Mort de Clément Méric : un procès brûlant tissé de haines politiques s'ouvre aux assises à Paris

Mort de Clément Méric : un procès brûlant tissé de haines politiques s'ouvre aux assises à Paris© Thomas Samson Source: AFP
Le 3 septembre 2018, antifas manifestant à la veille du procès aux assises des trois skinheads impliqués dans la mort du jeune militant antifa Clément Méric mort le 5 juin 2013.
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Le procès hautement politique des trois skinheads engagés dans une rixe qui fut fatale à Clément Méric, un jeune militant antifa, il y a cinq ans, démarre le 4 septembre.

Le 4 septembre, par petits groupes, amis ou famille de Clément Méric s'agglutinent devant la salle de la Cour d'assises de Paris. Le 5 juin 2013, ce jeune militant antifa de 18 ans avait perdu la vie dans une rixe avec trois skinheads. Tous attendent l'arrivée d'un des deux principaux accusés, Samuel Dufour. Ce dernier, qui comparaît libre, a été arrêté en moto lors d'un contrôle de police et la présidente a décidé de reporter l'audience à 13h45, ne souhaitant pas commencer sans lui.

Ce procès à haute tension, qui doit se dérouler pendant 11 jours, est censé déterminer si le drame est survenu dans une simple bagarre fortuite qui a mal tourné ou s'il y a eu volonté délibérée de tuer. La veille, les antifas étaient venus manifester devant le palais de justice pour mettre la pression.

Cette affaire, loin de n'illustrer que les dégâts des confrontations houleuses entre deux mouvements qui se honnissent, est devenue le symbole des luttes du mouvement antifa, ainsi que de différents syndicats, qui estiment qu'il s'agit d'un assassinat politique. «L'extrême droite tue», avait fait savoir le comité de soutien de Clément Méric, monté juste après sa mort, à la veille du procès.

Les trois suspects comparaissent libres et seront jugés pour «violence commise en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner» et «violence avec usage ou menace d’une arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner». Le troisième accusé, Alexandre Eyraud, est jugé pour simple «violence». L’enquête a déjà écarté l’intention de tuer, mais les auteurs des coups risquent jusqu’à 20 ans de réclusion.

L'autre suspect principal, Esteban Morillo, est apparu à l'audience en costume noir, les cheveux plus longs que d’ordinaire. Le site StreetPress et les milieux antifas n'ont pas manqué de rappeler qu'il aurait recouvert ses tatouages marquant son appartenance aux milieux d'extrême droite à la fin du mois de juillet dernier, soit à quelques semaines seulement du procès. 

Un drame soudain entre bandes ennemies

Le 5 juin 2013, le drame avait eu lieu dans une rue piétonne proche du magasin Citadium dans le 9e arrondissement de Paris, au pied de l’église Saint-Louis d’Antin. 

Dans la rue, quelques heures avant la scène de bagarre, la tension était palpable, caractérisée par des échanges d'invectives entre antifas et skinheads qui faisaient du shopping. Un groupe de militants antifas a décidé d'attendre la sortie des skinheads. Les deux groupes, pourtant dissuadés par le vigile du magasin de plonger dans la violence, s'attendaient à une confrontation. Esteban Morillo est arrivé sur le tard, ainsi que Clément Méric, qui prévenu de la situation, a cherché ostensiblement à connaître la position des skinheads, comme en témoigne son SMS prévenant ses amis que ces derniers sortaient du magasin.

Au cours d'une rixe de quelques secondes seulement, Clément Méric a reçu cinq coups au visage d’un ou de deux agresseurs puis s’est écroulé sur le sol, gisant dans le sang. Le jeune homme, de constitution frêle, 1,73m pour 60 kg, était alors en rémission d’une leucémie et se trouvait affaibli par le traitement qu’il venait de terminer.  Immédiatement tombé dans le coma, il est décédé le lendemain des suites d'une hémorragie cérébrale.

Deux jeunes militants que presque tout oppose

Brillant étudiant à SciencesPo, studieux et discret, Clément Méric était fils de professeurs et avait passé sa jeunesse à Brest. Le militant antifa a découvert Karl Marx à l’âge de 15 ans, militait contre le racisme et pour la cause animale depuis l’adolescence. Il s'était engagé dans le groupe militant Action antifasciste Paris-Banlieue (AAPB). Esteban Morillo, 20 ans à l'époque, fils d’un immigré artisan espagnol, était membre des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), un groupuscule fondé par une figure de l'ultra-droite française, Serge Ayoub. Le jeune homme s'était fait remarquer des services de police en défilant avec un uniforme frappé de la croix gammé, tout en faisant des saluts nazis, dans la ville de Neuilly-sur-Front. Défenseur lui aussi de la cause animale, il avait été repéré sur un site antifa qui y avait glissé sa photo, devenant donc leur cible potentielle.

