Pénurie de main-d’œuvre : l'Allemagne souhaite davantage d'immigrés
Confrontée au vieillissement de sa population et à une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, l'Allemagne veut recruter à l'étranger des travailleurs qualifiés en se dotant pour la première fois d'une loi sur l'immigration.
Les Allemands vont prochainement se doter d'une loi intitulée «loi sur l'immigration des travailleurs qualifiés» pour lutter contre le vieillissement de population et répondre aux besoins des entreprises. Un projet qui a été d'ores et déjà adopté, le 19 décembre, par le gouvernement de la Chancelière Angela Merkel après une négociation entre les sociaux-démocrates du SPD et les conservateurs de la CDU et CSU de la «grande coalition».
«Nous avons besoin de main d’œuvre de pays tiers [hors Allemagne et Union européenne] pour assurer notre prospérité et pouvoir occuper les emplois» vacants, a martelé le ministre de l'Intérieur, le conservateur bavarois CSU Horst Seehofer, le 19 décembre à l'issue du conseil des ministres.
Parmi les plus enthousiastes, le SPD souhaitait d'ailleurs que cette loi soit mise à l'ordre du jour avant la fin de l'année. «C'est un progrès immense : après vingt ans de débat, l'Allemagne se dote d'une loi moderne sur l'immigration», s'est de fait réjoui le ministre SPD du Travail, Hubertus Heil.
L'objectif du projet de loi, qui doit être adopté au Parlement courant 2019, est de répondre au manque de main-d’œuvre dans certains secteurs de la première économie d'Europe. Concrètement, le projet de loi prévoit que les personnes qualifiées originaires de pays hors-UE puissent obtenir un permis de séjour de six mois afin de décrocher un travail.
Durant cette période, ils devront disposer de leurs propres moyens de subsistance et démontrer un niveau d'allemand suffisant. Ils n'auront droit à aucune prestation sociale. Leur permis de séjour sera prolongé s'ils trouvent un emploi.
Un projet de loi distinct doit également permettre à des demandeurs d'asile déboutés, mais qui ne peuvent pas être expulsés d'Allemagne, d'obtenir un permis de séjour s'ils disposent d'un emploi depuis au moins 18 mois, ont un casier judiciaire vierge et ont réalisé «de bons progrès dans l'intégration», selon Horst Seehofer.
La décision du conseil des ministres a en tout cas été saluée par le ministre fédéral SPD des Finances Olaf Scholz : «Pour la première fois, nous avons une loi qui établit des règles claires pour l'immigration contrôlée de travailleurs qualifiés dont nous avons grand besoin. Pour une Allemagne moderne. Bon travail, Hubertus Heil».
Erstmals haben wir ein Gesetz, dass klare Regeln für eine gesteuerte Einwanderung von dringend benötigten Fachkräften schafft. Für ein modernes Deutschland. Gute Arbeit, @hubertus_heil.
— Olaf Scholz (@OlafScholz) 19 décembre 2018
Toutefois, après la vague migratoire de 2015, d'aucuns peuvent craindre une nouvelle tentative du gouvernement visant à mettre la pression sur les salaires des Allemands au profit des entreprises. A l'image de la loi créant des mini-jobs à 80 centimes de l'heure pour les réfugiés, les immigrés pourraient indirectement imposer une concurrence aux salariés allemands. Pas étonnant que le patronat soit favorable à une telle loi, ce dernier appelant d'ailleurs depuis plusieurs années à ce que l'immigration soit facilitée...
Le 14 décembre, le dirigeant de la fédération des patrons allemands BDA, Ingo Kramer, dans une interview au quotidien régional Augsburger Allgemeine, promouvait d'ailleurs l'immigration car «les petites et moyennes entreprises [recherchent] de[s] salariés». «Finalement, Angela Merkel avait raison avec sa phrase "wir schaffen das" [on va y arriver], beaucoup de réfugiés sont devenus un soutien pour l'économie allemande», ajoutait-il.
L'Allemagne prête à ouvrir les vannes, au prix d'une contestation sociale plus grande ?
L'Allemagne entend recruter dans des secteurs stratégiques comme l'informatique, les technologies de l'information ou les métiers de la cuisine et des soins aux personnes âgées. Les manques sont particulièrement criants dans les petites et moyennes entreprises (PME), «cœur» du modèle économique allemand.
Selon des experts de l'Université de Constance et de l'Agence fédérale pour l'emploi, face au vieillissement de ses actifs, l'Allemagne aura besoin annuellement en moyenne jusqu'en 2050 de 400 000 travailleurs originaires de pays situés hors de l'UE.
Si la question salariale deviendra l'enjeu de demain pour les salariés allemands, la question sociale sera elle aussi posée. En effet, Angela Merkel avait déjà reçu de multiples critiques au sein de la classe politique en Allemagne et en Europe pour sa politique migratoire de 2015. Certains avaient notamment relevé les problèmes d'intégration de certaines populations et considéré que certaines violences, comme les agressions de Cologne, étaient en partie dues à cette immigration massive.
La politique d'ouverture a en outre été l'une des causes des difficultés politiques d'Angela Merkel dans les urnes. Si la CDU, en septembre 2017, était arrivée en tête des élections fédérales, son score historiquement bas a contraint la chancelière à s'allier avec le SPD au sein d'une coalition gouvernementale dont aucun des membres de voulait au départ.