«Atténuer la responsabilité» des maires pour le déconfinement ? Philippe exprime ses réserves
Le Premier ministre s'est montré prudent quant à la demande, portée par des élus de la majorité, d'une plus grande protection juridique des maires dans le cadre du déconfinement. Cet appel avait provoqué de nombreuses réactions indignées.
Lors de sa présentation de la stratégie nationale de déconfinement au Sénat le 4 mai, le Premier ministre Edouard Philippe s'est notamment exprimé sur une récente proposition formulée par des députés et sénateurs de La République en marche (LREM).
Ces parlementaires, dans une tribune publiée dans le Journal du dimanche, prônent une plus grande «protection juridique» pour les maires et les personnes dépositaires d'une mission de service public, qui craignent de faire l'objet de plaintes en mettant en œuvre certaines mesures de déconfinement, comme la réouverture des écoles.
Les réserves d'Edouard Philippe
«Préciser la loi, rappeler la jurisprudence, qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l'état des connaissances au moment où l'on a agi, ou pas agi, oui», a déclaré Edouard Philippe lors d'un passage de son discours sur la responsabilité des maires dans cette crise sanitaire. Avant d'ajouter : «Atténuer la responsabilité, je suis nettement plus réservé.»
Préciser la loi, rappeler la jurisprudence, qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l’état des connaissances au moment où l’on a agi, ou pas agi ? Oui. Atténuer la responsabilité ? Je suis nettement plus réservé. https://t.co/9iAa9vVrQ1
— Edouard Philippe (@EPhilippePM) May 4, 2020
Ni comme maire ni comme Premier ministre, je n'ai été empêché de prendre les décisions que j'estimais devoir prendre
«Ce n'est en rien un hasard si les mots de la loi Fauchon n'ont pas bougé depuis 20 ans» et ce régime «n'a pas empêché, depuis 20 ans, de prendre des décisions», a-t-il souligné. «J'en témoigne : ni comme maire ni comme Premier ministre, je n'ai été empêché de prendre les décisions que j'estimais devoir prendre au regard des pouvoirs et des moyens qui étaient les miens», a encore fait valoir Edouard Phillipe.
Néanmoins, «les inquiétudes sont là, et il nous faut y répondre», avec «deux convictions», a poursuivi le chef du gouvernement : «La première est que notre Constitution nous invite à ne pas aborder cette question de manière segmentée, en pensant à telle catégorie de responsables ou à telle autre», en référence aux inquiétudes des maires, avant de poursuivre : «La seconde est que cette question mérite d'être traitée avec prudence, car nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage, mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs, publics ou privés, s'exonèrent de leurs responsabilités.»
Edouard Philippe a conclu qu'il appartenait au Parlement de «trancher» si la question devait être à l'occasion d'un amendement au projet de loi sur la prorogation de l'état d'urgence sanitaire, ou d'un texte spécifique. Partant, il s'en remet à la «sagesse» des parlementaires.
Le Sénat examine à partir du 4 mai au soir le projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire. Puis, le 5 mai, les députés se pencheront dessus.
Au prétexte de protéger les maires, la majorité veut-elle l'«amnistie préventive» ?
138 députés et 19 sénateurs LREM sont à l'initiative d'une tribune intitulée «La reprise de l'école est notre exigence, la protection juridique des maires également», publiée le 2 mai dans les colonnes du JDD.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et organisant le déconfinement, ces parlementaires de la majorité «proposeron[t] une adaptation de la législation pour effectivement protéger les maires pénalement mais aussi toutes les personnes dépositaires d'une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement [pour l'instant prévu le 11 mai] et ce, pour une période limitée», peut-on lire dans la tribune.
Les parlementaires invoquent les craintes de maires, qui ont «annoncé refuser d'ouvrir les écoles, [tandis que] d'autres demandent à être simplement rassurés quant à leur éventuelle mise en cause, en cas de contamination d'un enfant par exemple». «[Les maires ] ne sont pas en demande d'exonération de responsabilité a priori mais simplement désireux de savoir que la puissance publique d'Etat est à leurs côtés», ajoutent-ils.
Cet appel a provoqué des réactions indignées chez certains responsables politiques et juristes.
Entre autres exemples, l'avocat au barreau de Paris Arié Alimi a épinglé sur Twitter une «loi sur-mesure» voulue par la majorité. «Il semblerait que les plaintes pénales dans le cadre des manquements face à l'épidémie soient à ce point prises au sérieux, que le gouvernement cherche à modifier les incriminations pénales», a-t-il jugé. L'avocat et porte-parole des Gilets jaunes à Rouen François Boulo s'est lui aussi offusqué sur le réseau social : «A chaque fois que le pouvoir macronien fait n'importe quoi, il n'a en réponse qu'un mot à la bouche : "J'assume !" Sauf que c'est faux. Il n'assume rien. Jamais.»