Le Parlement européen ne veut plus de la Russie comme «partenaire stratégique»
A l'approche des élections européennes, le Parlement européen semble accélérer le rythme. Une résolution voté le 12 mars désigne la Russie, plus que jamais, comme un adversaire. Comme toujours, en réaction à une prétendue agression russe.
D'un point de vue strictement géographique, l'Europe et la Russie font partie du seul et même continent et auraient vocation à échanger, commercer et coopérer, en particulier sur le plan stratégique. Mais le fossé semble se creuser toujours plus entre la Fédération de Russie et l'Union européenne (UE).
Est-ce l'approche du cinquième anniversaire du rattachement, le 18 mars 2014 – après référendum – de la Crimée à la Russie ? Le 12 mars, à moins de trois mois des européennes, les députés européens ont en tout cas adopté «une résolution examinant l’état actuel des relations politiques entre l’UE et la Russie». Il s'agit en réalité d'une longue charge virulente, qui conclut que «la Russie ne peut plus être considérée comme un partenaire stratégique de l'UE». La résolution, votée à 402 voix pour, 163 contre et 89 abstention préconise également que l'UE se tienne «prête à adopter de nouvelles sanctions à l'encontre de la Russie».
Le texte adopté par les eurodéputés, compilation des accusations portées à l'encontre de Moscou depuis que ses relations se sont dégradées avec les Etats-Unis, dresse une longue liste des torts supposés de la Russie. Il attribue ainsi à Moscou la responsabilité de la crise en Ukraine, après le coup d'Etat pro-Union européenne du Maïdan de février 2014. Pèle-mêle, le texte convoque également des «nouveaux points de tension [...] apparus depuis 2015». L’intervention russe en Syrie, mais aussi «l’ingérence dans des pays comme la Libye et la République centrafricaine», sont pointées du doigt, sans en apporter la preuve mais en omettant de rappeler que Moscou avait répondu à l'appel, souverain, de Damas, conformément au droit international. Et contrairement à l'intervention de 2011 en Libye de la France et du Royaume-Uni, sous l'égide de l'OTAN, qui a eu pour conséquence de plonger le pays dans le chaos.
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L'Europe dépendante du gaz russe... la faute à la Russie ?
La résolution dénie aussi à la Russie la maîtrise de sa politique étrangère. «La Russie est actuellement le principal fournisseur extérieur de gaz naturel de l’Union [...] la Russie se sert de l’énergie pour protéger et promouvoir ses intérêts en matière de politique étrangère», constate le Parlement européen.
En clair : la Russie serait responsable de la dépendance énergétique de l'UE... Les députés européens soulignent en outre que «dans les documents stratégiques de la Fédération de Russie, l’Union et l’OTAN sont présentées comme les principaux adversaires de la Russie». Or, le 6 mars dernier, le général Curtis Scaparrotti, commandant suprême de l'OTAN et de sa force européenne, l'EUCOM réclamait des crédits supplémentaires au Congrès américain, brandissant la menace d'une «agression russe». Un an plus tôt, en mars 2018, l'UE avait élaboré, à la demande de l'OTAN, un plan de mise à niveau et d'uniformisation des infrastructures civiles : ponts et tunnels seront mis au gabarit afin de permettre aux chars d'assaut de l'OTAN de mieux circuler partout dans l'Union européenne, à l'ouest de la Russie.
Faisant feu de tout bois dans ce réquisitoire inédit, le Parlement européen tient également pour acquise l'implication supposée de la Russie dans l'empoisonnement de l'ex-agent double Sergueï Skripal et de sa fille en mars 2018 dans le sud de l'Angleterre. Alors qu'un an après, Londres n'en a toujours pas présenté de preuve concrète.
Plus loin encore, le texte prend acte du divorce UE-Russie en matière de doctrine des relations internationales. «La vision russe polycentrique du concert des puissances contredit la croyance de l’Union en un multilatéralisme et en un ordre international fondé sur des règles», écrivent ainsi les eurodéputés. Face à cette animosité, pourtant, les dirigeants russes n'ont eu de cesse de rappeler leur attachement au droit international, et, précisément, au multilatéralisme. A l'occasion de la crise au Venezuela, et alors que les Etats-Unis réaffirmaient clairement leur droit à l'ingérence en Amérique latine, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait déploré l'alignement des Européens sur Washington. «Il est incroyable que l’Union européenne marche de nouveau dans les pas des Etats-Unis et commence à lancer des ultimatums», avait-il alors regretté. L'«ingérence», une notion à géométrie variable ?
Alexandre Keller
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