L'attaque d'un commissariat de Champigny-sur-Marne le 10 octobre par une quarantaine de personnes aux tirs de mortiers d'artifice, visait à «casser les symboles de la République» et à «casser du flic», selon Gérald Darmanin qui annonce qu'il veut interdire la vente au public, sur internet, des mortiers d'artifice qui seront dorénavant considérés comme «des armes par destination».
En conférence de presse le 11 octobre, le ministre de l'Intérieur a estimé que le commissariat de Champigny-sur-Marne a été «attaqué parce qu'il y a une guerre de territoire sur le sol de la République».
Et de faire valoir : «Nous sommes en reconquête. Nous imposons la présence de la police partout [...], qui doit notamment lutter contre les trafics de stupéfiants.» Le ministre a condamné «des actes d'une grande sauvagerie» commis par des «caïds qui n'impressionnent personne».
Cette attaque qui n'a pas fait de blessés survient après une autre attaque très violente à Herblay (Val d'Oise) le 7 octobre dans laquelle deux fonctionnaires ont été passés à tabac et très grièvement blessés par balles. Un des deux policiers est toujours plongé dans un coma artificiel.
Policiers en colère : le retour ?
La grogne policière a connu un certain regain au cours des dernières semaines en amont d'une rencontre prévue de longue date entre les organisations syndicales policières et le ministre de l'Intérieur le 13 octobre place Beauvau.
Une source syndicale confie à RT France ce 12 octobre : «Son conseiller [l'homme de confiance, Alexandre Brugère, qui a suivi Gérald Darmanin depuis Bercy] prépare minutieusement cette rencontre avec toutes les organisations syndicales et nous a demandé de cibler les points principaux sur lesquels il faut agir.»
Dans la foulée de cette rencontre très anticipée du ministre de l'Intérieur, les patrons des syndicats de police seront enfin reçus par Emmanuel Macron le 15 octobre, une demande récurrente de leur part et qui était restée lettre morte. Les policiers nationaux en avaient fait un prérequis à toute discussion sérieuse lors de la grande colère policière du mois de juin, avant que Christophe Castaner ne soit démissionné de Beauvau.
Tous les gros sujets sont sur la table
Au-delà du sujet d'actualité des tirs de mortiers d'artifice, toutes les grandes préoccupations policières semblent sur la table : l'immobilier dégradé (un sujet abordé sous l'angle de l'ironie par les policiers après la visite de Jean Castex et Gérald Darmanin dans un commissariat ripoliné pour l'occasion à Toulouse, mais seulement sur leur parcours selon le syndicat France Police), le budget, la prime pour les travailleurs de nuit, la revalorisation de la filière d'officier de police judiciaire, la relance du livre blanc de la sécurité intérieure (longtemps cru abandonné et dont la parution serait finalement annoncée pour le mois de novembre selon l'AFP), une prochaine proposition de loi, annoncée le 19 novembre, du député marcheur et ancien patron du Raid Jean-Michel Fauvergue, comprenant notamment l'usage généralisé de nouvelles caméras-piétons, le floutage du visage des fonctionnaires sur les réseaux sociaux et dans les médias, ainsi que, peut-être, la mise en place d'une protection fonctionnelle en cas de mise en cause au niveau pénal pour les policiers et gendarmes.
Les sujets ne manquent pas, mais une partie des organisations syndicales policières verront peut-être d'un moins bon œil la tentation du gouvernement de rapprocher leur institution des polices municipales et de la sécurité privée.
Une révolution de la chaîne pénale sinon rien, pour l'ancien commandant Colombiès
Autre sujet de discorde : la révolution de la chaîne pénale attendue par de nombreux policiers, qui à l'instar du porte-parole de l'Union des policiers nationaux indépendants, Jean-Pierre Colombiès, veulent une simplification de cette dernière qui viendrait en quelque sorte annuler la réforme de la procédure pénale portée par Elisabeth Guigou en juin 2000.
Cette dernière avait surtout abouti à un renforcement de la présomption d'innocence des mis en cause, avec la présence de l'avocat de la défense dès les premières heures de la garde à vue et la création du poste de juge des libertés et de la détention.
Ainsi que nous le confie cet ancien commandant de police militant ce 12 octobre : «Rien de ce qui sortira de la bouche de Darmanin ne sera important tant que son gouvernement n'aura pas décidé de réformer la chaîne pénale afin de casser cette dynamique actuelle délétère dans les cités sensibles et de restaurer la "peur du gendarme", comme on dit. Pour l'instant, les délinquants savent qu'ils ne risquent rien et qu'ils ne feront pas de prison.»
De Beauvau à l'Elysée : Darmanin voudrait-il traverser la rue ?
Un syndicaliste policier interrogé par RT France assure quant à lui que Gérald Darmanin travaille actuellement avec le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti en ce sens... non sans quelque arrière-pensée, selon l'analyse de ce militant roué de la police : «Darmanin a fait des pieds et des mains pour avoir Beauvau où il veut briller parce que c'est le tremplin pour l'Elysée. S'il a la sympathie de la majorité des policiers et des citoyens votants, alors ce sera le plébiscite ! C'est pour ça qu'il veut travailler avec Dupond-Moretti sur la chaîne pénale et [afin d'enclencher] des sanctions réelles. Il veut aussi impliquer les policiers dans cette démarche.»
Faisant valoir la proximité de Gérald Darmanin avec les habitants de Tourcoing dont il a été le maire, le syndicaliste interrogé estime que les éléments de langage choisis par le ministre (au cours des dernières semaines, on peut relever : «voyous», «caïds», «commissariat dégueulasse» ou encore «chiottes») sont en droite ligne des enseignements d'un ancien président également passé par Beauvau : «Je pense qu'il s'inspire profondément de Nicolas Sarkozy, il est peut-être même conseillé par des anciens proches. Le vocabulaire n'est pas forcément choisi par les conseillers, mais c'est plutôt ce qu'il entend au contact des Tourquennois. Il mélange ainsi ce qui plaît à Tourcoing et aussi aux flics.»
Gérald Darmanin planifie-t-il un long chemin de crête vers la magistrature suprême, notamment en remplaçant le terme de «racailles», prononcé en son temps par Nicolas Sarkozy, par celui de «caïds» ? Ce pari sera-t-il gagnant sur le court-terme avec les policiers nationaux qui attendent toujours une reconnaissance réelle de la part de l'Elysée ?
En tout état de cause, la stratégie politique d'Emmanuel Macron qui a choisi de s'entourer de personnalités associées à Nicolas Sarkozy (Jean Castex, Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti) sur des maroquins cruciaux sur le plan régalien pour les deux prochaines années devrait donner des gages de rapprochement entre les forces de sécurité intérieure et le gouvernement.
Antoine Boitel