Afghanistan : finalement, quel bilan pour «la Mère de toutes les bombes» ?
Les autorités afghanes estiment que plus de 90 terroristes ont été tués pour aucune perte civile, mais reconnaissent ne pas se baser sur un décompte des corps. Un bilan contesté par Daesh et mis en doute par des analystes militaires.
La plus puissante des armes américaines – à l'exception de la bombe atomique – a été utilisée pour la première fois sur le sol afghan le 13 avril. Les 9,5 tonnes de «la Mère de toutes les bombes» (MOAB) ont été larguées depuis un avion MC-130 par les forces américaines sur les positions de Daesh, dans la région de Nangarhar, dans l'Est de l'Afghanistan.
Un bilan qui passe de 36 à 90 terroristes tués, mais toujours aucune victime civile
Le bilan de cette frappe aérienne massive prête à débat. Au lendemain de la frappe, le gouvernement afghan a précisé que la bombe avait détruit un réseau de tunnels «stratégiques» utilisés par le groupe Etat islamique et tué au moins 36 de ses combattants, écartant toute victime civile.
Les #EtatsUnis ont lancé "la mère de toutes les bombes" sur des positions de #daesh en #Afghanistanhttps://t.co/2xNlhFjeN2pic.twitter.com/LGxJWVtuGN
— RT France (@RTenfrancais) 13 avril 2017
Le 15 avril, les autorités afghanes ont porté le bilan à plus de 90 djihadistes du groupe Etat islamique tués par la méga-bombe américaine, reconnaissant que ce chiffre n'était qu'une estimation et n'était pas fondé sur un décompte des corps.
Selon Esmail Shinwar, gouverneur du district de Achin, fief du groupe terroriste dans la province du Nangarhar, «au moins 92 combattants de Daesh ont été tués» par l'arme conventionnelle la plus puissante de l'arsenal américain.
«Trois tunnels dans lesquels les combattants avaient pris position au moment de l'attaque ont été détruits», a-t-il précisé à l'AFP, réaffirmant qu'il n'y avait aucune victime au sein de la population ou parmi les militaires.
«Les civils avaient été informés au préalable et ont pu fuir la zone», a t-il assuré. Daesh a installé ses bases à proximité des villages et habitations, obligeant des milliers de familles à quitter la zone, a souligné le gouvernement afghan.
Daesh nie avoir perdu des combattants
L'organisation terroriste a de son côté publié un communiqué via son agence Amaq News, dans lequel elle nie que la frappe américaine lui ait causé la moindre perte.
Découvrez la «Mère de toutes les bombes» : 6 faits sur la bombe larguée par #Trump sur l'#Afghanistanhttps://t.co/m2vLOfSj8ppic.twitter.com/FbLClFKwQF
— RT France (@RTenfrancais) 14 avril 2017
La MOAB pose des «problèmes de dommages collatéraux»
Interrogé par RT, l'ancien analyste de la CIA Jack Rice émet des doutes sur le bilan officiel. S'il reconnaît que l'idée était de viser une zone où il n’y avait que des combattants, il estime en revanche que c'est une région où il y a bel et bien des civils. «Le problème que j'ai vu partout dans le monde en travaillant en Irak, en Afghanistan et dans certaines parties de l'Afrique, est que les civils paient régulièrement le prix de telles actions», s'est enquis Jack Rice, avant d'ajouter qu'en fin de compte, les civils souffrent beaucoup plus que les combattants et l’armée.
Marc Garlasco, un ancien analyste du Pentagone durant l'ère Bush, a expliqué pour sa part qu'une telle arme posait «des problèmes de dommages collatéraux».
US never dropped the MOAB in Iraq due to collateral damage concerns. I was on the targeting team that considered it @barbarastarrcnnhttps://t.co/ypq6uyVSbg
— marcgarlasco (@marcgarlasco) 13 avril 2017
Il a affirmé dans une interview à The Intercept que son utilisation avait été envisagée en 2003 lors de l'intervention militaire américaine en Irak, mais finalement abandonnée parce que l'estimation des dommages collatéraux était «impressionnante».
«Nous avions conclu que les pertes civiles dépasseraient largement le gain militaire», a admis le responsable militaire, mettant notamment en avant le large rayon de l'explosion.
Hamid Karzai : «c'est un acte de trahison de la part du gouvernement»
Si le bilan pose question, l'ancien président afghan Hamid Karzai ne s'est pas privé pour condamner fermement l'utilisation de la MOAB, déclarant que son successeur avait commis un acte de trahison en acceptant que les Etats-Unis l'utilise.
«Comment pouvez-vous permettre aux Américains de bombarder votre pays avec l'équivalent d'une bombe atomique ?», s'est-il demandé, remettant en question la décision de son successeur, Ashraf Ghani.
«Si le gouvernement leur a permis de le faire, c'est une très mauvaise décision, et c'est une trahison nationale», a t-il dénoncé.
L'ancien président a en conséquence émis la volonté de s'ériger contre l'Amérique, une position qu'il a comparée à ses décisions par le passé de lutter contre les Soviétiques, puis contre le régime taliban.
«J'ai décidé de mettre les Etats-Unis dehors», a t-il encore tonné, estimant que cette bombe était «non seulement une violation de notre souveraineté et un non respect de notre terre et de notre environnement, mais elle aura également des effets néfastes pendant des années».
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