Beauvau de la sécurité : une table ronde sans table ni dialogue ?

Beauvau de la sécurité : une table ronde sans table ni dialogue ?© Thomas COEX Source: AFP
Gérald Darmanin et Marlène Schiappa au ministère de l'Intérieur le 1er février 2021 (image d'illustration).
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Le Beauvau de la sécurité semble chercher ses pas pour sa première table ronde sur le rapport entre les forces de sécurité intérieure et la population. Le dialogue et la pluralité d'opinion seront-ils au rendez-vous des prochaines rencontres ?

Le 8 février, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin et son ministre délégué, Marlène Schiappa, ont une dizaine de minutes de retard au Beauvau de la sécurité.

Diffusé en direct sur les réseaux sociaux «pour une plus grande ouverture et plus de transparence» ainsi que le décrit la porte-parole du ministère Camille Chaize, l'événement prend alors une tournure scénographique singulière.

L'absence est particulièrement magistrale pour les personnes qui visionnent la table ronde sur les réseaux : de longues minutes s'égrainent dans le silence. Des syndicalistes policiers, des représentants de la gendarmerie, les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie, le préfet de police de Paris et quelques élus sont assis à deux mètres de distance les uns des autres, masqués.

Chacun attend «les maîtres des horloges». Enfin, les ministres arrivent et rejoignent les places centrales qui leurs sont réservées. En fait de «table ronde», au Beauvau de la sécurité, il n'y a pas de table et si l'agencement de l'assistance est ovoïde, on observe surtout une disposition de la salle très protocolaire, selon une organisation plus typique de la conférence.

Une table ronde sans pluralité des opinions ?

La matinée de travaux se propose «de trouver des leviers d'amélioration» concernant le lien entre les forces de sécurité intérieure et la population. Toutefois en fait de population, on trouve surtout des élus de la représentation nationale (dont un ancien officier de gendarmerie, le sénateur LR Henri Leroy, un ancien chef du Raid, le député LREM Jean-Michel Fauvergue), Bruno Pomart (associatif et ancien major de police du Raid), le déontologue du ministère Christian Vigouroux et le directeur du pôle opinion et stratégies d’entreprise de l'Ifop, Jérôme Fourquet.

Quid du comédien engagé Omar Sy un temps pressenti pour participer aux débats ? Quid des associatifs, des institutions consultatives ou des ONG ? Peut-être plus tard : le président de Reporters sans frontières et le Défenseur des droits sont par exemple annoncés pour des tables rondes en avril et mai. Mais la diversité des opinions ne semble pas avoir été retenue pour cette table ronde du 8 février.

Le dilemme est patent pour le gouvernement : qui inviter ? Qui éviter ? Si l'objectif fixé par l'Elysée au moment de l'affaire Zecler était de retisser un lien présumé distendu entre une partie de la population et les forces de l'ordre, le président de la République lui-même n'est, pour le moment, pas apparu pendant les travaux du Beauvau de la sécurité pour expliquer précisément ce qu'il en attendait. Les personnes qui participent à l'événement semblent, elles, plongées dans la perplexité.

D'une part, les syndicalistes policiers, dont certains avaient menacé de ne pas participer, ont déjà été sollicités à l'automne par le ministère et la présidence. D'autre part, les élus, et particulièrement la Chambre haute produisent tous les ans des travaux visant précisément à améliorer les conditions d'exercice des policiers et des gendarmes, comme le sénateur Henri Leroy n'a d'ailleurs pas manqué de le rappeler ce 8 février.

Dès lors, une majorité des prises de parole des syndicalistes ou des élus sonne un peu faux dans ce Beauvau de la sécurité, chacun se bornant à redire ce qu'il a déjà dit, parfois dans ce même ministère ou au Parlement, à propos de son institution, de ses adhérents ou de ses électeurs... avec une grande question qui semble flotter : à qui s'adressent les participants ? Et dans certains cas, sont-ils uniquement venus pour ne pas briller par leur absence ?

Des ministres en plein numéro d'équilibriste

Alors le ministre essaie courageusement de glisser une petite blague à l'intention du DGPN, Frédéric Veaux, dont la vocation aurait peut-être été suscitée par le visionnage du feuilleton policier américain Columbo, plaisante Gérald Darmanin.

