Au cœur d'une assemblée générale de Gilets jaunes à Montreuil (REPORTAGE)
Comment les Gilets jaunes s'organisent-ils ? A Montreuil, dans le 93, RT France a pu assister à une assemblée générale du mouvement. Le discours d'Edouard Philippe a été commenté. Pas convaincue, l'AG a voté la poursuite de la mobilisation.
Ils se réunissent dans un bar de la rue du Capitaine Dreyfus à Montreuil (Seine-Saint-Denis), à partir de 19h ce 4 décembre. Saïd, le tenancier, est chaleureusement remercié et applaudi pour son accueil. Mais ce seront les derniers applaudissements de la soirée. «On ne s'applaudit pas», donne comme consigne José, qui anime la soirée et, avec Olga, distribue la parole. Devant les 80 personnes réunies pour cette assemblée générale (AG) des Gilets jaunes du «93», José fait l'état des lieux de la lutte. «Ça prend de l'ampleur», dit-il ; «Ça devient énorme», renchérit un autre participant. Les lycéens, les étudiants, les ambulanciers et les agriculteurs semblent en effet converger avec les Gilets jaunes.
José rappelle la nouvelle du jour : l'annonce par Edouard Philippe de la suspension pour six mois des trois mesures fiscales qui devaient entrer en vigueur le 1er janvier et qui ont été à l'origine du mouvement des Gilets jaunes, le 17 novembre.
José propose comme ordre du jour : «Sommes-nous satisfaits de cette annonce de moratoire ? Est-il question de stopper la mobilisation ?» Eclat de rire général dans l'assistance.
Si plusieurs intervenants se félicitent de ce «recul» du gouvernement, ils n'y voient cependant que le début d'une victoire à venir. «Ils commencent à comprendre et à ouvrir les écoutilles», «On est en train de gagner», «C'est un très bon signe que notre mouvement va dans le bon sens et qu'il faut le poursuivre jusqu'au bout», lancent les Gilets jaunes présents les uns après les autres.
"Le 20 du mois, on a faim !"
— Meriem Laribi - #RTFrance (@Meriem_RT) 4 décembre 2018
Réunion des #GiletsJaunes du #93 à #Montreuilpic.twitter.com/4VKyoZPWds
Les tours de parole s’enchaînent et aboutissent à la fin de la séance au vote de la poursuite du mouvement.
Comment organiser la prochaine mobilisation prévue le 8 décembre ? Faut-il rejoindre la manifestation pour le climat prévue le même jour dans la capitale ? Aller sur les Champs-Elysées ? Chacun y va de son avis. Il est finalement décidé que les Gilets jaunes du «93» se donnent rendez-vous le 8 décembre à 14h à Croix de Chavaux (une station de métro de Montreuil) et qu'ils partiront ensemble en marchant jusqu'à la Porte de Montreuil, où chacun prendra le métro et ira rejoindre le lieu de manifestation de son choix.
Des divisions
Un participant venu pour la première fois à ce type de réunion pointe la présence de la caméra de RT France, «une chaîne d'extrême droite», selon lui. Ils se fait contredire par plusieurs autres participants : «On accepte tout le monde ici, on n'a rien à cacher», lui dit José, «Ils font du meilleur boulot que BFM», lui lance un autre participant.
Les journalistes de LCI également présentes se font prendre à partie par des participants à la sortie et finissent par quitter les lieux fâchées. Une dame prend la parole et insiste pour se démarquer des éléments d'«extrême droite» présents dans les rangs des Gilets jaunes. «Pour moi c'est très important, car je suis de gauche et je ne veux pas manifester aux côtés de ces gens», assure-t-elle. «Si on fait ça, c'est la fin du mouvement», lui rétorque un jeune homme à la voix cassée. «C'est un mouvement apolitique !», abondent plusieurs autres à la cantonade.
Pacifistes ou pas ?
Concernant les «casseurs» et les scènes de violence observées lors des dernières manifestations des Gilets jaunes, la plupart des participants à l'AG du «93» se disent pacifistes, mais relativisent la gravité des affrontements : «En 68, ce n'était pas calme non plus», fait valoir un participant. «C'est grâce à cette violence qu'ils ont reculé», lance un autre, «Les mouvements des peuples ne sont jamais calmes», renchérit un autre. «Parlons plutôt de la violence de la précarité qu'on nous impose», rétorque un dernier.
Chantal, une retraitée de 67 ans, va encore plus loin. En colère après avoir été aspergée de gaz lacrymogène à plusieurs reprises de manière totalement injustifiée de son point de vue, elle a elle-même participé aux barricades contre les CRS lors des dernières manifestations. Pour la prochaine manifestation, elle s'est renseignée et va s'équiper d'un pulvérisateur décontaminant, parce que «les gaz lacrymo sont extrêmement difficiles à supporter», selon elle. Elle préfère ne pas penser au danger qu'elle encourt en se rendant à la prochaine manifestation. Pour elle, c'est une occasion inespérée et le rapport de force est très favorable aux Gilets jaunes. En outre, elle se réjouit que ce soit «la France urbaine qui rejoi[gne] la France rurale» dans ce mouvement et y voit un signe important de la cohérence des Gilets jaunes.
Des assemblées citoyennes aux députés
Il faut pousser au cul les députés pour qu'ils prennent des décisions parce qu'on ne les a pas élus pour rien.
A la fin de la réunion, José reprend la parole pour faire une synthèse de ce qui a été dit et évoquer les questions d'organisation. «Il faudra que nous envisagions des modes d'action pour porter plainte collectivement contre les violences policières». José propose qu'un petit groupe se réunisse pour aborder cette question. La semaine dernière, rappelle-t-il, lors d'une précédente réunion, un petit collectif de cinq personnes a été mis en place pour travailler sur un cahier de revendications, qui a été remis au député de la circonscription – l'Insoumis Alexis Corbière. «Ce député en a parlé aujourd'hui-même à l'Assemblée nationale», assure José.
Il signale en outre que mi-décembre, le Conseil municipal de Montreuil se réunit : «Il faut qu'on y aille et qu'on l'oblige à voter une déclaration de soutien au mouvement des Gilets jaunes», plaide-t-il.
Quant à l'idée d'envoyer un collectif pour discuter avec le gouvernement, José rétorque que certains ont essayé de le faire et que «ça a été le fiasco». Pour José, il faut transmettre les revendications des Gilets jaunes à chaque député, «pousser au cul les élus pour qu'ils prennent des décisions, parce qu'on ne les a pas élus pour rien». «Il faut qu'ils appliquent une politique conforme à ce que nous voulons», exige José, applaudi finalement – contre son gré – par toute l'assistance.
Le mouvement des Gilets jaunes va-t-il pour autant survivre aux annonces faites par l'exécutif, comme le laisse penser cette AG des Gilets jaunes de Montreuil ? Réponse ce weekend.
Meriem Laribi