Le journal La Voix du Nord le considérait en «opération séduction» auprès des policiers : Gérald Darmanin recevait pour la deuxième fois les organisations syndicales représentatives du secteur le 20 juillet au ministère de l'Intérieur... Mais cette fois, en «bilatérale», c'est-à-dire une par une et non pas toutes ensemble en séance plénière, comme ce fut le cas le 8 juillet.
Que s'est-on dit portes closes entre les grands patrons des syndicats et le ministre, secondé par son nouvel entourage proche ? Certains secrétaires généraux ont-ils taillé des costumes à leurs camarades ? Quelle a été la nature des doléances et des demandes urgentes ? Comment le ministre a-t-il reçu ces partenaires sociaux avec qui il devra composer à Beauvau ?
Un ministre bien entouré et des syndicats qui cherchent leur base
En off, un patron de syndicat – qui considère la présence de François-Xavier Lauch, le chef de cabinet de l'Elysée, au côté de Gérald Darmanin comme un garde-fou du président de la République – glissait récemment à RT France que le nouveau ministre, «malin», avait su conserver son «fidèle» conseiller depuis Bercy : Alexandre Brugère.
C'est en présence de cet ancien membre de Les Républicains passé par la mairie d'Asnières (Hauts-de-Seine) que les secrétaires généraux des corps intermédiaires ont été reçus par le ministre. De source syndicale, étaient également présents le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, mais aussi, plus inattendu, Laurence Mezin, directrice des ressources humaines du secrétariat général du ministère de l'Intérieur. La durée moyenne des entretiens a été d'une heure, avec une prise de note appliquée du ministre lui-même qui a ensuite produit des résumés des discussions à ses interlocuteurs avant la fin de l'entretien, bluffant certains.
A en croire les allocutions livrées au sortir du ministère, les «revendications les plus urgentes ont été exposées», explique Yves Lefebvre d'Unité-SGP.
A notre micro, le secrétaire général de ce syndicat majoritaire a premièrement évoqué le statut des travailleurs de nuit, un sujet qui est récemment revenu sur le devant de la scène à la faveur de deux faits saillants : les policiers de la base qui se sont rassemblés nuitamment à Paris, en Ile-de-France et sur tout le territoire national au mois de juin étaient principalement des «nuiteux», les mêmes qui avaient déjà marché en direction de la place Beauvau en 2016 lors d'un autre épisode de colère policière.
Les syndicats avaient à cœur, cette fois, de démontrer qu'ils n'étaient pas dépassés par la base, ainsi que certains militants de ces organisations l'avouaient au mois de juin. Un mot à leur égard était donc de mise, lors de ces réunions bilatérales.
Autre fait saillant concernant les travailleurs de nuit, un nouvel acteur a débarqué : Option Nuit, un syndicat dédié entièrement à la cause des nuiteux... Une mouche du coche bien agaçante pour les grands syndicats, selon une source policière.
Yves Lefebvre a également assuré qu'il avait abordé un «autre point essentiel» avec le ministre : «Redonner un sens au métier de policier», appelant une «grande réforme» pour faciliter les voies d'avancement, mais également «une rentrée sociale, très certainement bouillante avec un impérieux besoin d'effectifs dans les CRS».
Le secrétaire général d'Alliance, Fabien Vanhemelryck, a lui salué l'effort budgétaire consenti par l'Etat pour acquérir plusieurs milliers de nouveaux véhicules. Une «goutte d'eau» au regard des besoins immobiliers, de matériel et de protection de ses «collègues» a estimé le patron d'Alliance.
Un nouveau rendez-vous a été pris entre le ministre et les organisations syndicales d'ici la fin du mois d'août, juste avant la fameuse «rentrée sociale».
Du symbolique, du matériel... «des choses qui sont déjà dans les tuyaux», selon un ponte syndical
Dans un message d'Unité-SGP à ses adhérents, dont RT France a eu connaissance, le syndicat évoque également une demande de statut d'actifs pour les policiers techniques et scientifiques qui ont fait grève à l'hiver pendant plusieurs mois, ainsi qu'une revalorisation du métier d'officier de police judiciaire, souvent considéré comme une autre cinquième roue du carrosse policier. Unité-SGP a expliqué avoir réclamé la fin des primes de résultats exceptionnels, qui seraient réparties parmi la base, le syndicat se faisant donc le «Robin des bois» des policiers de terrain. Mais un concurrent nous confie : «Vous savez comment ils font dans ces cas-là... Ils proposent des choses qui sont déjà dans les tuyaux, ça leur permet de revendiquer des victoires dans leurs tracts ensuite.»