Marlène Schiappa rebondit plus tard, déclamant qu'elle trouve cette table ronde «absolument passionnante» et qu'elle-même, a peut-être été inspirée au lycée à passer le concours de gendarmerie par la série télévisée Marie Pervenche, mais surtout après avoir échangé avec une femme gendarme qui lui avait communiqué le goût de son métier. Elle insiste sur l'importance des «rôles modèles».

Certains intervenants parlent des fictions comme Le Bureau des légendes (Canal+), d'autres déplorent la méconnaissance du public qui connaît surtout le FBI, certains blâment «les pseudo-experts de plateaux télé» ou «les réseaux sociaux» sans que les rôles soient bien définis dans une supposée dégradation de l'image des policiers et gendarmes. Les allocutions avec des échanges difficiles se suivent et se ressemblent. Ian Boucard, député LR du territoire de Belfort, lâche tout de même à Gérald Darmanin : «La bataille des réseaux sociaux, on sait déjà que vous ne la gagnerez pas [...] Mais pour autant, il faut la mener, parce qu'il faut parfois être capable de faire de la contre-communication face aux contre-vérités qui peuvent être dites.»

Le contrôle des images : une obsession du gouvernement ?

Parmi les prises de parole saillantes de cette table ronde sur le lien police-gendarmerie/population, on peut justement retenir l'intervention du ministre de l'Intérieur qui estime que «les forces de sécurité doivent se moderniser sans cesse» et doivent «s'améliorer» en matière de communication : «Nous devons absolument nous adapter à la société de l'image.»

L'image : Gérald Darmanin chevauche ici un destrier de bataille qu'on lui a déjà connu en 2020, notamment au congrès de l'Unsa-police en septembre à propos du contrôle des médias et réseaux sociaux.

Mais surtout, le ministre affirme son souhait de «moderniser [les] outils législatifs» pour que les forces puissent mieux «répondre aux attaques» qui les viseraient et, plus précisément, vanter les réussites de son ministère auprès de la population sans être gêné par l'article 11 de procédure pénale qui prévoit : «Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.»

Le ministre explique ainsi lors du Beauvau : «Je n'ai pas les moyens de communiquer puisque c'est la justice qui doit le faire, article 11 du Code de procédure pénale [...] et je ne suis pas le chef de la police et de la gendarmerie en tant que tel, puisque l'essentiel de ce qu'on entend de la police ou de la gendarmerie, ce sont les enquêtes judiciaires et donc ce n'est pas le ministère de l'Intérieur qui les emploie, fonctionnellement. [...] Les problèmes du ministère de l'Intérieur sont d'une part une société de défiance [...] et deuxièmement, il y a des poids interministériels [...] que sont la communication et l'emploi direct, qui ne sont pas ceux du ministre de l'Intérieur.»

Un syndicaliste rappelle qu'il a des collègues Gilets jaunes

Par ailleurs, l'intervention du secrétaire général du Snipat (syndicat des personnels administratifs et scientifique de la police), Georges Knecht, détonne également dans les trois longues heures de table ronde. Le syndicaliste ose au moins deux traits directement pointés vers le gouvernement : la politique du chiffre et les Gilets jaunes.

«Il faut s'attaquer [au] sentiment d'injustice en remplaçant une politique du chiffre qui est encore sous-jacente par une priorisation des actes de police, lesquels doivent être recentrés sur les règles majeures : protéger et servir. Il faut veiller à ce que les délinquants aient peur de la police, mais pas les citoyens lambda. Pour les criminels, réprimer et interpeller et pour les citoyens, protéger et servir. Quand un étudiant, un salarié va manifester, il ne doit plus avoir peur. Par contre, les trafiquants qui terrorisent un quartier, eux, doivent à nouveau avoir peur de la police.»

Et de lâcher, «au risque de choquer» : «Parmi nos collègues, nous avons par exemple des Gilets jaunes, mais nous n'avons pas de délinquants ni de criminels, or, aujourd'hui, il est anormal que les Gilets jaunes aient plus peur de la police que les délinquants et les criminels de certains quartiers. Cette image est désastreuse et nous, acteurs de la police, nous la subissons au quotidien.»

