Respect du confinement : «lassitude» des Français et chiffres de contrôle... invérifiables ?
«Le confinement n'est pas terminé» rappelle la gendarmerie, alors que le renseignement évoque une «lassitude» des Français quant aux mesures strictes. De son côté, Beauvau met en avant des chiffres de contrôles élevés, dont certains doutent.
Le 26 avril, la gendarmerie de Loire-Atlantique a poussé un «coup de gueule», ainsi que le résume 20 Minutes, sur sa page Facebook pour rappeler que «le confinement n'est pas terminé».
La gendarmerie énumère quelques infractions constatées au cours du week-end : un groupe de trois individus en état d'ébriété sur la plage à Pornic ont fini la nuit en cellule de dégrisement et l'un d'eux avait déjà été verbalisé à trois reprises pour non respect des mesures de confinement. Un chauffeur routier circulant à vélo sans attestation et avec 1,76 gramme d'alcool dans le sang qui s'était caché dans un bosquet pour échapper au contrôle a également été verbalisé... Un autre, près de Saint-Nazaire, circulait en voiture «sans motif valable», sans permis (un Audi Q7 non-assuré), sous l'emprise de l'alcool (1,80 gramme) et de la cocaïne, avec un enfant à bord.
La gendarmerie conclut avec flegme son coup de gueule : «Les gendarmes resteront présents pour vous protéger et faire respecter le confinement qui est valable jusqu'au 11 mai. Vous pouvez aussi sauver des vies en luttant contre la propagation du virus.»
Rester chez soi, sauver des vies : un message qui a bien fonctionné dans les forces de l'ordre
Sauver des vies en restant chez soi, un message simple de prime abord, mais qui aurait de plus en plus de mal à être entendu, tant la date de fin de confinement avancée par le président de la République est ancrée dans l'esprit des Français...
Selon une source policière contactée par RT France, cette idée de sauver des vies en faisant respecter des mesures strictes de confinement a été très partagée par les forces de sécurité intérieure : «Nous avions le sentiment de faire quelque chose d'utile face à une crise majeure, alors les collègues se sont jetés dessus en se disant, "on va aider à se protéger". Toute la boîte a joué le jeu avec ce sentiment que toutes les personnes qui se trouvaient dehors n'avaient rien à y faire... sauf dérogation et avec l'attestation en bonne et due forme. Mais nous avons aussi été un peu instrumentalisés avec ce confinement, surtout maintenant qu'on nous parle de déconfinement sans masque... ça paraît un peu absurde à présent.»
Contacté par RT France, Laurent Nguyen, policier de la compagnie républicaine de sécurité 46, basée à Lyon (CRS 46) et délégué du syndicat VIGI-MI, a évoqué au téléphone une hypothèse similaire : «Je me suis replongé dans le confinement en essayant de prendre du recul. Je me rends compte qu'on s'est plongés dans la mission sans réfléchir et sans avoir vraiment les moyens nécessaires de l'appliquer. Par exemple, les premières attestations qu'on a vues, c'était dans les mains des personnes contrôlées, mais sur quelles bases légales étions-nous censés verbaliser ? Quels textes nous y autorisaient ? Comment vérifier que les motifs dérogatoires étaient bien ceux invoqués pour la sortie ? La sortie médicale ne pouvant pas être repoussée par exemple... comment on vérifie ?»
«Un très gros relâchement» des règles de confinement
Cette même source, qui a contacté ses collègues pour les interroger, estime par ailleurs qu'on constate actuellement «un très gros relâchement» du respect de confinement. Concernant la situation dans les quartiers sensibles, il lâche dépité : «Certains collègues en ont fait une affaire personnelle. Quand on doit se désengager d'une situation pour ne pas envenimer les choses, il ne faut pas en faire quelque chose de personnel. On se retire, c'est tout. Mais certains policiers connaissent les personnes verbalisées. Ces mesures de confinement cristallisent d'une part toutes les difficultés relationnelles et d'autre part, elles cristallisent les difficultés entre ces quartiers et l'Etat en général.»
Laurent Nguyen rapporte ces difficultés à des situations antérieures également et revient sur l'affaire de la fameuse note du directeur départemental de la sécurité publique dans le Calvados, datée du 24 avril, qui demandait à ses effectifs de police de ne pas «intervenir dans les quartiers à forte concentration de population suivant le ramadan» pour contrôler des regroupements de personnes rassemblées après le coucher du soleil.
