«Un rite politique bien connu» : pourquoi la proportionnelle devrait encore être enterrée par Macron

«Un rite politique bien connu» : pourquoi la proportionnelle devrait encore être enterrée par Macron© GEORGES GOBET / AFP / POOL
Emmanuel Macron et François Bayrou à Pau, le 14 janvier 2020 (photo d'illustration).
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L’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives de 2022, promesse d’Emmanuel Macron en 2017, a été relancée par son allié du Modem François Bayrou. Mais les obstacles sont nombreux, parmi la majorité comme l’opposition.

Officiellement, Emmanuel Macron n’est pas fermé à l’idée d’un retour de la proportionnelle aux élections législatives. Vieux serpent de mer de la politique française, la question a été ravivée par le président du Modem François Bayrou dans une lettre envoyée le 4 février au président de la République. L’ancien ministre de la Justice au début du quinquennat Macron, dont le parti pèse toujours au sein de la majorité, demande la mise en place dès les prochaines législatives, en 2022, de ce système où le nombre de sièges à pourvoir à l'Assemblée nationale est partagé en fonction du nombre de voix recueillies. Bayrou le préfère à «la brutalité» de l'actuel scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui selon lui «freine la fonction de contrôle et empêche de fait tout dialogue utile entre les sensibilités politiques».

Le sujet de la proportionnelle est au cœur de la relation entre François Bayrou et Emmanuel Macron, le premier en ayant fait l’un de ses chevaux de bataille, le second lui ayant promis en février 2017 de le mettre en place en échange de son soutien à la présidentielle. «C’était une promesse du candidat à la présidence de la République, une dose de proportionnelle, il faut l’appliquer», a confirmé le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur France 2 le 11 février, dans l’émission «Vous avez la parole». La veille, en Conseil des ministres, le président parlait lui-même d’un «débat important» qui «devait se poursuivre».

En ce sens, le député de Savoie et vice-président du Modem Patrick Mignola a déposé le 8 et le 10 février deux propositions de loi, l'une visant à instaurer une dose de proportionnelle dans les départements comptant plus de 12 députés, l'autre prenant pour modèle la réforme de 1985 sur la proportionnelle intégrale voulue par François Mitterrand (et abrogée dès 1987 par le Premier ministre Jacques Chirac). Les deux textes du Modem ont été déposés «par précaution» afin qu'ils puissent être débattus «si nous en décidons», a précisé Patrick Mignola. 

Certains nous diraient qu'on est dans du tripatouillage électoral

Dans les faits, la réforme a pourtant très peu de chances d’être mise en place avant la fin du quinquennat. Aucune même, selon le politologue Stéphane Rozès, président de Cap et enseignant à Sciences Po et HEC, qui voit dans l’apparente ouverture du président sur la question «un rite politique bien connu, qui se répète sempiternellement».

«Le propre de ce débat récurrent sur la proportionnelle dans l’histoire récente de la Ve République, c’est d’en parler avant les élections pour s’attirer les sympathies des forces centristes et écologistes. Mais sans jamais la mettre en œuvre, du fait de la proximité des élections qui arrivent, au motif que cela donnerait le sentiment de faire bouger la photographie», explique-t-il à RT France. C’était d’ailleurs l’argument invoqué par le délégué général de LREM Stanislas Guérini en septembre 2020 sur France Info : «Si nous faisions la proportionnelle à l'approche des élections, je ne peux pas m'empêcher de penser que certains nous diraient qu'on est dans du tripatouillage électoral et je pense que ce serait une erreur politique.»

Si la démarche de François Bayrou et du Modem a reçu le soutien des leaders d’EELV, de la France insoumise, du Rassemblement national et de l’UDI, la majorité LREM est bien plus hésitante. A l’exception de l'ancien président du groupe LREM Gilles Le Gendre, les députés macronistes seraient «globalement hostiles» à la proportionnelle, selon un poids lourd de la majorité cité par le JDD. «Les dernières élections ont montré que LREM ne parvenait pas à être une formation hégémonique électoralement. Les scrutins de 2017 tenaient sur un nom : Macron, et rien d’autre. Le score de LREM étant indexé sur la relation entre le président et l’opinion publique, depuis la cassure du printemps 2018, le parti ne décolle pas», observe Stéphane Rozès.

71% des Français se sont déclarés favorables à la proportionnelle en 2017

Le pari semble donc dangereux pour le parti présidentiel, même si le sondeur et politologue Jérôme Sainte-Marie, président de l’institut PollingVox, y voit un possible intérêt électoral du côté du chef de l’Etat : «Dans la perspective du second tour de la présidentielle, Emmanuel Macron ne peut plus tout miser sur le rejet de Marine Le Pen (RN). Il doit donner des gages d’attachement à la démocratie pour les centristes et la gauche. Cela l’oblige à lâcher en amont du lest à l’égard des électeurs qui ne voteront pas pour lui au premier tour, pour contrer l’accusation récurrente de pouvoir autoritaire tenu par une base minoritaire.»

