Réforme des retraites : des économistes décryptent les éléments de langage du gouvernement

Réforme des retraites : des économistes décryptent les éléments de langage du gouvernement© Ludovic Marin Source: AFP
Emmanuel Macron et Edouard Philippe, le 11 novembre 2019, à Paris (image d'illustration).
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Alors que le gouvernement déploie ses arguments pour justifier la future réforme des retraites, des économistes analysent pour RT France quelques-uns des éléments de langages avancés par la majorité.

La mobilisation se poursuit contre la future réforme des retraites portée par le gouvernement, avec une 22e journée de grève, soit pour l'instant autant qu'en 1995. Avant l'examen du projet au Parlement début 2020, des économistes de l'association des Economistes atterrés analysent pour RT France les arguments déployés par l’exécutif dans le but de justifier sa volonté de modifier en profondeur le système de retraites français.

«Tout le monde sera gagnant»

Invité sur le plateau de TF1 le 11 décembre, le Premier ministre Edouard Philippe martelait qu’il n’y aurait aucun perdant dans la nouvelle réforme voulue par son gouvernement. «Tout le monde sera gagnant», avait-il alors expliqué face au présentateur Gilles Bouleau. Toutefois, en analysant de plus près le nouveau mode de calcul, il apparaît que le montant de la pension ne dépendra plus, comme c’est le cas actuellement, du salaire des 25 meilleures années pour un employé du privé et des six derniers mois pour un fonctionnaire.

Une incohérence relevée par Frédéric Boccara, économiste et statisticien public et membre du Conseil économique social et environnemental (CESE), qui a récemment lancé un appel en ligne baptisé Pour une réforme de progrès social et de civilisation, dans lequel il demande au gouvernement de retirer son projet et offre des pistes de réflexion pour adapter notre système actuel. «En réalité, cela revient à se baser sur une nouvelle moyenne de référence à laquelle on ajouterait des valeurs inférieures, la faisant mécaniquement baisser», assure-t-il à RT France. De son côté, Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), estime que «le nouveau système débouchera nécessairement sur une baisse des taux de remplacement [pourcentage du salaire touché à la retraite] pour le privé».

«Un salarié du secteur privé bénéficie aujourd’hui d’un taux de remplacement d’environ 64%, mais avec le nouveau mode de calcul, celui-ci s’établira à 50% en cas de départ à 62 ans et 58,5% en cas de départ à 64 ans», rappelle-t-il pour RT France, faisant valoir qu’en «modifiant ces règles, le gouvernement en profite pour faire diminuer discrètement le taux de remplacement».

L’argument avait été dévoilé par François Fillon en 2016 lors d’une intervention pour le think tank Fondation Concorde comme on le constate sur une vidéo depuis exhumée sur les réseaux sociaux. Fustigeant ces «politiques qui jouent avec l’affaire des retraites», l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy avait souligné que «le système par points permet une chose qu’aucun homme politique n’avoue : faire baisser la valeur du point et diminuer les pensions».

Les femmes, ces «grandes gagnantes» de la réforme

Toujours le 11 décembre sur TF1, le Premier ministre défendait une réforme favorable aux femmes, qu’il avait qualifié de «grandes gagnantes». Or plusieurs points du projet semblent produire l’effet inverse, ce que met parfaitement en lumière Anaïs Henneguelle, maître de conférences en Economie à l’Université de Rennes 2, dans sa publication Retraites : 12 idées reçues à combattre, dans laquelle elle déconstruit les arguments gouvernementaux.

«Le gouvernement ment. Avec le nouveau mode de calcul, les femmes seront les premières impactées car elles ont des carrières plus courtes», déclare à RT France cette chercheuse associée en économie et sociologie à l’École normale supérieure de Paris-Saclay. Et pour les 1000 euros minimum de pension promis par le gouvernement ? «En réalité ces 1000 euros ne seront versés qu’à des personnes ayant effectué des carrières complètes ce qui n’est pas le cas des femmes. Il y aura encore des pensions inférieures à ce montant», argue-t-elle.

Par ailleurs, le gouvernement semble également confondre «femmes» et «mères». «Les quelques mesures annoncées par le Premier ministre, comme la majoration de 5% accordée à partir du premier enfant, ne bénéficient qu’aux mères et aucunement aux femmes», se désole-t-elle. En outre, le fait de pouvoir choisir le parent qui pourra bénéficier de cette majoration revêt selon elle un effet pervers : «Etant donné que les hommes ont en moyenne un revenu plus élevé, il sera plus donc plus intéressant de leur appliquer cette majoration plutôt qu’aux femmes, creusant encore un peu plus les inégalités.»

Les régimes spéciaux doivent disparaître

Après une réunion à Matignon avec les syndicats le 19 décembre, le Premier ministre avait réaffirmé que «le gouvernement ne reviendra pas sur la suppression des régimes spéciaux». Argument récurrent de l’exécutif, la fin des régimes spéciaux est présentée comme un moyen de rétablir l’égalité entre tous les citoyens. «Les régimes spéciaux ne représentent que 3% des retraités et 1,5% des actifs et l’idée selon laquelle mettre fin à ces régimes améliorera la retraite de toute la population est assez démagogique», objecte toutefois Henri Sterdyniak.