A ce sujet, le syndicaliste précise : «La note du Calvados, nous savons très bien qu'il y a toujours eu des instructions dans le genre, même si l'administration a toujours démenti et évité les écrits. Ce sont des instructions données à l'oral, généralement. Par exemple, il y a plusieurs années, ma compagnie intervenait à Mantes-la-Jolie pour trois semaines... mais sur place, nous avons eu la surprise de ne jamais être invités à intervenir dans les zones où nous aurions peut-être pu servir à quelque chose. Idem : ce n'étaient que des instructions orales.»
«A quoi sert la verbalisation dans la Creuse ?», questionne un ancien commandant
Contacté par RT France, Jean-Pierre Colombies, ancien commandant de police et porte-parole de l'association de policiers en colère UPNI, questionne pour sa part : «Quelle est l'utilité de ce dispositif aussi ? A quoi sert la verbalisation dans la Creuse ? Rien ! L'explosion sanitaire à attendre, elle est en Seine-Saint-Denis ! Et le ministre de l'Intérieur, avec son secrétaire d'Etat à l'Intérieur sont en partie coupables de cette thrombose dans les systèmes de santé du département s'ils ne font pas appliquer les mêmes conditions qu'ailleurs ! Ils envoient juste quelques flicards au carton sans donner les bons moyens ! Mais c'est un problème global, la banlieue, de toute façon, c'est un symptôme de la maladie de l'Etat qui a trop défavorisé son service public, dans la santé, comme dans la sécurité.»
Voyant les policiers nationaux confrontés à des mouvements de rébellion dans certaines zones sensibles, notamment à Villeneuve-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine, Christophe Castaner a pourtant dû réagir publiquement et a assuré le 23 avril sur BFMTV qu'il veillerait «à ce que le confinement soit respecté partout en France», minimisant les violences «sporadiques» dans les quartiers.
Des chiffres ronflants mais invérifiables ?
Servant la même logique d'un gouvernement garant de la santé et de la sécurité de tous, les chiffres de contrôles de verbalisation sont régulièrement rappelés et mis à jour par le ministère de l'Intérieur : fin mars, le gouvernement envoyait 100 000 agents effectuer des contrôles, puis le 1er avril, Christophe Castaner annonçait au micro d'Elisabeth Martichoux sur LCI que 5,8 millions de contrôles avaient été effectués. Ensuite, le 8 avril selon les informations du Figaro, «le bilan transmis au ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, avoisinait les 530 000 procès verbaux» pour non-respect du confinement.
Mais ces chiffres vertigineux sont-ils vérifiables ? Selon le CRS militant Laurent Nguyen, un doute subsiste : «Les rapports de verbalisation, c'est opaque, nous ne connaissons pas vraiment la source de ces chiffres.»
Une source policière contactée par RT France ricane : «Les chiffres sont gonflés à tous les niveaux. Et surtout en haut [de la hiérarchie]. Si ça ne convient pas aux directeurs, eh bien ils boostent les chiffres. Il y a des contrôles, certes, mais l'information est tronquée, comme toujours.»
Le problème, c'est que nous sommes toujours dans la culture du chiffre depuis Nicolas Sarkozy
Une autre source policière contactée explique sous couvert d'anonymat : «Chaque équipage de police déclare son nombre de contrôles et de verbalisations en fin de service, avec des chiffres qui vont satisfaire la hiérarchie.»
Un policier de terrain spécialiste du maintien de l'ordre analyse : «Le problème, c'est que nous sommes toujours dans la culture du chiffre depuis Nicolas Sarkozy. L'administration policière fonctionne comme les autres : s'il est demandé à un patron de faire beaucoup de contrôles, l'instruction se répercutera sur ses subordonnés qui le feront. Si on nous demande plus de contrôles de stupéfiants, nous le faisons, idem pour les évictions de migrants, parfois suivant les nationalités même ! Cela ne signifie pas que les chiffres soient réels. Ce qui compte, c'est le tableur Excel du patron. Je pense que c'est exactement pour ça qu'ils n'ont pas su réagir face à cette crise sanitaire : dans leurs tableaux, ils n'avaient pas les colonnes pour les masques de protection sanitaire, tout simplement. Par contre, en maintien de l'ordre, on sait combien on a de blessés, combien de fois on a tiré au LBD, combien de grenades ont été jetées, il y a les colonnes dans le tableau.»
