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La diplomatie occidentale mise face à ses contradictions par Sergueï Lavrov à l'ONU

Le chef de la diplomatie russe a tenu à mettre à l'épreuve des faits le discours des diplomaties européenne et américaine se targuant d’œuvrer pour la paix, de lutter contre les violations des droits de l'homme, et d'agir de manière multilatérale.

Lors de son discours devant l'Assemblée générale de l'ONU, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a évoqué un grand nombre des dossiers qui agitent les relations internationales. Un fil conducteur a néanmoins structuré son discours : les contradictions de la diplomatie occidentale.

Promouvoir la paix... en élargissant l'OTAN vers l'est

Arguant que la Russie avait fait le nécessaire pour tourner la page de la période de guerre froide, Sergueï Lavrov a estimé qu'il était primordial que les «tensions du passé» n'alimentent plus de nouvelles rancœurs. «Les événements historiques ne doivent pas être instrumentalisés pour encourager la haine», a-t-il martelé, alors que plusieurs pays abusent de la comparaison entre la Russie et l'URSS pour alimenter un climat de peur.

Or, selon Sergueï Lavrov, la diplomatie occidentale adopterait des positions, si ce n'est agressives, au moins porteuses de divisions. L'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) en serait l'exemple le plus éloquent. «L'Occident a construit sa politique sur le principe "Qui n'est pas avec nous est contre nous", en poursuivant l'élargissement de l'OTAN vers l'est», a-t-il ainsi déploré.

Une politique qui ferait peser un lourd risque sur la sécurité en Europe. Sergueï Lavrov y voit en effet la cause de «l'instabilité dans l'espace post-soviétique». «C'est cette politique qui est à l'origine du conflit dans l'est de l'Ukraine», a-t-il par ailleurs estimé, déplorant ce qu'il a qualifié de «renaissance d'un climat de guerre froide» dans un contexte où nombre de chancelleries ne cessent d'invoquer la nécessité d'un dialogue concerté pour maintenir la paix.

Lutter contre le totalitarisme... en tolérant la violence en Europe

Le chef de la diplomatie russe a rappelé que l'ONU avait été fondée à l'issue d'une période historique dont il convenait de ne pas oublier les leçons. L'esprit qui habitait l'institution à l'époque incarnait la volonté de promouvoir la paix et de s'opposer à la résurgence du totalitarisme, du nazisme et du fascisme. Si cet esprit est régulièrement invoqué comme inspiration des décisions internationales, il aurait en réalité, selon Sergueï Lavrov, été oublié en chemin... 

Il s'agit pour ce dernier d'une nouvelle contradiction entre les principes affichés par la diplomatie occidentale et les positions concrètement adoptées par celle-ci. Sa manifestation la plus évidente résiderait dans la tendance à fermer les yeux sur certains mouvements politiques que de nombreux observateurs n'hésitent pourtant pas à qualifier de néonazis. Sergueï Lavrov faisait ainsi plus spécifiquement référence à l'Ukraine, où des groupuscules violents opèrent dans l'indifférence de l'Union européenne, voire avec la bienveillance de l'OTAN.

Plus largement, c'est à un Occident friand de discours célébrant, à juste titre, la mémoire que Sergueï Lavrov a tendu un miroir, l'incitant à prendre la mesure de certains révisionnismes qui prospèrent, notamment dans les pays de l'Est européen. Il a ainsi évoqué le cas de la Pologne, où un mémorial consacré aux soldats soviétiques qui se sont battus pour libérer le pays de l'occupation nazie a récemment été détruit, en violation des accords bilatéraux entre Varsovie et Moscou.

Résoudre des crises... en votant des sanctions unilatérales

Enfin, sans jamais évoquer ouvertement le cas des sanctions contre la Russie, Sergueï Lavrov a envoyé un message clair aux pays qui les ont votées, notamment les Etats membres de l'Union européenne, les appelant à reconsidérer leur position. Invoquant l'exemple de sanctions votées contre d'autres Etats, il a mis en avant leur inefficacité ainsi que leur illégitimité.

«Les sanctions contre l'Iran sont extraterritoriales», a ainsi martelé le ministre russe, alors que l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien signé en 2015 est remis en cause par les Etats-Unis et Israël. Sergueï Lavrov a fait de ces sanctions, que Washington menace régulièrement de durcir, l'exemple même d'une politique n'atteignant pas sa cible et se retournant même contre ceux qui la mettent en place. L'argument risque d'être d'autant mieux entendu que la plupart des pays européens s'opposent à l'intransigeance israélo-américaine envers Téhéran et estiment avoir été déjà suffisamment lésés sur le plan économique par la fermeture des portes du marché iranien.

A propos de la politique des sanctions Sergueï Lavrov a rappelé que la quasi-totalité des Etats membres de l'ONU demandaient, depuis des années et sans succès, la levée de celles imposées à Cuba. Insistant sur le caractère «unilatéral» d'une politique quasi-exclusivement décidée à Washington, il a interrogé la contradiction qu'elle constituait au regard des volontés affichées par la diplomatie occidentale, et encore réaffirmées par Emmanuel Macron le 19 septembre dernier à la même tribune, d'inscrire son action dans un cadre multilatéral.

Le discours de Sergueï Lavrov sera-t-il perçu par les pays concernés comme un sermon moralisateur de la part d'une Russie dont ils rejettent le paradigme diplomatique ? Ou y verront-ils au contraire une invitation à reconsidérer des certitudes répétées discours après discours ? Quoi qu'il en soit, le monde continuera d'évoluer, selon Sergueï Lavrov, vers davantage de multipolarité – que l'Occident l'accepte ou non. «C'est une tendance objective qui reflète la répartition de l'équilibre global des forces ainsi que le renforcement de l'identité culturelle et civilisationnelle des peuples», a-t-il prévenu, avant de conclure : «Tout le monde devra composer avec cette tendance, même ceux qui avaient l'habitude de se comporter en maître du monde.»

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