Pour lui, la suppression de ces régimes spécifiques de retraite «déboucherait sur des économies de l’ordre de 1,5 milliards d’euros par an ce qui n’est en rien comparable au montant total des retraites qui s’établit autour de 320 milliards d’euros par an». D’après Anaïs Henneguelle, les régimes spéciaux jouent le rôle «d’écran de fumée». «Cela permet au gouvernement de focaliser l’attention des Français tout en modifiant le système en profondeur à beaucoup d’autres endroits», observe-t-elle.

Le gouvernement met, lui, en avant le déficit engendré par de tels régimes de retraite. Un «alibi» pour la maître de conférences : «Le déficit des régimes spéciaux n’est pas tant lié aux avantages procurés par le système qu’au déficit démographique de certains régimes spéciaux comme la SNCF (144 000 cotisants pour 258 000 bénéficiaires). Les réintégrer dans le régime général en l’état ne fera que l’affaiblir car le déficit structurel lié à la démographie demeure inchangé.»

Une meilleure lisibilité du système

Un des autres arguments régulièrement avancés par le gouvernement est la simplification d’un système considéré comme trop opaque. «Le nouveau mode de calcul proposé rend les choses encore plus compliquées en distinguant d’office trois types de travailleurs : ceux nés avant 1975, qui bénéficieront de l’ancien système, ceux nés après 2004 qui auront uniquement cotisé dans le nouveau système, et ceux nés entre les deux pour qui il faudra calculer une partie de la pension avec l’ancien système et l’autre avec le nouveau», note Anaïs Henneguelle.

Le système à points n’est pas comparé au système actuel, mais au système tel qu’il serait après 25 ou 35 années de détérioration.

Si effectivement dans le nouveau système chacun pourra avoir accès à tout moment au nombre de points qu’il détient, personne ne sera en mesure de connaître le montant exact de sa pension comme c’est le cas actuellement dans le système à prestations définies. «Le montant des futures pensions pourra évoluer dans le temps en fonctions de trois paramètres pour le moment inconnus : la valeur d’acquisition du point, la valeur de restitution du point et l’âge pivot», poursuit l’universitaire.

De son côté, Henri Sterdyniak conteste les exemples pratiques mis en avant par le gouvernement qualifiant la présentation des cas-types par le site du Haut-Commissariat aux Retraites de «mensongère». «Dans la plupart des cas, l’impact est très faible, à la hausse ou à la baisse. En fait, ce résultat s’explique par le fait que le système à points n’est pas comparé au système actuel, mais au système tel qu’il serait après 25 ou 35 années de détérioration», prévient-il.

Le maintien du système par répartition

Alors qu’il assure que sa réforme est nécessaire afin de sauvegarder le modèle français de retraites par répartition, le gouvernement essuie des critiques lui reprochant justement de vouloir porter atteinte au fondement du système créé par Ambroise Croizat. «Le fait qu’il soit impossible de calculer le montant de sa future pension dans le nouveau système va générer des inquiétudes légitimes et les gens qui le peuvent vont se tourner vers la capitalisation afin de ne pas finir avec une retraite de 1000 euros», admet Anaïs Henneguelle. D’après Frédéric Boccara : «Le gouvernement essaye d’enfermer les gens dans une vision marchande et individualiste en créant un système par répartition non solidaire qui reproduira à la retraite les inégalités salariales constatées tout au long de la vie.»

«Une des grandes réussites d’Ambroise Croizat à l’époque a été d’emmener les cadres de la capitalisation vers la répartition dans une logique de solidarité intergénérationnelle. Or, dans le nouveau système, les très hauts revenus cotiseront beaucoup moins qu’actuellement au risque de les réintégrer au capital et de les voir s’éloigner des autres travailleurs», analyse Frédéric Boccara. En effet, le taux unique de prélèvement de 28% introduit par le rapport Delevoye ne concerne que les revenus allant jusqu’à 120 000 euros bruts par an, contre 320 000 euros aujourd’hui. Au-delà de ce seuil, ces très hauts revenus ne paieront que 2,8% de cotisations mais uniquement au titre de la solidarité puisque ceux-ci n’ouvriront aucun droit à la retraite.

«C’est un appel d’air supplémentaire pour la capitalisation car ces hauts revenus auront des fonds supplémentaires pour épargner en passant par un fonds de pension comme BlackRock par exemple. C’est bien le fondement même du système de solidarité qui est remis en cause ici», détaille Anaïs Henneguelle. Par ailleurs, le risque est de déséquilibrer le système, les personnes nées avant 1975 bénéficiant encore de pensions calquées sur l’ancien modèle. «Pendant plusieurs décennies, le temps que les générations nées avant 1975 finissent d’écluser leurs droits, il faudra continuer à payer des pensions très élevés à des personnes ayant cotisé jusqu’à 320 000 euros bruts par an, le tout en percevant moins de cotisations sur les très hauts revenus», ajoute-t-elle. «Cela permet de dégager un espace pour la retraite par capitalisation qui pourra très bien s’agrandir demain. Le gouvernement fait entrer le loup dans la bergerie», conclut Henri Sterdyniak.

Alexis Le Meur

Lire aussi : Grèves : l'exécutif échoue à imposer une «trêve» et convoque les partenaires sociaux début 2020

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