Ceci étant, la proportionnelle arriverait «trop tardivement», précise-t-il auprès de RT France, d’une part «en termes de calendrier législatif», d’autre part car les électeurs ne seraient pas dupes, cette mesure de dernière minute pouvant «donner l’impression de vouloir anesthésier en vue de la présidentielle». La députée de l'Hérault Emmanuelle Ménard souffle néanmoins que «le Modem met une pression d’enfer sur LREM». «Comme Macron n’a pas tenu beaucoup de promesses, peut-être voudra-t-il tenir celle là…», se désole auprès de RT France l'élue anciennement proche du RN, qui se dit «absolument contre» la proportionnelle.

En attendant un hypothétique arbitrage présidentiel, les députés LREM peuvent dans tous les cas compter sur le PS et Les Républicains pour s’opposer à l’idée. Pour les socialistes, il s’agirait d’un problème de calendrier : «Je suis extrêmement réservé sur ce sujet. Un mode de scrutin, on ne le tripatouille pas à un an d'une échéance électorale», a balayé le premier secrétaire Olivier Faure le 7 février sur France 3. Du côté de LR, on avance plutôt le risque d’un «retour du régime des partis, qui décideront qui représentera le peuple», a prévenu le député du Vaucluse Julien Aubert sur France 2 le 11 février.

L'argumentaire est repris jusque dans les rangs des députés non-inscrits, comme Emmanuelle Ménard, qui explique que «c’est faire le jeu des partis politiques». «Cela va couper les électeurs de leurs élus. C’est le parti qui décide qui va être sur la liste. Une telle mesure serait une catastrophe pour la proximité avec les électeurs. Déjà qu’ils n’ont plus confiance dans leurs élus…», développe-t-elle.

Autre problème soulevé par l'opposition, celle du risque d'éparpillement : «Pour gouverner efficacement le pays, il faut des majorités claires, que n’est pas capable d’apporter la proportionnelle», a abondé sa collègue LR du Doubs Annie Genevard dansLe Figaro. Dans le même journal, le patron du parti conservateur, Christian Jacob, a ajouté qu’«imaginer se remettre dans une crise institutionnelle alors qu'on gère la crise sanitaire, ce serait une erreur majeure». Un risque de retour à l’instabilité de la IVe République, selon ces élus de droite.

Macron pourrait être accusé de favoriser le RN

L’idée de la proportionnelle est pourtant plébiscitée par l’opinion publique : 71% des Français s’étaient déclarés favorables à la mesure en 2017, selon un sondage de l’institut BVA. Une tendance nettement majoritaire qui a poussé les trois derniers présidents de la République à travailler l’idée. En 2007, Nicolas Sarkozy avait mis en place un comité autour de l'ancien Premier ministre Edouard Balladur pour réfléchir aux contours d’une réforme du scrutin. Balladur avait proposé d’instaurer une dose de 5% de proportionnelle, mais l’idée avait été abandonnée.

Même schéma en 2012 : François Hollande s'était engagé à mener cette réforme, et une commission confiée cette fois à l'ancien Premier ministre Lionel Jospin avait abouti à une proposition plus large encore de 10% des députés élus à la proportionnelle. Dans les deux cas, c’est la crainte de favoriser l’entrée à la chambre basse de députés du Front national (désormais Rassemblement national) qui avait poussé l’exécutif à abandonner l’idée en chemin.

Le politologue Stéphane Rozès se souvient que la dernière expérience de la sorte, lors des législatives de 1986 qui avaient offert 35 sièges aux élus FN, avait accouché d’«un bilan un peu cynique». «Au fond cette proportionnelle était une façon d’agiter le chiffon rouge de l’extrême droite», souligne-t-il. Fort de 11% des voix lors de ces élections, le FN avait alors obtenu 6% des sièges.

Un rappel historique que mettent en avant les opposants à la réinstauration de ce mode de scrutin : «Macron pourrait être accusé de favoriser le RN. Il n’y a aucune bonne solution pour LREM, qui risque un sacrifice important dans tous les cas», souligne Jérôme Sainte-Marie. Ce principe d’une plus juste représentativité était pourtant au cœur de l’argumentaire d’Emmanuel Macron en faveur de la proportionnelle, mesure repoussée plusieurs fois depuis 2017. A la suite du mouvement des Gilets jaunes, le président de la République avait avancé, au cours d’une allocution le 25 avril 2019, le projet d’instaurer une dose de 20% de proportionnelle aux prochaines législatives. Une promesse restée lettre morte, que le courrier de François Bayrou ne devrait pas suffire à relancer.

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