Circuits courts, protectionnisme : la droite se dote d'un think tank pour une «écologie responsable»
Un laboratoire d'idées proche de LR a envoyé de son propre chef un rapport au gouvernement pour développer les circuits courts, le bio et les produits made in France. Un programme qui bouscule les orientations prises par la droite depuis des années.
Un think tankcréé en 2019, d'abord intitulé Droite écologie, rebaptisé Ecologie responsable, a envoyé à la secrétaire d'Etat à la Transition écologique, Brune Poirson, un rapport contenant huit propositions pour «une alimentation saine et durable», dont nous avons obtenu copie. Le laboratoire d'idées de droite assumée veut jouer dans la cour habituellement chasse gardée d'une certaine gauche et d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV).
Il faut dire que les élections européennes et le premier tour des municipales en mars 2020 ont confirmé une donnée : l'écologie est devenue tendance. Et c'est sans aucun doute un point faible pour la droite, habituellement plus discrète sur le sujet. Pour la muscler idéologiquement dans le domaine, Ecologie responsable a déjà envoyé des notes aux Républicains. Pas illogique puisque parmi les parrains du think tank (une cinquantaine, selon lui), une bonne partie sont des élus Les Républicains (LR) ayant publiquement affiché leur soutien à cette démarche, à l'instar du sénateur François Grosdidier, de l'ancien ministre Renaud Muselier ou de l'ex-président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer.
L'organisation revendique malgré tout son indépendance. Le programme proposé par le think tank dans son rapport au ministère de la Transition écologique risque d'ailleurs de bousculer certaines idées libérales et productivistes habituellement prônées par la droite modérée depuis des dizaines d'années. Si Ecologie responsable se centre sur le terroir et la ruralité, le cercle de réflexion veut aussi remettre en cause certains schémas bien établis, en appelant à réduire la bétonnisation dans les aires urbaines – pour développer les jardins familiaux – ou l'agriculture intensive. «On est dans un monde qui pousse à l’agriculture intensive. Derrière l’agriculture intensive, ce sont aussi des hommes, des gens qui ont besoin de vivre, il faut donc proposer différents mécanismes pour les pousser à changer de modèle», explique pour RT France Ferréol Delmas, président d'Ecologie responsable, qui affirme par là même que «l’agriculture n’est pas incompatible avec l’écologie».
Remettre en cause l'agriculture intensive et développer les circuits courts
Parmi ses propositions majeures, la structure écologiste souhaite mettre en œuvre «le chèque proximité», à l'image des titres-restaurant. Ce nouveau mode de paiement viserait à inciter l'achat de produits locaux, français et provenant d'une agriculture biologique. Mais à l'inverse de certaines organisations écologiques, Ferréol Delmas s'oppose à promouvoir le «punitif» pour bouleverser les pratiques : «On est bien conscient que c’est un travail de longue haleine. Europe Ecologie-Les Verts s’est coupée de la France populaire par exemple. Ce parti propose que l'on consomme de la viande de bonne qualité. Mais cela coûte très cher, et ce n’est pas disponible pour tout le monde. L’objectif pour nous, c’est d’arriver à un résultat avec de l’incitation. Les chèques proximité seraient un premier pas dans cette direction. L’objectif, c’est de démocratiser l’accès à une nourriture plus saine et à vivre mieux.»
Europe Ecologie-Les Verts s’est coupée de la France populaire
Ferréol Delmas explique d'autre part que les chèques proximité pourraient faciliter «les partenariats à la fois pour les entreprises, les cantines et les agriculteurs» : «Dans une entreprise vous avez, par exemple, les tickets-restaurants. Sur ces tickets, on peut mettre un pourcentage de chèques proximité et ceux-ci seraient directement retirables par les salariés auprès des agriculteurs.»