Selon cette source policière contactée par RT France, les «patrons» se déchargent donc de la responsabilité sur les «chefaillons» de l'échelon inférieur et ainsi de suite : «Sans parler précisément des contrôles de confinement, j'ai déjà vu des journées à zéro contrôle avec une annonce à 20 contrôles à la fin de la journée. Mais ensuite, personne ne peut vérifier ces chiffres.»
Une administration «malade» ?
A titre d'exemple, ce même fonctionnaire anonyme rapporte deux situations ubuesques : «Les directeurs ont compris que cela rapportait plus de points pour leurs primes de faire tirer les collègues au stand que de leur faire faire des contrôles et des interpellations. Alors le commandant en charge doit se débrouiller parfois avec des effectifs réduits sur le terrain, quitte à faire passer deux fois l'habilitation au tir pour le même fonctionnaire. J'ai déjà fait une formation pour une arme sans cartouches à blanc. Comme nous n'avions pas de munitions, nous mimions la détonation, "pan, pan", comme ça...»
Et d'ajouter : «Cette administration paraît si malade, depuis si longtemps, qu'on doit s'adapter et faire avec.»
Avant de conclure : «Des pompiers avec qui j'en ai parlé et certains collègues aussi ne voient plus trop à quoi ça sert ce confinement. Nous avons enregistré la date du 11 mai comme tous les Français, avec la réouverture des écoles aussi... Et chacun peut constater qu'il y a moins de contrôles.»
La «lassitude» des Français et «l'attente de masques» selon le renseignement
L'ancien commandant Jean-Pierre Colombies s'énerve au téléphone et prévient : «En 35 ans de police, je n'ai jamais vu un tel rejet, une telle défiance vis-à-vis de nos institutions. On ne peut pas confiner les Français éternellement, ça ne marche pas et en plus, les gens voient bien le manque de cohérence dans le discours gouvernemental, sur les masques, sur les tests... Mais le corollaire inévitable de l'incohérence, c'est la violence. Je pense que c'est un classique de l'histoire française.»
Lassés du confinement les Français ? C'est le sens général qui émanait d'une note du renseignement intérieur consultée par RT France et qui évoquait une «lassitude populaire et l'attente de masques» : «Une lassitude commence à se faire ressentir qui se traduit par une hausse de la fréquentation des espaces publics. [...] Des regroupements ont été observés tant chez des particuliers que sur la voie publique. Des difficultés psychologiques semblent apparaître chez une partie de la population. [...] L’attente de masques est toujours très forte au sein de la population. Des critiques circulent au sujet du défaut d’approvisionnement. Des pharmacies se trouvent parfois confrontées à des situations tendues face à des individus recherchant coûte que coûte des masques. Au cours du week-end, la façade de la gendarmerie de Pontarlier (Doubs) a été taguée : "Faut des masques, pas des PV".»
Faut des masques, pas des PV
Disposant de ces notes de suivi sur la crise sanitaire, le ministère de l'Intérieur et le gouvernement n'ignorent donc rien de ces éléments d'appréciation vis-à-vis de la population. Evoquant la «confidence» d'une source du renseignement, le rédacteur en chef sécurité de Valeurs actuelles, Louis de Raguenel, a justement déclaré sur son compte Twitter ce 27 avril : «"Le plus grand risque pour le pouvoir : que le confinement tombe de lui-même avant le 11 mai, par lassitude des Français". Et d'ajouter : "s'il n'est plus respecté, je vois mal la police chargée de verbaliser en masse."»
Confidence d'une source dans les services de renseignement - "le plus grand risque pour le pouvoir: que le confinement tombe de lui-même avant le 11 mai, par lassitude des Français". Et d'ajouter : "s'il n'est plus respecté, je vois mal la police chargée de verbaliser en masse"
— Louis de Raguenel (@LouisDeRaguenel) April 26, 2020
Le cas échéant, il sera peut-être éclairant de consulter Beauvau pour obtenir les chiffres correspondant à ces éventuels contrôles...
Antoine Boitel