France

Un soutien trop théorique ? Les policiers reprennent leurs mobilisations après le discours de Macron

Les policiers étaient rassemblés pour la 2e nuit consécutive en Ile-de-France, dans la foulée d'autres mobilisations. Les fonctionnaires expriment leur colère après les récentes déclarations de l'exécutif, mais le front syndical sera-t-il assez uni ?

Entre 200 et 300 policiers franciliens se sont à nouveau rassemblés à Paris dans la nuit du 14 au 15 juin pour manifester leur colère. Après la place de l'Etoile la veille au soir, les fonctionnaires, appartenant principalement à des brigades anticriminalité nocturnes – les «nuiteux», comme on les appelle dans le métier – ont cette fois choisi la place du Trocadéro pour rester statiques, avertisseurs allumés.

Le nouveau symbole du jeter de menottes a été accompli, comme un rituel du fonctionnaire désabusé et s'estimant abandonné, sans moyen de réaliser sa mission et refusant désormais de procéder à des interpellations hors urgence vitale.

Cette opération intervient à la suite des actions exécutées dans les commissariats au cours de la semaine précédente, et d'une marche intersyndicale très médiatique de la place de l'Etoile à l'hôtel de Beauvau, où se trouve le ministère de l'Intérieur, le 12 juin.

Il va falloir des actes et pas seulement du vent et de l'enfumage !

Les rassemblements policiers continuent alors même qu'Emmanuel Macron a fini par évoquer les forces de l'ordre dans son discours du 14 juin. Le président de la République a ainsi invoqué des valeurs républicaines et patriotiques et assuré que les membres des forces de sécurité «mérit[aient] le soutien de la puissance publique» : «Sans ordre républicain, il n'y a ni sécurité ni liberté [...] cet ordre, ce sont les policiers et gendarmes sur notre sol qui l'assurent [...]. Ils sont exposés à des risques quotidiens en notre nom.»

Le discours à peine terminé, c'était au tour du ministre de l'Intérieur Christophe Castaner de traduire sur Twitter la parole de son président : «Par la voix d'Emmanuel Macron, c'est toute la nation qui rend hommage à leur dévouement. Gratitude et confiance aux forces de l'ordre.» Pas assez ? Trop tard ?

Les représentants des policiers nationaux ne semblent en tout cas pas convaincus. Un policier envoyait dès le soir même un message oral à RT France, entre laconisme et fureur : «Après de belles envolées lyriques, de belles paroles fortes, une mise en scène audiovisuelle impeccable, il va falloir des actes ! C'est tout ! Et pas seulement du vent et de l'enfumage !»

Un autre policier, toujours aussi désabusé depuis la «goutte d'eau» de la récente valse du gouvernement concernant l'affaire Adama Traoré, n'a pas non plus été convaincu par le discours du président et nous a écrit dès la fin de l'allocution télévisée : «Le pouvoir n'est pas assez clair, on a juste eu de la câlino-thérapie et les collègues de terrain sont totalement largués, il n'y a rien de lisible dans ce qu'il se passe aujourd'hui...»

Les policiers sauront-ils présenter un front uni ?

Sur le front syndical, des dissensions se font également sentir entre les différentes instances représentant les policiers. Par exemple, l'absence criante d'une des trois grandes organisations syndicales sautait aux yeux le 12 juin lors de la marche intersyndicale vers Beauvau : le partenaire social majoritaire Unité-SGP n'avait pas été convié, laissant ainsi le champ libre à ses comparses d'Alliance et de l'Unsa-Police.

S'étonnant de cette absence, RT France a questionné l'éminence grise d'Alliance, Frédéric Lagache : «Pourquoi monsieur Lefebvre [secrétaire général d'Unité-SGP] n'est-il pas là ?» Réponse cinglante à la cantonade de journalistes et de policiers présents : «Il est toujours en vacances.»

En amont de la marche, un courrier, auquel RT France a justement eu accès, avait été envoyé par l'intersyndicale au secrétaire général d'Unité-SGP. Lui reprochant son absence à une autre rencontre avec le ministre de l'Intérieur à Evry quelques jours plus tôt, l'intersyndicale explique au représentant d'Unité-SGP qu'elle ne souhaite pas s'associer à lui pour cet événement...