La réalisation du Beauvau est polie et la caméra l'évite, mais le préfet de police de Paris Didier Lallement qui s'est illustré pour ses propos tranchés sur les Gilets jaunes, se trouve seulement à quelques mètres du syndicaliste. L'ambiance n'est pas particulièrement tendue, mais les propos sont sans ambiguïté : il y a plusieurs camps dans la police également.

Opinion des Français sur la police : pas de divorce

Les propos de la «personnalité qualifiée», Jérôme Fourquet de l'Ifop, étaient également assez attendus pour évaluer le taux de satisfaction de la population vis-à-vis de la police et de la gendarmerie.

L'expert n'est pas aussi dithyrambique que le sondage Fiducial Odoxa paru le 5 février clamant que 75% de Français interrogés ont une opinion favorable des policiers, mais il est rassurant. Jérôme Fourquet rappelle qu'en termes de confiance et de sympathie, le rapport d'environ six Français sur dix satisfaits du service du ministère de l'Intérieur était stable depuis 2012 avec des fluctuations. Il ne s'agit donc pas, selon lui, du service public qui génère le plus d'insatisfaction. Mais le sondeur relève tout de même un chiffre significatif : «27% de la population éprouve inquiétude ou hostilité» vis-à-vis de la police, «soit 10 millions de Français», précise-t-il.

Le constat demeure donc : les Français ne divorcent pas réellement de leurs forces de sécurité, mais une partie de la population conteste peut-être l'emploi qui est fait du pouvoir de police sur le territoire.

Comment le Beauvau se propose-t-il de remédier à cette situation ? Est-ce de son ressort dans un contexte social tendu et avec un président de la République qui se veut réformateur ? Les questions ne trouvent pas de réponse à ce stade des travaux qui doivent durer jusqu'en mai.

Un ancien DGPN et les policiers en colère ne sont pas convaincus

Quoi qu'il en soit, des voix s'élèvent dans le monde de la sécurité qui critiquent l'initiative même du Beauvau. L'ancien DGPN, devenu vice-président LR de la région Ile-de-France, Frédéric Péchenard, par exemple, s'est dit «dubitatif» sur CNews le 8 février et même «étonné» de ce rendez-vous avec les forces qui arrive «après le livre blanc [de la sécurité intérieure, publié en novembre]».

Et de s'interroger : «[Gérald Darmanin] a lancé des expérimentations qui devaient commencer au 1er janvier, et tout d'un coup, on dit : "Tout cela n'a servi à rien et on recommence ?" [Donc] soit ce Beauvau de la sécurité est un coup de communication car le président de la République a voulu se rapprocher un peu des policiers après ses propos maladroits sur la police, soit on estime que le travail fait pendant un an et demi sous l'autorité de monsieur Castaner était nul et il faut tout recommencer. Dans un cas comme dans l'autre, ce n'est pas très satisfaisant, on tourne en rond.»

L'ancien commandant de police et porte-parole de l'association de policiers en colère UPNI, Jean-Pierre Colombiès, vitupère également auprès de RT France : «Ce Beauvau est un pantalonnade, il ne sert à rien et les syndicats de police qui y participent sont complices de ce qui en découlera. Mais pendant qu'on débat des états d'âme d'une partie de la population qui est de toute façon hostile à la police, les fonctionnaires vont au charbon, pas le choix ! Et certains territoires comme Trappes (Yvelines) font pratiquement sécession républicaine. On y place même des profs de philo sous protection policière. Ne pourrait-on pas débattre de vraies choses dans ce Beauvau qui se déroule plan-plan dans l'indifférence absolue ? Quelles sont les priorités de ce gouvernement ?»

Réponse à la fin du Beauvau de la sécurité au printemps ? Ou plus tard, à l'occasion d'une loi de programmation attendue à l'hiver... quelques mois avant la prochaine élection présidentielle ?

En tout état de cause, le prochain rendez-vous du Beauvau de la sécurité est fixé au 22 février et il traitera de l'encadrement avec des personnalités qualifiées, qui, pour le moment, ne semblent pas déroger à l'esprit de la première table ronde : le président directeur général de Dassault Systèmes et, petite originalité, un ancien sélectionneur de l'équipe de France de handball, Claude Onesta.

Antoine Boitel

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