Motion de censure de la Nupes : les voix du RN divisent à gauche et embarrassent Les Républicains
- Avec AFP
Le vote par les députés RN de la motion de censure présentée par la gauche a suscité des réactions disparates, certains se félicitant de ce soutien au sein de la Nupes, d'autres le condamnant. La manœuvre a ulcéré la majorité, sauvée par les voix LR.
Opportunisme, poursuite d'une stratégie de «dédiabolisation», habile manœuvre, «alliance contre-nature» ? Le vote surprise, par les députés du Rassemblement national (RN), de la motion de censure présentée par la Nupes, rejetée à 50 voix près, a donné lieu à de nombreux commentaires et à des appréciations variées, au cours d'une journée qui a vu l'Assemblée rejeter trois motions de censure successives, pour la première fois sous la Ve République.
La gauche partagée entre rejet du RN et pragmatisme
La leader des députés écologistes Cyrielle Chatelain, qui a défendu la motion de la coalition de gauche contre le gouvernement, a affirmé ne pas être dupe de ce «coup» de Marine Le Pen. «Ça fait sans doute partie de leur stratégie de dédiabolisation», qui «est alimentée malheureusement par ceux qui nous renvoient sans cesse dos à dos», a-t-elle déclaré en visant le camp présidentiel.
«Chez moi, on dit chacun son pain, chacun son hareng»
La Premier ministre Elisabeth Borne comme la majorité ont en effet épinglé une «alliance contre-nature» des oppositions, la chef de file des députés Renaissance Aurore Bergé ayant fustigé une pure alliance «de circonstance», forgée dans «le seul but de faire tomber le gouvernement».
Trois écologistes n'ont d'ailleurs pas pris part au scrutin sur la motion, deux d'entre eux à cause d'un problème de délégation de vote, un seul (Jérémie Iordanoff, député de l'Isère) affirmant explicitement qu’il refusait «de mêler sa voix» à celles du RN.
Le 25 octobre, le ministre des Comptes publics Gabriel Attal est d'ailleurs revenu à la charge sur le sujet en appuyant sur les contradictions au sein de la coalition de gauche : «J'ai une pensée pour les électeurs socialistes et écologistes qui pensaient que la gauche creusait des digues avec l'extrême droite», a-t-il fait mine de compatir sur France 2, estimant que la gauche «construit en fait des ponts» avec le RN. «Les députés socialistes et écologistes se retrouvent à faire du blanchiment de vote extrême», a-t-il vilipendé.
Les députés de gauche ont émis des jugements divers sur ce vote conjoint, certains ayant choisi de mettre l'accent sur leurs divergences avec le RN. Selon le communiste Sébastien Jumel, il s'agit de la part du RN d'«une posture politicienne», qui ne doit pas être assimilée à une convergence de fond.
«Chez moi, on dit chacun son pain, chacun son hareng», a-t-il imagé, avant de citer plusieurs débats précédents illustrant le fait que le RN ne partageait pas les options de la Nupes, qu'il s'agisse du rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune ou de l'augmentation du Smic. «Sur un certain nombre de sujets, il n'est pas la peine de passer du temps pour montrer nos divergences», en a déduit l'élu de Seine-Maritime.
«Que le RN vote notre motion ne me dérange pas. Une motion, ce n’est pas pour la beauté des nuages», mais bien pour renverser le gouvernement, a déclaré le président insoumis de la commission des finances, Eric Coquerel. Or, ledit renversement ne peut advenir sans la réunion des voix de plusieurs oppositions, puisqu'il faut atteindre la majorité absolue.
Sur ce même registre pragmatique, la députée insoumise Raquel Garrido a souligné sur Twitter que «la motion de censure Nupes est faite pour être votée», se disant même «heureuse que le RN soit obligé de reconnaître le leadership de la Nupes dans ce moment institutionnel où le Parlement se dresse contre l'abus de pouvoir du 49.3. «LR devrait faire pareil», a-t-elle taclé en visant les députés de droite qui ont, comme ils l'avaient annoncé à plusieurs reprises, refusé de joindre leurs voix à celles du RN et de la Nupes.