Dans ce même message à ses troupes, le syndicat majoritaire ne crie pas victoire et annonce d'emblée : «Si le ministre ne nous a, pour l'heure, apporté aucune réponse, il a pris acte de nos revendications et s’engage à réunir l’ensemble des organisations syndicales avant la rentrée pour aborder les travaux à engager.»
Un détail, apprécié par les patrons de syndicats : quand il n'a pas de réponse à une question, Gérald Darmanin avoue humblement qu'il ignore le sujet, selon une source syndicale qui a apprécié cet état d'esprit, commentant : «Cela nous change des ministres qui acquiescent sans savoir pour ne pas avouer leur ignorance et dont on n'entend plus jamais parler.»
Si Alliance assure avoir obtenu des «garanties» sur un «budget plus conséquent en 2021», la plupart des syndicats ont visiblement redoublé d'efforts pour trouver des propositions acceptables par le gouvernement, n'hésitant pas dans certains cas à proposer des négociations orientées vers le symbolique ou vers l'opérationnel sans surcoût. Une idée pas si absurde dans la mesure où les policiers nationaux interrogés font souvent valoir qu'ils désirent surtout de la considération et de la sécurité (physique et juridique), avant toute hausse de salaire.
C'est visiblement le sens des propositions du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), qui selon William Molinié (journaliste de LCI), a demandé un paquetage individuel complet de protection pour le policier, ainsi qu'une défense juridique, et l'achat d'un modèle sérigraphié unique et «digne» pour tous les policiers, avec une nouvelle sérigraphie «pour améliorer l'image de l'institution.» Côté administratif, le SCPN demande également de fusionner les unités doublon entre police nationale et gendarmerie, une concurrence rude qui augure de négociations ardues sur le prochain livre blanc de la sécurité intérieure, que Christophe Castaner et Laurent Nunez n'ont pas achevé.
Dans ce même esprit de dégraissage de la fonction publique d'Etat, le syndicat de commissaires propose également d'«imposer aux maires de mettre e place des polices municipales à la hauteur du nombre d'habitants dans leurs communes.»
«Darmanin a besoin des flics... mais la boîte à jouets est vide !», analyse un porte-parole des policiers en colère
De quoi donner raison à Jean-Pierre Colombies, porte-parole de l'association de policiers en colère UPNI, qui a déclaré à RT France, tout de go : «Avec la rentrée sociale qui s'annonce, Darmanin a besoin des flics... mais la boîte à jouets est vide ! Alors le virage vers la privatisation de ce secteur régalien paraît dorénavant inévitable. C'est pareil pour la santé, l'éducation et la justice du reste.»
Et d'expliquer : «Son prédécesseur s'est déjà engagé sur le dossier des heures supplémentaires [des millions d'heures non-payées aux policiers depuis des années], ils sont au bout du bout au niveau budgétaire, et ils ne peuvent même pas menacer les organisations syndicales avec la réforme des retraites qui est, de toute façon, bloquée. Donc, de cette journée de rencontres syndicales, il ne sortira rien que des déclarations de principe et de la «câlinothérapie» voire, éventuellement, des petits avantages entre certaines corporations et le ministère.»
L'ancien commandant de police analyse encore : «Le nouveau ministre mise probablement sur un aggiornamento policier pour gagner du temps. Mais quoi qu'il en soit, Darmanin a un contrat à durée très déterminée, notamment avec la polémique sur la plainte pour viol qui le poursuit et le peu de temps qui reste avant la fin du mandat ; peu ou prou une vingtaine de mois. Mais pour faire ce qu'il devrait faire, c'est-à-dire assurer une vraie politique sécuritaire en France avec des reprises de terrain aux délinquants, cela lui prendrait des années ! Et qu'on se le dise, ce ne sont même plus des mouvements sociaux qui sont craints au plus haut sommet de l'Etat, ce sont des révoltes dans les quartiers sensibles. La France vire "Orange Mécanique" avec des bandes de sauvages, il faut le reconnaître ! Les services de renseignement territoriaux et les médias ont loupé ces dangers-là. Cette montée en puissance des cités a été négligée.»
Antoine Boitel