Les deux jeunes hommes étaient fichés par le renseignement : Clément Méric comme un agitateur recherchant la confrontation avec la droite radicale, comme en témoigne une vidéo dans laquelle il sillonne la Manif pour tous quelques jours avant le drame, tandis qu’Esteban Morillo avait été contrôlé en possession d’un poing américain.

Les antifas, critiqués depuis par différents partis politiques

Chaque année, en France et en Europe, des marches et des hommages entretiennent la mémoire de Clément Méric, dont la mort est devenue le symbole d'une lutte politique, dont certains rassemblements ont donné lieu à des affrontements avec la police.

Certains agissements des antifas ont depuis suscité l'ire d'une partie de la classe politique. L'une de leurs cibles, Marine Le Pen (Rassemblement national-RN), agacée par des heurts lors de sa venue à Nantes en février 2017, avait déclaré qu’elle allait «dissoudre» ces «groupuscules d’extrême gauche dits "antifas"», estimant que leur «seul principe d’action, [était] la violence».

Les personnalités politiques, qui avaient à l'époque du drame, peu commenté les agissements de la galaxie antifa, ont réagi à partir de septembre 2014. A la suite d'affrontements à Notre-Dame-des-Landes, où de présumés antifas auraient décidé d'en découdre avec les forces de l'ordre, le député UMP Yannick Moreau avait déposé une proposition de loi avec 38 autres de ses collègues pour «élargir les conditions de dissolution des associations ou groupements de fait tels que les groupes antifas». «La vérité de l’affaire Méric, c’est qu’il y a eu des provocs des deux côtés. Mais le gouvernement n’a interdit que les mouvements extrémistes d’un bord. Alors que de l’autre côté c’est pas mieux», avait commenté le député UMP Jacques Myard. 

Une mort ayant déclenché des passions dans tous les camps politiques

Mort de Clément Méric : rappel des évènements

L’émotion provoquée par le décès du jeune homme en 2013 s’est ancrée dans un contexte de violences apparues en marge de rassemblements comme la Manif pour tous et différents faits divers liés aux mouvements skinheads ou néonazis en Europe.

Le gouvernement avait réagi avec force à la nouvelle du drame, tandis que le président François Hollande appelait à «comprendre ce qui s'est produit» et à en «tirer les conclusions». Faisant montre de moins de prudence, Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, avait déclaré souhaiter «éradiquer la violence qui porte la marque de l'extrême droite». Jean-François Copé avait quant à lui fustigé «ces groupuscules extrémistes, d'extrême gauche, comme d'extrême droite», les taxant de «danger». Manuel Valls avait rétorqué : «Ce sont des groupes d’extrême droite qui depuis des mois portent des discours de haine. Il ne faut pas confondre ce discours avec ceux qui, d’une manière ou d’une autre, luttent contre le fascisme». «La violence sauvage qui a assassiné Clément Méric [n’était pas]fortuite», avait déclaré Jean-Luc Mélenchon, à l'époque chef de file du Parti de gauche, sur son blog. Il avait pour sa part mis en cause «une culture méthodiquement inculquée et entretenue par des groupes d’extrême droite», liés selon lui au Front national, ex-RN. 

A la suite, politiques de tous camps se sont affrontés autour du drame et de son interprétation. Quelques personnalités socialistes ont immédiatement pris part au rassemblement parisien appelant à «anéantir le fascisme», juste après la mort de Clément Méric. Colombe Brossel, adjointe socialiste au maire de Paris, avait par exemple déclaré : «Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités en matière de dissolution […] Il faut prendre conscience qu’un jeune homme est mort sous les coups parce qu’il est engagé politiquement.» 

Peu présents aux débuts des hommages, certaines personnalités politiques de droite, comme Rachida Dati, ont dénoncé une tentative de récupération politique de la gauche. Valérie Debord, à l'époque déléguée générale adjointe de l’UMP, avait même dénoncé «l'amalgame» que certaines personnalités de gauche auraient fait en pointant du doigt l’UMP ou les «manifestations pacifiques de la Manif pour tous».  

La question de la dissolution des groupuscules nationalistes comme le JNR ou Troisième Voie, le second groupuscule de Serge Ayoub, a très vite été versée au débat. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, avait annoncé : «Notre responsabilité est non seulement de veiller à ce que ces idées ne prospèrent pas et de trouver les réponses juridiques, politiques, pour que tous ces mouvements racistes, antisémites, homophobes soient combattus.» 

Marine Le Pen, candidate malheureuse à l'élection présidentielle de 2012 pour le Front national, s'offusquait en réponse aux diverses réactions politiques d'un amalgame inadmissible et épouvantable. Le 10 juin 2013, elle avait affirmé qu'elle n'avait pas «à regretter» ou «à approuver» la dissolution du JNR. Elle avait taxé l'AAPB dont faisait partie Clément Méric de «groupe ultra violent». Elle avait également appelé à la dissolution des groupes «d'extrême droite» ou «d'extrême gauche» qui «appellent à la violence».

Lire aussi : Convergence des luttes : l'hommage à Clément Méric rejoint la manifestation contre la loi asile

 

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