La stratégie pas très pertinente de Manuel Valls pour contrer le Front national
Depuis dimanche, le Premier ministre, fait le tour des plateaux avec une batterie d’arguments pour contrer le vote Front national. Mais ceux-là sont-ils vraiment efficaces et percutants ?
Il faut dire qu’il doit être fatigué Manuel Valls, depuis cinq jours il réalise un véritable marathon médiatique pour déployer tous ces arguments anti-FN. Il deviendrait même le champion en la matière.
Faire planer la peur de la guerre civile
Ce matin sur France Inter, il a déclaré : «Il y a deux options pour notre pays. Il y a une option qui est celle de l’extrême droite qui, au fond, prône la division. Cette division peut conduire à la guerre civile et il y a une autre vision qui est celle de la République et des valeurs, qui est le rassemblement». Il a ensuite qualifié le parti frontiste de «parti antisémite, raciste, qui n’aime pas la République… et qui en plus trompe les Français».
Thomas Guénolé, politologue, réagit à cet argument. «Les propos de Manuel Valls présentent un choix caricatural. Voter pour le bien, c’est-à-dire eux, ou voter pour le FN, c’est-à-dire la guerre civile. C’est le niveau zéro de la communication politique, cette façon de faire ne fonctionne pas.» Il évoque deux raisons principales : «les électeurs qui sont d’accord avec ce discours n’ont pas besoin d’être davantage convaincu, et ceux qui ont déjà passé le pas du vote FN sont dans un rejet du système et donc de Manuel Valls et cet argument ne les fera pas revenir. Manuel Valls prend un risque à crier à la guerre civile si le FN remporte des régions. Car si c’est le cas il n’y aura très probablement pas de guerre civile, et là le Premier ministre sera tel le petit garçon qui a crié au loup. Plus personne ne voudra le croire le jour où il répètera cet argument pour une élection nationale. Si le FN gagne des élections générales, nationales, cela présenterait des dangers graves, à plusieurs titres. En revanche les régions n’ont pas suffisamment de pouvoir pour qu’une victoire du FN provoque les sept plaies d’Egypte.»
Rappeler les mises en examen du FN
Autre argument évoqué par le Premier ministre ce jeudi sur Itélé. Il a rappelé les différentes mises en examen qui visent le parti frontiste. «Face à une extrême droite dont une grande partie de la famille est mise en examen […], je demande aux Français qui souvent critiquent les responsables politiques de réfléchir aussi à ce que représente l’extrême droite par rapport à la morale publique». Puis il a insisté sur l’exemplarité de «tous ceux qui ont une responsabilité».
Pour rappel, le FN a été mis en examen au mois de septembre pour recel d’abus de biens sociaux et complicité d’escroquerie dans l’enquête sur son financement. Des soupçons pèsent sur la mise en place d’un système qui aurait permis un enrichissement illicite avec de l’argent public. Jusqu’à ce jour, neuf personnes ont été mises en examen, dont Wallerand de Saint-Just, la tête de liste FN en Ile-de-France, et le vice-président du parti Jean-François Jalkh.
Pour Thomas Guénolé il s’agit une nouvelle fois d’une mauvaise tactique car plusieurs responsables nationaux du PS ont déjà été condamnés en justice. «Pointer les mises en examen FN expose à la riposte du "vous aussi" et ça ne fonctionne pas».
La menace de la guerre de religions
Mercredi 9 novembre à l’occasion de la journée de la laïcité, il a déclaré : «La plus grande imposture de l’extrême droite c’est, sans le dire, de préparer un grand retour en arrière. Ils veulent retourner avant 1905, retourner vers ces guerres de religions qui sont autant de cicatrices profondes de l’histoire de notre Nation».
Le politologue rappelle que Manuel Valls a été au cœur d’une polémique après des propos sur «la compatibilité de l’islam avec la démocratie». L’argument qui vise à contrer le FN sur sa vision islamophobe ne tient que si on n’a pas soi-même versé dans cet argumentaire, or c’est n’est pas le cas du Premier ministre. Après cette polémique, Manuel était rentré dans le rang et avait déclaré «je vais vous dire une conviction profonde, c’est ce que le président de la République a dit à Tunis, oui, l’Islam est compatible avec la démocratie».
Les arguments présentés par le gouvernement et Manuel Valls pour contrer le FN ne sont visiblement pas pertinents. Pour Thomas Guénolé, les responsables politiques font preuve de paresse et oublient d’apporter des arguments de fond, sur le débat d’idées pour démonter le programme du FN. Il présente deux arguments complètement oubliés par les opposants au parti frontiste.
«Le FN est pour la suppression des régions. Donc soit s’ils sont élus ils ne vont rien faire puisqu’ils sont contre l’existence même des régions, soit ils prennent leurs responsabilités et dans ce cas-là ils violent leur propre programme. Or personne ne les a attaqués sous cet angle-là. Ni sur celui du bilan des mairies conquises par le FN. Dans ces mairies il y a une tendance forte à couper les vivres au tissu associatif local quand il n’est pas sur la même ligne que le FN. Et ça non plu ça n’a pas été évoqué, pourtant ça aurait pu être une réponse aux menaces de Marion Maréchal Le Pen qui veut retirer les subventions aux plannings familiaux».
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