Fidèle à sa méthode qui a au moins le mérite de faire bouger les lignes, Donald Trump a une nouvelle fois soufflé le chaud et le froid en amont du prochain sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), en Belgique, les 11 et 12 juillet 2018.
Après un sommet du G7 chaotique début juin 2018, où Donald Trump avait désavoué le communiqué final, tout reste possible avec le président américain qui semble avoir fait sienne l'approche de la «madman theory», qui consiste à adopter un comportement – en apparence – irrationnel et imprévisible dans le but de déstabiliser ses interlocuteurs. L'historien John Laughland estime que cette stratégie du «chien fou» est en réalité calculée. «Cette impolitesse est une façon de manifester sa puissance et la conviction de sa propre supériorité, mettant ainsi ses interlocuteurs sur la défensive. L'essence de l'attaque, c'est la surprise et l'imprévisible Trump en est un maître», explique l'universitaire.
A la veille de son départ, le président américain a multiplié les déclarations contradictoires, façon de mettre la pression sur ses partenaires. Donald Trump a notamment reproché une fois de plus à ses alliés de l'Alliance de ne pas mettre suffisamment la main à la poche pour le financement de leur défense militaire. «Les Etats-Unis dépensent bien plus pour l'OTAN que n'importe quel autre pays. Ce n'est ni juste, ni acceptable», a-t-il tweeté le 9 juillet, avant de se rendre à Bruxelles, où se trouve le siège de l'alliance militaire.
L'Europe tenue de se débrouiller seule... tout en restant dans le giron de l'OTAN
Les tweets de Donald Trump, destinés à planter l'ambiance du sommet de l'OTAN, ont de quoi décontenancer encore un peu ses alliés, notamment européens qui sont fortement encouragés à consacrer 2% de leur produit intérieur brut à leur Défense. 15 des 29 pays qui composent l'Alliance ont accepté de mettre en œuvre une stratégie pour atteindre cet objectif, fixé en 2006 et reformulé en 2014. La France a pour sa part prévu d'augmenter ses dépenses de plus d'un tiers entre 2017 et 2025.
Face aux injonctions aussi contradictoires qu'impérieuses de Washington, les Européens font de leur mieux. En novembre 2017, 23 Etats membres de l'Union annonçaient la création la PESCO – Permanent Structured Cooperation en anglais, soit coopération structurée permanente (CSP), censée compléter l'OTAN, la déchargeant mécaniquement d'une partie de ses charges. Le 25 juin dernier, ajoutant une nouvelle structure à l'usine à gaz de la Défense européenne, neuf pays, emmenés par la France annonçaient la création d'une «Initiative européenne d'intervention», destinée à compléter la PESCO.
Mais cela ne semble pas suffisant pour Donald Trump. «Les Etats-Unis contribuent à 90% [au budget de l'OTAN]», a-t-il encore tweeté, entretenant – sciemment ? – une confusion entre les budgets militaires nationaux et les contributions nationales à celui de l'OTAN. Le budget de fonctionnement, stricto sensu, de la structure de commandement et du siège à Bruxelles se chiffre à seulement 1,3 milliard d'euros pour 2018.
Quitte à tout mélanger, le président a en outre lié la question militaire à celle du déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de l'Europe. «On ne peut pas abuser de nous. L'Union européenne ne peut pas abuser de nous. Nous avons perdu 151 milliards de dollars dans le commerce [avec l'Union européenne] l'année dernière. Et en plus de ça, nous dépensons au moins 70% pour l'OTAN et franchement ça les aide plus que nous», a-t-il déclaré le 10 juillet, au moment où il embarquait pour sa tournée européenne.
Face à ces attaques en règle, qui pourraient faire croire que le dirigeant américain a décidé de mettre les pays membres de l'OTAN dans une position intenable, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a tenté de rétablir un semblant de rapport de force. «Je voudrais m'adresser directement au président Trump qui, depuis longtemps maintenant, critique l'Europe presque chaque jour», a-t-il déclaré le 10 juillet. Et de plaider : «Chère Amérique, considérez mieux vos alliés, après tout vous n'en avez pas tant que ça.»
La Russie, toujours ennemi numéro un de l'OTAN ?
Sur la question de la Russie, Donald Trump se fait tout aussi déconcertant pour ses alliés. Alors que la montée en puissance de l'OTAN, ainsi que son extension en Europe de l'Est s'est faite en invoquant une menace russe, le président américain a, là aussi, semé le doute.
Au sommet du G7 à Charlevoix (Canada), Donald Trump avait pris ses partenaires par surprise en militant pour une réintégration de la Russie au sein du groupe. Pour autant, toujours selon la grille de lecture de la madman theory, le même Donald Trump avait apposé sa signature en décembre 2017 à un document de la Maison Blanche désignant la Russie et la Chine comme des «puissances révisionnistes» menaçant l'hégémonie des Etats-Unis. De quoi en faire perdre leur latin aux alliés de Washington.
A l'approche du sommet de l'OTAN de Bruxelles, le locataire de la Maison Blanche a de nouveau brouillé les cartes. «Il y a l'OTAN, le Royaume-Uni [...] et il y a Poutine», a déclaré le 10 juillet Donald Trump, énumérant ses visites diplomatiques à venir. «Franchement, Poutine pourrait être le plus facile de tous. Qui l'aurait pensé ?», a-t-il poursuivi, faisant référence à son premier sommet bilatéral prévu le 16 juillet avec le président russe à Helsinki. Une façon presque transparente de désavouer l'OTAN, alors que l'Alliance militaire, fondée en 1949 pour contrer l'URSS, avait trouvé dans le renouvellement supposé de la menace russe un motif à son extension jusque dans les pays baltes.
Le 1er juillet, le président américain avait déjà fait part de son mécontentement : «C'est terrible ce qu'ils [les Etats membres de l'Union européenne] nous ont fait [en matière commerciale] et en plus de ça, nous dépensons une fortune dans l'OTAN pour les protéger», avait-t-il confié à Fox News. Les alliés des Etats-Unis, et notamment les Européens, auront été prévenus : à tout moment, ils pourraient se retrouver lâchés en rase campagne. Malgré les aléas de la politique internationale, mais aussi en dépit de la guerre de tranchées que lui livrent ses opposants sur la scène politique américaine elle-même, le dirigeant américain semble donc suivre, vaille que vaille, les propositions sur l'OTAN qu'il avait annoncées alors qu'il n'était que candidat à l'élection présidentielle de 2016.
Alexandre Keller