Déficit du régime des retraites : bataille de chiffres entre le COR et le gouvernement
Le Conseil d’orientation des retraites affirme dans son rapport 2023 que les objectifs financiers de la réforme des retraites ne seront pas atteints. «Dysfonctionnement du COR» ou «erreur de présentation» de l’exécutif ?
«Je réponds aux attaques par des graphiques», a lancé Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’orientation des retraites (COR), lors de la présentation officielle du dernier rapport de cet organisme, ce 23 juin.
La majorité présidentielle et ses soutiens se sont en effet déchaînés contre le COR depuis que la teneur de son dernier rapport sur le financement des retraites a été dévoilée à la représentation nationale le 20 juin, en amont de sa diffusion deux jours plus tard. Alors que Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, garantissait sur RMC, le 20 mars dernier, «qu’en 2030, le régime des retraites» serait «à l’équilibre», le Conseil lui a répondu en substance que cela n’arriverait pas. Selon l’organisme indépendant, le solde du système de retraites «ne reviendrait positif au milieu des années 2040 que dans [le meilleur] scénario».
La riposte ne s’est pas fait attendre : le président du COR «vient nous dire qu’il y a un énorme problème de financement des retraites. […] Je le prends avec beaucoup de prudence, ses évaluations changent tous les six mois», s’est agacé le ministre de l’Economie sur France 2, le 20 juin. Le même jour, Olivier Dussopt, ministre du Travail, a tenu un discours comparable devant l’Assemblée nationale. «Je comprends vos interrogations : d’abord parce qu’il y a quelques mois, le président du même Conseil d’orientation des retraites expliquait, pour le citer, qu’il n’y avait pas le feu au lac, que le déficit serait dans l’épaisseur du trait. Et aujourd’hui, c’est une annonce de déficit d’un montant assez conséquent, puisque ce pré-rapport évoque le chiffre de 8 milliards d’euros», a-t-il remarqué.
Un «renversement d’analyse quasi-complet» du COR ?
Olivier Dussopt a même remis en cause à demi-mot la légitimité du COR, en ajoutant : «Ce qui ne manque pas d’interroger sur les outils dont nous disposons pour piloter le système de retraites.» Un argument repris par Nicolas Turquois. Dans une déclaration à l’AFP, le député MoDem (Mouvement démocrate) de la majorité présidentielle a pointé le «renversement d’analyse quasi-complet» du COR et appelé à «une réflexion […] sur le fonctionnement, ou le dysfonctionnement, du COR».
Après avoir laissé planer le doute sur la réalité de notre système de retraites et contribuer à toutes les démagogies, le COR nous dit maintenant que les 15 milliards d'euros par an d'économies de la réforme actuelle ne suffiront pas.
— Pierre Cazeneuve (@PierreCazeneuve) June 21, 2023
Quelle farce. Quelle irresponsabilité. https://t.co/SBdRWtDaIY
Dans un communiqué de presse diffusé le 22 juin, le COR se défend pourtant de faire le grand écart. Il «tient à rappeler qu’il n’y a pas de révision substantielle entre les projections du COR de 2022 et celles de 2023. Les écarts 2022/2023 s’expliquent par la réforme des retraites de 2023 et les modifications du contexte démographique et macroéconomique de court terme».
Le document comprend quatre graphiques, qui mettent en parallèle d’une part les «dépenses du système retraite observées et projetées en part de PIB» et d’autre part le «solde du système retraite observé et projeté en part de PIB», présents dans les rapports 2022 et 2023. Chaque graphique présente quatre courbes qui correspondent à différents scénarios plus ou moins favorables (en fonction des taux d’emploi, de croissance, des gains de productivité attendus). Force est de constater que ces courbes sont très voisines d’une édition à l’autre du rapport, avec des variations maximales de l’ordre de 0,5%. Il est vrai par ailleurs qu’au vu des sommes colossales considérées, la moindre variation de pourcentage du PIB (produit intérieur brut) se traduit en milliards d’euros.
Des recettes «comptées deux fois» par le gouvernement ?
Le COR explique dans son dernier rapport l’écart entre l’objectif affiché du gouvernement d’arriver rapidement à l’équilibre des comptes et ses propres projections. Selon l’organisme, la réforme des retraites produira bien des effets sur les dépenses, de l’ordre de 0,2% du PIB d’économies, mais finalement guère sur les recettes. Moins de recettes de la part des fonctionnaires, dont les rémunérations – donc les cotisations – devraient stagner, moins de contributions financières venues de la branche famille et de celle de l’assurance chômage du fait de l’évolution démographique, expliqueraient une bonne part des 0,2% de PIB de déficit attendus en 2030.
🎙 "Lorsque le gouvernement a présenté les comptes de la réforme des retraites, il a compté deux fois certaines recettes. Une faute à quatre milliards d'euros."
— RMC (@RMCInfo) June 21, 2023
Michaël Zemmour, économiste #ApollineMatinpic.twitter.com/eKikKhkWBD
Enfin, explique le COR, ses projections de septembre 2022 «intégraient déjà les effets sur l’emploi, et donc sur la masse salariale et le PIB, de ce que le gouvernement envisageait comme possible réforme des retraites». En conséquence, «les ressources supplémentaires liées à la réforme sur la période 2023-2027 ont donc déjà été intégrées aux projections financières du rapport annuel de septembre 2022». Pourtant, le gouvernement, dans la présentation de sa réforme, a compté les économies escomptées parmi les bénéfices à venir de la nouvelle loi.
En clair, «il a fait une erreur de présentation en comptant deux fois certaines recettes. C’est une erreur de l’ordre de 4 milliards», a expliqué Michaël Zemmour, économiste, sur le plateau de RMC le 22 juin. «Cela explique en partie pourquoi l’équilibre ne sera pas atteint en 2030 alors que c’était un objectif du gouvernement», a-t-il ajouté. Un point sur lequel l’exécutif a jusqu’à présent gardé le silence.