Alors que les SDF ont été recensés à Paris, que fait l'Ile-de-France pour les sans-abri ?
La présidente de la région Ile-de-France a récemment déploré les conditions de vie indignes dans les bidonvilles de sa région. Mais ses opposants ont remarqué qu'elle avait amputé des millions de budget pour les SDF et le logement des plus pauvres.
Après la Nuit de la solidarité, Paris donne l’impression de vouloir prendre à bras le corps le sujet des sans-abris, estimés à 3 000 dans la capitale le 21 février. Dans le reste de l'Ile-de-France, SDF et précaires abondent également. A tel point que le sujet des bidonvilles a envahi cet hiver les interviews de Valérie Pécresse, la présidente de la région Ile-de-France. Le 11 février sur BFMTV, elle rappelait encore une situation dramatique : «Nous avons 120 bidonvilles. Dormir dans des conditions indignes, cela concerne des milliers de personnes en Ile-de-France.»
"Nous avons 120 bidonvilles, dormir dans des conditions indignes, cela concerne des milliers de personnes en @iledefrance" @vpecresse#BFMPolitique
— BFM Politique (@BFMPolitique) 11 février 2018
Pour Valérie Pécresse, «certains de ces bidonvilles causent des dommages et des nuisances extrêmes à leur environnement. On a à la fois des personnes dans des conditions radicalement indignes et des riverains exaspérés», avait-elle aussi déclaré le 19 octobre sur RTL.
Selon elle, si les habitants des bidonvilles ne peuvent être pris en charge par les structures d’hébergement d'urgence, c’est de la faute des clandestins. «Il faut [...] que nous accélérions les reconduites à la frontière des migrants illégaux, des déboutés du droit d'asile qui n'ont pas le droit de séjourner en France et qui saturent aujourd'hui l’hébergement d’urgence», avait-elle poursuivi. Pour elle, «si on ne reconduit pas les clandestins, on n’aura pas la place pour les demandeurs d’asile et les SDF», qui eux «ont droit à un abri».
Une compassion battue en brèche par ses priorités budgétaires, exposées par ses adversaires politiques. Céline Malaisé, une conseillère régionale du Parti communiste, a réagi aux propos de Valérie Pécresse en affirmant que la présidente de la région Ile-de-France avait «supprimé les aides à la résorption des bidonvilles, sabré de plus de 50 millions le budget du logement social, réduit à peau de chagrin le soutien aux associations qui leur viennent en aide, non utilisé les fonds européens fléchés pour les bidonvilles».
Et donc #Pecresse a :
— Céline Malaisé (@CelineMalaise) 11 février 2018
📍supprimé les aides à la résorption des bidonvilles
📍sabré de plus de 50 millions le budget du logement social
📍réduit à peau de chagrin le soutien aux associations qui leur viennent en aide
📍non utilisé les fonds européens fléchés pour les bidonvilles pic.twitter.com/nSP4LTGaIp
Des faits confirmés par les opposants socialistes à Valérie Pécresse, qui avaient vivement protesté en janvier 2017 dans un communiqué contre la composition de son budget. 7,2 millions d’euros qui finançaient en 2015 le dispositif de soutien aux centres d’accueil et d’hébergement pour personnes sans-abri auraient été purement et simplement supprimés en 2016. Par ailleurs, les élus socialistes ont noté la «suppression du plan d’urgence pour les réfugiés», précédemment doté de 1,8 million d’euros, mais aussi «la suppression de l’aide à la résorption» des… bidonvilles, dotée de 500 000 d’euros. Leur calcul établissait que l’aide d’urgence proposée par Valérie Pécresse pour la période de grand froid 2017 ne représentait que 1,3% des financements de 2015. Cela est visible dans les budgets 2017 et 2018 de la région visibles ci-dessous.