Ecologie responsable veut ainsi permettre une sorte de cercle vertueux «poussant les agriculteurs vers le biologique – et d'en vivre, poussant également les citoyens à une meilleure consommation et donc, à la fin, faire vivre l’économie locale». Les agriculteurs, les éleveurs, les plateformes internet, les vendeurs sur les marchés bénéficieraient par conséquent d'un label, pour recevoir ces chèques s’ils répondent aux différents critères tels que la production biologique, les conditions de travail ou le respect du circuit court. Tout cela serait chapeauté par «par un organisme» de contrôle et de surveillance.
Ferréol Delmas estime au demeurant que la crise sanitaire actuelle est propice pour une réflexion autour de ces nouveaux modes de consommation et de production : «La période actuelle incite les gens à mieux consommer. J’ai moi-même de la famille qui s'est lancée dans l’agriculture biologique et elle voit des chiffres qui ont doublé sur la production biologique depuis le début de la crise du coronavirus.»
On veut une souveraineté écologique, pour aider les gens à mieux vivre
Le chèque proximité n'est évidemment pas la seule mesure d'incitation d'Ecologie responsable. Ferréol Delmas évoque aussi «la mise en place d'une franchise de TVA, jusqu'à 50 000 euros de chiffre d'affaires pour les artisans et producteurs locaux», signifiant donc que tous les produits alimentaires vendus par un petit producteur, en circuit court, seraient non taxés à la vente. «On veut une souveraineté écologique, pour aider les gens à mieux vivre, c’est aussi un projet libéral au sens noble du terme», appuie-t-il, précisant : «On veut moins de normes et aider les gens à s’en sortir en enlevant certaines taxes et impôts pour aider les petits commerçants, les producteurs locaux et les artisans. Il faut aider les petites entreprises à passer ce cap écologique.» Cette agriculture qui fait la part belle au local, serait source d'emplois selon Ferréol Delmas. Dans cette optique, il propose d'ailleurs des incitations financières pour les emplois saisonniers, liées à la pénibilité, tout en réduisant les périodes de droits au chômage pour ceux-ci.
Pour un protectionnisme alimentaire
Une question demeure. Les grands partis du centre et de la droite gouvernementale (comme l'UDF, le RPR, l'UMP, LR) ont généralement promu la construction européenne ou les traités de libre-échange, pouvant concurrencer, parfois déloyalement, les produits français.
Si le libre-échange c’est de se faire imposer des produits étrangers qui n’ont pas les mêmes règles sanitaires et sociales, on n'en voit pas l’intérêt
Le Ceta (traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne), par exemple, permet l'importation de viande bovine outre-Atlantique, renforçant la pression sur les producteurs français. Or, au Parlement européen, le Ceta a été approuvé par une majorité des eurodéputés LR. Le laboratoire d'idées n'approuve pas ce choix. Si Ferréol Delmas se décrit comme libéral, il expose une critique féroce contre les traités de libre-échange pouvant mettre à mal la production nationale : «Si le libre-échange, c’est de se faire imposer des produits étrangers qui n’ont pas les mêmes règles sanitaires et sociales, on n'en voit pas l’intérêt. C’est mauvais pour la population et pour sa santé. Le Ceta c’est exactement cela et on est logiquement contre. On est plus pour un libéralisme à l’intérieur de notre frontière, en libérant les énergies individuelles et en enlevant certaines taxes, et pour un protectionnisme envers les autres. Le libéralisme au niveau international, on n’en voit pas trop l’intérêt.»
Dans les prises de position d'Ecologie responsable, nombreuses peuvent donc faire écho au «localisme» proposé par le Rassemblement national (RN) lors de la campagne des élections européennes de 2019. Ferréol Delmas se satisfait qu'un parti puisse proposer des «choses intéressantes» avec, il le confesse, des propositions qui «se recoupent certainement, comme sur le terroir». Néanmoins, le think tank écologique se distancie sur la vision «étatiste» et «jacobine» du RN : «Nous concernant, nous sommes davantage plus décentralisateurs et libéraux. On veut en effet mettre en place une écologie de l'incitation et de la subsidiarité qui pourrait se faire au plus petit niveau, à l'image des cantines, où la prise de décision se ferait à l'échelle communale.»
Bastien Gouly