Imran Khan reconnaît que le Pakistan a entraîné des djihadistes en Afghanistan
«Entraîner al-Qaïda puis soutenir les Etats-Unis après le 11 septembre a été une erreur» a fait savoir Imran Khan, le Premier ministre pakistanais. Ces propos relancent les accusations de soutien aux groupes islamistes dans le Cachemire indien.
Lors d'un entretien accordé le 23 septembre au think-thank américain Council of foreign relations (CFR), le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a officiellement reconnu que son pays avait armé et formé des groupes djihadistes combattant l'Armée rouge durant la première guerre d'Afghanistan (1979-1989). Selon lui, l'armée et les services de renseignements pakistanais ont entraîné al-Qaïda ainsi que divers groupe pour combattre en Afghanistan. «Il y a toujours eu un lien entre eux parce qu'ils les ont formés», a-t-il ainsi fait savoir.
L'ancien champion de cricket a poursuivi : «Dans les années 1980 quand les Soviétiques ont envahi l'Afghanistan, le Pakistan aux côtés des Etats-Unis – et aidé par les Etats-Unis – a organisé la résistance aux Soviétiques. L'ISI [les services de renseignement pakistanais] a entraîné ces combattants qui ont été invités depuis les quatre coins du monde musulman à faire le djihad contre l'Union Soviétique», a-t-il ajouté.
En combattant les Soviétiques, le djihad a été glorifié
«Et donc nous avons créé ces groupes pour combattre les Soviétiques. Bien sûr, en combattant les Soviétiques, le djihad a été glorifié», a poursuivi Imran Khan. Durant cette période, l'Inter-services intelligence (ISI) du Pakistan, ainsi que l'armée pakistanaise, avaient notamment soutenu, avec l'aide américaine, le groupe Hezb-e-islami Gulbuddi», du seigneur de guerre Gulbuddin Hekmatyar.
«Les djihadistes ont été des héros», relève Imran Khan
La milice a notamment combattu les Taliban durant les années 1990 pour se rallier dans les années 2000 à Oussama Ben Laden et au mollah Omar, le chef des Taliban, face au gouvernement afghan et à l'armée américaine.
Le «boucher de Kaboul» a finalement fini par déposer les armes le 22 septembre 2016 dans l'optique d'une normalisation politique au sein du gouvernement afghan.
Les services de renseignement pakistanais et les militaires ont également soutenu le Maktab al-khidamat (MAK), dont ont été membres Oussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri, l'actuel dirigeant d'al-Qaïda. Le MAK a servi de matrice à la nébuleuse terroriste au moment de sa fondation en 1988.
Le Premier ministre pakistanais a rappelé que lorsque les dirigeants du djihad afghan ont été reçus à Washington, le président américain Ronald Reagan a fait l'éloge de ces djihadistes en vantant «[leur] équivalence morale [avec] les pères fondateurs des Etats-Unis». Imran Khan a conclu sa tirade : «donc […] les djihadistes ont été des héros.»
Le Premier ministre a ensuite regretté que les Etats-Unis ait laissé le Pakistan seul avec ces groupes après le retrait soviétique. Alors qu'après les attentats du 11 septembre, le Pakistan a rejoint les Etats-Unis lors de son invasion de l'Afghanistan en 2001, Imran Khan a poursuivi : «J'y ai été opposé dès le premier jour.» Selon lui, entraîner les djihadistes dans les années 1980 a été une «superbe idée», alors que rejoindre les Américains en 2001 a été «une gaffe».
Double jeu du Pakistan ?
Imran Khan vient du parti islamiste «Pakistan tehreek-e-insaf» (PTI), ou mouvement de la justice pakistanais. Fondé en 1996, son programme appelle à une «démocratie islamique», comme à un «Etat social islamique». Il entretient des liens très fort avec le Jamaat-e-islami, parti fondé en 1941 qui appelle à la création d'un «Etat islamique» au Pakistan et rejette les valeurs démocratiques.
Après le 11 septembre, les accusations de soutien aux groupes islamistes par le Pakistan ont encore eu de nombreux soutiens. Durant le mandat de président de la République islamique du Pakistan de Pervez Musharraf, la ville de Mumbai en Inde a subi une série de 10 attentats entre le 26 et le 29 novembre 2008. Le groupe islamiste à l'origine des attaques, le Lakshar-e-toiba (LET), a été soupçonné d'entretenir des liens étroits avec l'ISI qui aurait financé et encouragé l'entreprise terroriste.
L'ISI et l'armée pakistanaise auraient également été impliqués dans la formation et l'entretien de groupes islamistes dans la partie indienne du Cachemire. En octobre 2010, Pervez Musharraf a révélé que l'Etat pakistanais avait formé ce genre de groupe durant son mandat. On retrouve divers groupes, comme le Lakshar-e-toiba, le Jaish-e-Mohammad, ou encore le Harkat-ul-jihad al-islami (HUJI) qui ont tous commis des attentats dans la partie indienne du Cachemire et dans d'autres parties de l'Inde. L'incapacité du Pakistan à freiner l'implantation de Daech au Cachemire a également montré que la manipulation des groupes djihadistes pouvait également se retourner contre les intérêts pakistanais.
L'Etat pakistanais a néanmoins théorisé dans les années 1970 une politique consistant à «saigner l'Inde d'un millier de coupures» quand les militaires pakistanais se sont aperçus qu'ils ne pouvaient pas vaincre l'Inde dans une guerre conventionnelle. Hussein Haqqani, ancien ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis, avait ainsi qualifié en 2016 le djihad d'«option low-cost» pour «saigner l'Inde», et qu'Islamabad voyait le terrorisme comme «une guerre asymétrique». Les propos d'Imran Khan le 23 septembre interviennent en pleine escalade des tensions autour du Cachemire depuis le mois d'août quand l'Inde a révoqué l'autonomie du Cachemire.