Contactée par RT France, la région Ile-de-France a communiqué le budget qu'elle comptait dédier aux SDF en 2018, tout en précisant que c'est l’Etat qui avait «la compétence de l’hébergement des sans-abris». Les services ont informé que la région continuerait «à soutenir financièrement les associations qui viennent en aide à ceux qui en ont besoin en leur octroyant près de 3,5 millions d’euros en 2018». Ils précisent que la région «soutient tout au long de l’année des projets à destination des sans-abris, tels que la construction d’hébergements, la réhabilitation de CHRS [Centre d'hébergement et de réinsertion sociale] ou bien encore l’aménagement de locaux de distribution pour les acteurs de l’aide alimentaire».
«En 2017, la région Ile-de-France a affecté près de 1 million d’euros attribués sous forme de subventions à diverses structures proposant sur l’ensemble du territoire francilien une aide aux populations en grande précarité (restos du cœur, Armée du Salut, Secours catholique, Croix-Rouge française)», ont précisé les services de la région.
En comparaison de ces 3,5 millions prévus pour 2018, la précédente mandature de Jean-Paul Huchon (PS) avait doté l'hébergement des sans-abri de 44 millions pour la période 2010-2015, comme on peut le voir sur des pages du site de la région en 2014.
Les budgets du logement des précaires amputés en Ile-de-France
Pour éviter le phénomène de ghettoïsation, la région a totalement cessé de financer le logement dit très social dans les zones qui comptaient déjà 30% de logements sociaux, dits PLUS, et très sociaux.
De manière générale, la majorité de droite au conseil régional a réduit le financement des constructions de logements sociaux en Ile-de-France. De 100 millions d'euros en 2015, celui-ci a baissé à 70 millions en 2016, passant à 40 millions en 2017, une baisse expliquée par la région cette année-là par la partage des constructions avec le Grand Paris.
Qu'a fait l’Ile-de-France pour les bidonvilles ?
Si les «camps» accueillent des migrants, les bidonvilles constituent l’habitat miséreux d’une population d’Europe de l’Est, en majorité des Roumains ou des Bulgares, selon les associations de terrain comme Trajectoires. Quant aux demandeurs d’asile et aux SDF, ils sont accueillis par l’hébergement d’urgence, qui s’avère saturé, ou dorment dans d’autres conditions précaires.
Selon Manon Fillonneau, du collectif RomEurope, la politique spécifique de l'Ile-de-France vis-à-vis des bidonvilles n'a jusqu'ici pas montré de grandes ambitions. «La première chose que Valérie Pécresse a fait quand elle est arrivée au pouvoir en décembre 2015 est de supprimer du site de la région Ile-de-France un appel à projets sur l'inclusion des personnes marginalisées telles que les Roms, pour financer des espaces d’hébergement avec des fonds européens. Elle l'a remplacé par un projet édulcoré. Les fonds européens, centralisés et distribués par la région, ont donc été sous-utilisés», révèle-t-elle.
Par ailleurs, elle ne trouve pas pertinente l'idée de vider les centres d'hébergement des clandestins pour y installer les habitants des bidonvilles, qui sont souvent des familles : «L'hébergement d'urgence est assez peu cohérent pour ces personnes. Il faut d'abord les stabiliser et leur offrir un parcours d'accès aux droits cohérent.»
Selon le dernier recensement de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), on dénombre 113 bidonvilles en Ile-de-France. A ce sujet, la circulaire du 26 août 2012 préconisait de les démanteler mais aussi d'évaluer la situation des habitants pour les réinsérer dans un autre type d’hébergement. Pas toujours appliquée, cette circulaire a souvent eu pour effet d’expulser les habitant sans volonté de les reloger. Ainsi selon les chiffres de l'association Romeurope, en 2017, ce sont plus de 11 000 personnes qui ont été expulsées de leurs lieux de vie, dont 63% en Ile-de-France.
Le 25 janvier 2018, une nouvelle circulaire visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles a été signée par huit ministres. Suffira-t-elle à impulser une véritable politique de relogement des précaires qui y vivent ?
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