Le gouvernement s'inquiète d'une «porosité» entre délinquance et radicalisation
La concertation qui doit encore durer jusqu'à l'été prochain au sujet de la délinquance et de la radicalisation a d'ores et déjà poussé l'exécutif à mettre en place «une nouvelle stratégie» de prévention de la délinquance.
Après un plan contre la radicalisation djihadiste l'an dernier, une initiative pour mieux s'attaquer aux racines de la délinquance en général en 2019 : Edouard Philippe a affiché le 11 avril sa volonté de s'attaquer de front aux deux sujets, en pointant leur «porosité».
Au terme d'une concertation qui doit durer jusqu'à l'été, le gouvernement va mettre en place «une nouvelle stratégie» de prévention de la délinquance. Il s'agira notamment d'intervenir de façon «plus précoce», là où la précédente stratégie ciblait les 12-25 ans, a expliqué le chef du gouvernement lors d'un comité interministériel organisé à Strasbourg.
«Je ne dis pas que la délinquance conduise nécessairement au terrorisme», mais il s'agit «d'être lucide sur la porosité qui peut conduire de l'un à l'autre». «Il peut exister un continuum entre la délinquance, la radicalisation et le terrorisme», a-t-il plaidé. Le choix de la capitale alsacienne pour présenter sa stratégie ne tient pas au hasard, quatre mois jour pour jour après l'attentat qui a endeuillé le marché de Noël, faisant cinq morts.
Pour le gouvernement, l'auteur de la tuerie djihadiste est l'illustration d'une «dérive dans la délinquance, qui se transforme en dérive dans la radicalisation». Elève très tôt violent – signalé par l'Education nationale dès huit ans – délinquant précoce, Chérif Chekatt, tué par la police après deux jours de traque, a multiplié les condamnations et les séjours en prison avant de verser dans la violence djihadiste.
C'est dans le quartier réputé sensible du Neuhof qu'Edouard Philippe et plusieurs membres du gouvernement, dont Christophe Castaner (Intérieur) et Nicole Belloubet (Justice), ont visité une association qui lutte contre la délinquance et la radicalisation. Puis ils ont fait une promenade dans le marché voisin, avant de tenir leur réunion gouvernementale dans un gymnase scolaire.
Pour Edouard Philippe, le constat est simple : «Nous devons intervenir plus tôt et plus vite», quitte à élargir la prévention de la délinquance à des enfants de moins de 12 ans. Et être présent «là où les jeunes se trouvent» : sur Internet et les réseaux sociaux, dans la rue ou les salles de sport.
S'il a assuré, là aussi, de sa volonté de faire passer l'éducatif avant le répressif, le gouvernement a déjà mis sur la table une révision, d'ici l'été, de l'ordonnance pénale des mineurs, sujet politiquement explosif.
Ces dernières années, les infractions commises par des mineurs affichent une tendance à la baisse, mais les experts s'inquiètent d'une aggravation des infractions commises et du rajeunissement de leurs auteurs, selon un récent rapport parlementaire.
Fermetures pour proximité avec des radicaux
La nouvelle stratégie visera également à donner aux «acteurs locaux» (maires, associations...) les «moyens d'intervenir auprès de ces jeunes et de leurs familles», a promis Edouard Philippe. Les résultats de la concertation sont prévus avant l'été 2019, avec à la clé de premières expérimentations.
Plus d'un an après la présentation à Lille, en février 2018, d'un premier plan axé sur la lutte contre la radicalisation (en prison, à l'école...), Edouard Philippe a donné quelques chiffres sur la lutte contre l'islamisme radical.
Depuis février 2018, quatre écoles musulmanes hors contrat, sept lieux de culte, huit établissements culturels et 89 petits commerces ont été fermés du fait leur proximité avec la mouvance radicale.
Quant à la récente loi Gatel, qui durcit depuis avril 2018 le régime d'ouverture des établissements scolaires hors contrat, la procédure d'opposition à l'ouverture a déjà été engagée à 15 reprises.
Enfin, depuis avril 2018, «près de 300» étrangers en situation irrégulière inscrits dans le fichier de signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ont été expulsés «ou ont quitté volontairement le territoire national», a-t-il ajouté.
Début avril, plus de 20 900 individus faisaient l'objet d'une telle fiche, selon un nouveau pointage.
Dans les prisons, cinq «quartiers d'évaluation de la radicalisation» permettent de placer les détenus dans des quartiers «étanches», ou dans une détention classique mais suivie par des équipes spécialisées, dont font partie par exemple des aumôniers musulmans. Le renseignement pénitentiaire a été renforcé, avec des effectifs de 240 agents qui doivent grimper à 320 début 2020.
L'attaque au couteau de Condé-sur-Sarthe (Orne), commise début mars sur des gardiens par un détenu radicalisé et sa compagne, a toutefois prouvé la permanence du problème.