«C'est à l'étude...» : les laboratoires départementaux enragent d'être empêchés de tester en masse
Les laboratoires départementaux disposent des compétences et du matériel pour procéder à des tests Covid-19. Mais le gouvernement ne leur permet pas de participer au dépistage. Ils assurent pourtant pouvoir faire 150 à 300 000 tests par semaine.
«C'est à l'étude. […] Nous avons des normes réglementaires à respecter» : la phrase, qui revient en boucle dans la bouche des autorités pour ne pas mettre en place des tests à grande échelle pour dépister le Covid-19, fait s'étrangler les professionnels de laboratoires départementaux. Il faut dire qu'ils patientent depuis près d'un mois dans un contexte d'urgence sanitaire. Contactés par Le Point, plusieurs directeurs de laboratoires départementaux trouvent «incompréhensible» le silence gouvernemental. Et pour cause : ces laboratoires ont annoncé début mars disposer non seulement d'un personnel de pointe – disponible pour réaliser des tests à grande échelle – mais aussi de fournisseurs, capables de les équiper en réactifs qui manquent dans les CHU et laboratoires privés.
Les laboratoires départementaux, ayant entendu l'appel à la mobilisation générale du président de la République, ont ainsi adressé une proposition par e-mail dès le 15 mars au directeur général de la Santé Jérôme Salomon. Les laboratoires départementaux expliquent alors pouvoir réaliser, dans un délai de 15 jours, entre 150 000 et 300 000 tests par semaine.
C'est absurde. Il n'y a que l'homme pour se considérer comme non-mammifère
Le Point rapporte qu'en Indre-et-Loire par exemple, les différents acteurs concernés «s'arrachent les cheveux». «Nous avons établi un protocole de prélèvement avec le CHU de Tours, tout le monde travaille en intelligence, on est prêts… Mais l'ARS [Agence régionale de santé ] bloque», assure un proche du dossier, dont les propos sont rapportés par Le Point. L'ARS n'aurait pas fourni de motifs clairs pour justifier ce blocage. «On ne nous a pas vraiment dit ce qui bloquait», explique ainsi Jean-Gérard Paumier, président du conseil départemental d'Indre-et-Loire. «On me parle de blocages juridiques, qui seraient à l'étude. Mais moi, sur le terrain, je dois gérer mon personnel d'Ehpad, qui vient travailler sans être testé, la peur au ventre, et qui menace de s'arrêter chaque jour !»
Des normes réglementaires sur lesquelles s'assoient d'autres pays
La seule explication apportée par les services d'Olivier Véran tient en une formule répétée à l'envi : «C'est à l'étude. […] Nous avons des normes réglementaires à respecter.» Alors que l'Allemagne, la Belgique ou l'Espagne mobilisent eux toutes les ressources disponibles, y compris les laboratoires vétérinaires. Mais en France, l'homme n'est pas considéré comme un mammifère lambda. Depuis une loi du 30 mai 2013, les laboratoires de biologie médicale vétérinaire n'ont en effet plus le droit de traiter le moindre prélèvement issu d'un corps humain, et vice versa. Sur son site, le Syndicat des biologistes raconte : «A l’époque des débats au Sénat d’alors, Roselyne Bachelot [ministre de la Santé] était restée sourde aux arguments du sénateur René Beaumont». Celui-ci, vétérinaire de profession, faisant allusion aux zoonoses, maladies et infections dont les agents se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l'homme, avait déclaré : «Ce serait [...] une grave erreur que de scinder la biologie médicale en une composante humaine et une autre animale ». Conséquence directe de l’ordonnance ratifiée par la loi de mai 2013 : les vétérinaires ne peuvent plus prétendre au statut de biologiste médical.
Pour pouvoir faire participer les vétérinaires, il faudrait donc modifier la loi, ce que les autorités rechignent à faire actuellement. «C'est absurde. Il n'y a que l'homme pour se considérer comme non-mammifère», s'étrangle Jean-Louis Hunault, président du Syndicat de l'industrie du médicament et diagnostic vétérinaires, interrogé par Le Point. «Un virus est un virus, quel que soit le corps où il se loge», poursuit-il, assurant par ailleurs qu'il suffirait de «vérifier auprès de l'Institut Pasteur que [leurs] kits sont fiables, de les adapter au besoin» et que ce serait «l'affaire de quelques jours».
Même le président du Sénat Gérard Larcher, vétérinaire de profession, aurait directement évoqué la question avec Emmanuel Macron, selon Le Point, et le président se serait dit favorable. Contacté par l'hebdomadaire, à plusieurs à plusieurs reprises, sans surprise, le ministère de la Santé a répondu : «Il y a un problème de norme. C'est à l'étude».
Le 28 mars, le ministre de la Santé Olivier Véran annonçait que la France avait passé une commande pour 5 millions de tests rapides qui «permettront d’augmenter nos capacités de dépistage de l’ordre de 30 000 tests supplémentaires par jour au mois d’avril, 60 000 au mois de mai et plus de 100 000 par jour au mois de juin». Pas de quoi rattraper le retard accumulé par rapport à l'Allemagne qui pratique plus de 500 000 dépistages du Covid-19 par semaine, depuis le début de la pandémie. Outre-Rhin, le confinement n'est d'ailleurs pas aussi strict qu'en France.