dans la foulée de son élection à la présidence ukrainienne. «Poutine manipule tout le monde, sur le fond, les faits, les chiffres, les cartes, les émotions […] Dans ce contexte, un conseil sincère : évitez les rencontres les yeux dans les yeux avec [Vladimir] Poutine lorsque c'est possible, pour ne pas être victime de ses flagorneries et manipulations, ses jeux sur les émotions», a fait valoir l'homme d’affaires, largement battu par Volodymyr Zelensky lors de la dernière élection présidentielle, dans une tribune publiée par le journal ukrainien Ukrayinska Pravda le 6 décembre.

Par ailleurs, des milliers de personnes ont  manifesté à Kiev, dans la soirée du 21 novembre, pour protester contre ce qu’ils considèrent être une «capitulation» de Kiev face à Moscou. «Toutes concessions ne font que détériorer la situation. On ne peut pas conclure un accord avec Poutine», avait par exemple expliqué à l'AFP Andriï Serguiïenko, l'un des manifestants. Plus largement, la volonté de dialogue affichée par Volodymyr Zelensky vis-à-vis de la Russie ne fait pas l’unanimité dans son pays, les nationalistes et les anciens combattants lui reprochant de se soumettre devant son voisin. Un groupe composé d'hommes politiques et d'anciens diplomates ukrainiens, le Mouvement de la résistance à la capitulation, milite ainsi pour qu'une alternative aux accords de paix de Minsk soit trouvée – alors même qu'Emmanuel Macron, Angela Merkel et Vladimir Poutine ne voient pas d'autre option que ces accords pour avancer vers la paix dans l'Est ukrainien.

La volonté d’un «véritable cessez-le-feu»

Dans un entretien au Monde mis en ligne le 2 décembre, Volodymyr Zelensky a rappelé que «la tenue de [la réunion au format Normandie du 9 décembre était] déjà, en soi, une victoire» mais que «le véritable succès [serait obtenu] quand la diplomatie prendra[it] le pas sur les armes», indiquant que sa priorité était «de sauver des vies».

«Le sujet [du cessez-le-feu] a été prioritaire dans les précédents accords de Minsk. Et il est vrai que l’intensité des tirs a diminué depuis 2015, tout comme le nombre de victimes, mais ce n’est pas fini. Nous voulons un véritable cessez-le-feu», a-t-il encore ajouté.

Quant à savoir si le président ukrainien fait confiance à son homologue russe, celui-ci a été très clair. Une réponse directe adressée aux critiques de sa stratégie : «Je ne fais confiance à personne. La politique n’est pas une science exacte comme les mathématiques. Il ne s’agit pas de résoudre une équation à une ou plusieurs inconnues. En politique, il n’y a que des inconnues. Et chacun défend ses propres intérêts.»

La rencontre du 9 décembre représente une opportunité historique pour les chancelleries ukrainienne, russe, allemande et française de s'accorder sur une sortie de la crise dans l'Est ukrainien. Et quoique certaines franges de la société ukrainienne s'opposent à la mise en œuvre des accords de Minsk, ces derniers constituent à l'heure actuelle l’unique plateforme de discussions susceptible de mettre fin au conflit.

Lire aussi : «Format Normandie» : tout comprendre sur le sommet prévu le 9 décembre à Paris