Deux jours après les frappes, les pays européens appellent au dialogue avec la Russie en Syrie
Après les frappes occidentales sur la Syrie, l’Europe change de ton. Réunis au Luxembourg, les 28 ministres des Affaires étrangères européens ont insisté sur la nécessité de privilégier la voie diplomatique et politique, au détriment du militaire.
Eviter une escalade militaire en Syrie, tel semble être le mot d'ordre de l'Union européenne (UE) après les frappes du 14 avril menées par la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Réunis le 16 avril au Luxembourg, les 28 ministres des Affaires étrangères de l'UE ont en effet tenu à baisser le ton en écartant toute rhétorique guerrière.
Place au processus politique
Les chefs de la diplomatie européens ont appelé à relancer le processus politique pour mettre fin au conflit armé après les frappes des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni. Le Conseil des affaires étrangères européen a ainsi statué : «Les frappes aériennes ciblées ont constitué des mesures spécifiques prises dans le seul but d'empêcher le régime syrien d'utiliser à nouveau des armes et des substances chimiques comme armes pour tuer des Syriens.»
Le chef de la diplomatie française Jean-Yves le Drian s'est félicité de ces conclusions en quittant la réunion : «L'UE et les Etats membres nous ont soutenu dans cette volonté de prévenir et de dissuader toute utilisation de l'arme chimique. L'UE est donc unie.»
Les frappes effectuées en Syrie le 14 avril par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni sont pourtant loin de faire l’unanimité au sein de l’UE et le ministre des Affaires étrangères français a cherché à resserrer les rangs au cours de cette rencontre avec ses homologues. «Il faut espérer maintenant que la Russie comprenne qu’après la riposte militaire [...], nous devons joindre nos efforts pour promouvoir un processus politique en Syrie qui permette une sortie de crise. La France est disponible pour y parvenir», a assuré Jean-Yves Le Drian.
Pression sur les Russes
L'espoir d'avoir réussi à exercer une pression sur les Russes semble partagé par l'Allemagne, qui n'a pas participé à l'opération militaire. La chancelière allemande Angela Merkel avait toutefois jugé les frappes «nécessaires» et «appropriées». Son ministre des Affaires étrangères Heiko Maas a quant à lui estimé que la voie militaire n'était pas une option dans laquelle il fallait persévérer. «On ne peut pas continuer ainsi», a-t-il déclaré tout en ajoutant que l'Union européenne devait «accroître la pression sur la Russie pour l’amener à changer d’attitude». «C’est la condition sine qua non pour régler la question du conflit syrien», a-t-il encore estimé.
«Cesser la diabolisation de la Russie»
De son côté, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a appelé à mettre fin à la diabolisation de la Russie et de son peuple le 15 avril. Il a ajouté que l'Allemagne devrait faire plus pour aider à désamorcer les tensions, étant donné l'histoire unique de son pays avec la Russie. Il a mis en garde contre les risques d'une «confrontation directe entre les forces américaines et russes opérant sur le théâtre syrien». Une option que le président allemand ne veut pas envisager. «Indépendamment de Vladimir Poutine, nous ne pouvons pas déclarer la Russie dans son ensemble, le pays et son peuple, comme un ennemi», a-t-il plaidé, en concluant : «Notre histoire parle contre cela, et il y a trop en jeu.»
«Une opération unique»
Du côté des autres pays européens, on insiste sur le caractère exceptionnel de ces frappes et la nécessité de dialoguer avec la Russie pour sortir de la crise syrienne. Pour le chef de la diplomatie du Luxembourg Jean Asselborn, les frappes occidentales du 14 avril sur la Syrie sont «une opération unique et elle doit le demeurer». «Le but de ces frappes a été de montrer qu'il y une ligne rouge qu'il ne faut pas dépasser», a expliqué son homologue belge Didier Reynders. Les 28 ministres ont confirmé cette idée dans leur déclaration commune : «Nous soulignons que l'élan de la situation actuelle doit être utilisé pour revigorer le processus visant à trouver une solution politique au conflit syrien.»
«Pas de solution sans Moscou»
«Sans la Russie, il est impossible de résoudre ce conflit», a reconnu le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas. Le mot d'ordre est d'éviter une «escalade» militaire dans la région, a-t-il insisté. «Il n'y aura pas de solution militaire en Syrie et si on veut une solution politique, il faut avoir ce dialogue avec l'Iran et la Russie», a également insisté le chef de la diplomatie belge Didier Reynders.
Concernant les rapports avec la Russie, les pays européens entendent accorder leurs violons. A ce propos, un responsable européen s'est confié à l'AFP sous couvert de l’anonymat : «Il faut que l’Union européenne reste unie. Il faut éviter que chaque pays puisse mener une politique autonome vis-à-vis de Moscou. C’est important pour que l’UE existe.»
Paris souhaite que Moscou accepte de recréer un mécanisme d’enquête conjoint sur les armes chimiques entre l’ONU et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), qui a disparu fin 2017. Le mandat de ce mécanisme nommé JIM (Joint Investigative Mechanism) n'a pas été renouvelé à la suite de plusieurs vetos russes. La Russie avait en effet parlé d'«enquête fictive» ayant mené à «des accusations sans fondement contre la Syrie». Moscou préfère s'en remettre directement à l'OIAC.
De même, le 10 avril 2018, la proposition russe visant à créer un mécanisme d'enquête indépendant sur l'usage d'armes chimiques a été refusée, lors d'un vote du Conseil de sécurité de l'ONU, sur fond de menace occidentale de recours à la force contre le gouvernement syrien. Lors de la même séance, la Russie avait par ailleurs mis son veto à une proposition américaine de résolution, concurrente de la russe, consistant à mettre en place un mécanisme indépendant d'enquête sur l'usage d'armes chimiques. Vassili Nebenzia, l'ambassadeur russe aux Nations unies a accusé les Etats-Unis d'avoir conçu le texte de manière à ce qu'il soit refusé, afin ainsi de «justifier» une action unilatérale, non-autorisée par l'ONU, en Syrie.