En procès contre UBS, la lanceuse d'alerte Stéphanie Gibaud dénonce «l'absence de l'Etat français»
Elle dit qu'elle en «savait trop» : Stéphanie Gibaud s'est défendue jeudi 2 février face à son ex-employeur, UBS France, qui l'accuse de «diffamation» pour un livre décrivant des pratiques d'évasion fiscale de la banque. RT France était sur place.
L'affaire opposant la banque UBS France et un de ses anciens cadres, Stéphanie Gibaud, est passée le 2 février à devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, spécialisée dans les «délits de presse», très souvent des affaires de diffamation et d'injure. L'audience a été mise en délibéré au 9 mars prochain.
Stéphanie Gibaud, que la filiale française du géant bancaire suisse UBS poursuit pour diffamation après que celle-ci a dévoilé dans un ouvrage des documents d'évasion fiscale présumée, est arrivée au tribunal entourée d'un comité de soutien.
S. Gibaud est poursuivie en diffamation par la banque #UBS. Elle a dévoilé des documents s/ évasion fiscale présumée pic.twitter.com/3AxownRjNX
— Jonathan RT France (@Jonathan_RTfr) 2 février 2017
Devant la caméra de RT France, celle qui se définit comme «un lanceur d'alerte» a salué la mobilisation de soutien avant de déplorer «l'absence de l'Etat français» dans cette affaire. «Comment l'Etat français qui dit protéger les lanceurs d'alerte accepte que je sois aujourd'hui devant les tribunaux ?», s'est-elle offusquée.
Stéphanie Gibaud, lanceur d'alerte UBS, sera jugée aujourd'hui à Paris. Elle se sent abandonnée par l'Etat pic.twitter.com/YCFKGUbL1M
— Jonathan RT France (@Jonathan_RTfr) 2 février 2017
«C'est une ineptie que je sois à nouveau traînée devant les tribunaux, alors que j'ai déjà gagné deux fois, au pénal il y a sept ans et il y a deux ans devant les prud'hommes sur le harcèlement que j'ai vécu au sein de cette banque», a expliqué Stéphanie Gibaud à RT France.
Contexte: L'Etat estime ne rien pouvoir faire pour S. Gibaud car elle ne rentrerait pas dans le cadre de la loi Sapin II #UBS#Whistleblower
— Jonathan RT France (@Jonathan_RTfr) 2 février 2017
Pratique du «carnet de lait»
L'affaire a démarré lorsque la banque UBS France a relevé une vingtaine de passages selon elle diffamatoires dans le livre La femme qui en savait vraiment trop, paru en 2014 aux éditions du Cherche Midi.
La banque a donc a porté plainte contre l'auteur, qui a travaillé pendant une dizaine d'années pour elle, mais aussi contre l'éditeur.
UBS France dit vouloir «défendre et protéger ses salariés», ainsi que sa «réputation», contre des «accusations sans preuve ni articulation de faits précis» et dénonce les «nombreuses déclarations mensongères, les incohérences et contradictions contenues dans le livre».
Dans son ouvrage d'un peu plus de 200 pages, Stéphanie Gibaud raconte son travail à partir de septembre 1999 au sein de la filiale française d'UBS.
Chargée d'organiser des récitals, tournois de golf et autres réceptions luxueuses pour les clients ou potentiels clients de la banque, auxquels participent des commerciaux, elle dit découvrir la pratique du «carnet du lait», une procédure qui offrait aux chargés d’affaires la garantie de la reconnaissance comptable de leur opérations – importante pour le calcul de leur bonus – le tout «sans trace de flux» dans les outils officiels de la banque.
Il s'agit selon elle d'une comptabilité officieuse retraçant des fonds collectés en France mais transférés à l'étranger, en Suisse ou ailleurs, potentiellement pour échapper à l'impôt.
Le livre détaille aussi les consignes de discrétion données aux commerciaux d'UBS lors de leurs déplacements à l'étranger. Il leur est par exemple conseillé, en cas de contrôle, de verrouiller leurs ordinateurs en tapant plusieurs fois, et volontairement, un mot de passe erroné.
Sommée de détruire des preuves
En juin 2008, alors que le groupe UBS a déjà été inquiété par la justice américaine, et que les soupçons de fraude fiscale s'accumulent en France, Stéphanie Gibaud dit avoir reçu la consigne de «détruire tous ses fichiers» informatiques, en particulier les listes de clients.
Elle raconte ensuite comment, face à son refus, la banque la prive peu à peu de ses responsabilités, et s'efforce de la pousser vers la sortie mais bute sur son statut de salariée protégée – elle siège au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Stéphanie Gibaud est alors persuadée qu'on la suit, que son téléphone est mis sur écoute, son ordinateur piraté. Elle sera finalement licenciée en 2012.
Le conseil de Prud'hommes de Paris a jugé en mars 2015 que l'ancien cadre avait été victime de harcèlement moral, et a condamné la banque à lui verser 30 000 euros de dommages et intérêts.