Dans ce courrier acerbe, l'intersyndicale convient cependant qu'il s'agirait de ne pas laisser la colère «légitime» de la base policière s'échapper, les termes employés étant précisément : «Comme tu nous l'as écrit, il faut que nous restions unis pour éviter que certains ne récupèrent la colère légitime de nos collègues.»

En matière de récupération, ce sont précisément les organisations syndicales majoritaires qui sont soupçonnées, par les policiers de terrain interrogés par RT France, de récupérer la colère des fonctionnaires de la base. Le message est clair pour eux : lors des marches de policiers en colère en 2016, les syndicats n'avaient pas su faire corps avec des fonctionnaires excédés qui avaient alors pris la rue sans mandat syndical et bien souvent le visage masqué ; cette fois, les partenaires sociaux ont bien saisi l'enjeu et ne veulent pas se laisser dépasser. Dont acte : un représentant syndical d'Alliance accordait des interviews aux médias place de l'Etoile à Paris le soir du 13 juin et un autre d'Unité-SGP en faisait de même le lendemain place du Trocadéro, non loin de là.

Ils pourraient exiger le départ de Castaner, ils obtiendraient sa tête, mais ils ne le font même pas

Pour Jean-Pierre Colombies, ancien commandant de police et porte-parole de l'association de l'Union des policiers nationaux indépendants, contacté par RT France, «les syndicats surtout ne veulent pas perdre la base». Mais d'ajouter : «La base n'est pas dupe, ils sont habitués à ces victoires à la Pyrrhus, aux petites primes, aux promesses d'heures sup' qui n'engagent que ceux qui y croient et ils voient bien qu'il n'y a pas de réponse de fond.»

Cet ancien membre d'un syndicat d'officiers de police est rompu à l'exercice syndical et en connaît les rouages : «Ces manifestations spontanées, elles gênent tout le monde et les syndicats se rendent bien compte qu'ils se font balader par le pouvoir, évidemment. Ils pourraient d'ailleurs exiger le départ de Castaner, ils obtiendraient sa tête, mais ils ne le font même pas. Ils auraient même dû l'exiger dès le soir de sa sortie en boîte de nuit, lorsqu'il allait faire la fête alors que les fonctionnaires et les Gilets jaunes venaient tout juste de se casser la figure ! Son attitude est indigne de la fonction depuis le début.»

Comme le résume l'association de policiers en colère UPNI, fondée lors des rassemblements de 2016, sur sa page Facebook : «En poursuivant ce dialogue tronqué, les syndicats ont cautionné cet état de fait. Les décorés peuvent être fiers, c'est le fruit de leurs accointances avec des politiciens obsédés par leur destinée individuelle. Tous, rimeurs et bretteurs de salon aux indignations calibrées. Bravo messieurs.»

Jean-Pierre Colombies ne décolère pas : «Je persiste et signe, seule la démission de Castaner pourrait changer la donne. Les syndicats sont vigilants et plus attentifs aux expressions de la base qu'avant pour ne plus être débordés par les fameux policiers en colère, mais les grandes manœuvres ne prennent plus. Les pontes syndicaux s'entretiennent avec le ministre et ça ne débouche sur rien depuis des années. Mais à partir du moment où il y a une défiance telle du gouvernement vis-à-vis de ses propres agents, tout ce que pourra dire Emmanuel Macron, ce sera du verbatim ! Il n'y a rien derrière. "Je vous aime mais je ne vous donne rien", la police, c'est comme les enfants orphelins. Et le président continue de valider les affirmations surréalistes de son ministre tant qu'il ne le démissionne pas.»

Des policiers en quête d'identité

Une fonctionnaire de police qui a participé aux récents rassemblements a bien voulu livrer à RT France son sentiment sur ce moment particulier pour les policiers nationaux : «Moi qui commençais sérieusement à douter de mon amour pour mon taf, depuis que je vais à ces nouveaux rassemblements, je suis rassurée, j'ai toujours la foi finalement et ça me redonne la pêche même. Cela nous montre aussi que nous ne sommes pas seuls à galérer, chacun dans son coin avec un boulot ingrat et sans reconnaissance. On réalise que, quand même, c'est un beau métier et qu'on peut être fiers de le faire, avec des collègues parfois cons, mais souvent bons.»

Antoine Boitel