«Qu’ils se le tiennent pour dit, leur gouvernement ne tient qu’à un fil», a insisté Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l'Assemblée, rejoignant Raquel Garrido en affirmant que «la Nupes est la seule alternative à leur monde de malheur».
50 voix.
— Mathilde Panot (@MathildePanot) October 24, 2022
C'est ce qu'il aura manqué pour censurer la Macronie.
Qu’ils se le tiennent pour dit, leur gouvernement ne tient qu’à un fil.
La #NUPES est la seule alternative à leur monde de malheur. #motionsdecensure
Les Républicains dénoncés comme des «alliés de Macron» par LFI et le RN
Les Républicains (LR), en plein débat interne sur son positionnement politique par rapport à la majorité, en a pris pour son grade après le rejet de la motion de censure déposée par la Nupes. «La droite sauve le gouvernement de justesse. Il manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève», s'est ainsi félicité Jean-Luc Mélenchon.
La droite sauve le gouvernement de justesse. Il manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève. #DirectAN#MotionDeCensure
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) October 24, 2022
Marine Le Pen a visé les élus LR, taxés «d'alliés d'Emmanuel Macron» pour ne pas avoir voté la censure. Elle a également relevé qu'«ils n’ont même pas jugé bon d’en déposer une», alors que le chef de file des députés LR Olivier Marleix avait indiqué ne pas écarter cette perspective «si les circonstances l'exigent».
Les motions de censure n’ont pas reçu de majorité pour être votées. Le gouvernement peut remercier @LesRepublicains, qui n’ont pas souhaité les voter. Ils n’ont même pas jugé bon d’en déposer une. Désormais, il n’y a plus aucun doute : ils sont les alliés d’Emmanuel Macron.
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) October 24, 2022
Le même Olivier Marleix a dénoncé le «rapprochement des extrêmes» qui s'est matérialisé selon lui à l'occasion de ce vote. Parallèlement, des élus de la majorité ont propagé le mot dièse «#RNUPES» sur Twitter, en insistant sur les paradoxes du «mariage» entre gauche et droite radicale.
«Ils sont tout près de vouloir former un gouvernement de fusion nationale», a raillé, entre autres, Robin Reda, député Renaissance de l'Essonne et transfuge de LR. Eric Woerth, également rallié à la majorité macroniste après avoir quitté LR, a lui aussi vilipendé l'union de« l'extrême droite» et de «l'extrême gauche», leur reprochant de ne proposer que «l’ingouvernabilité comme alternative».
Face aux attaques de la majorité, l'écologiste Benjamin Lucas n'a pas manqué de rétorquer que «la macronie oublie bien vite et avec une malhonnêteté intellectuelle d'une rare ampleur le barrage républicain qui l'a conduite et reconduite au pouvoir», en référence aux attaques virulentes lancées par la majorité pendant la campagne des législatives, qui avait renvoyé dos à dos «l’extrême gauche» censée être représentée par la Nupes et «l’extrême droite» menée par le RN.
Pour le gouvernement, des recours inévitables à l'article 49.3
Le RN avait également déposé sa propre motion de censure le 24 octobre, mais un seul député LFI, Jean-Philippe Nilor (Martinique) a voté en sa faveur, la Nupes ayant indiqué qu'elle ne soutiendrait pas un texte venant de l'autre côté de l'Hémicycle.
Les motions faisaient suite à l'article 49.3 de la Constitution activé à deux reprises la semaine précédente par Elisabeth Borne pour faire passer sans vote les parties recettes du projet de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale. Comme le rappelle l'AFP, en l'absence de majorité absolue pour les macronistes à l'Assemblée, ces deux recours à cet article de la Constitution sont probablement les premiers d'une longue série durant cet automne budgétaire.
Du côté du RN comme de la Nupes, le recours au 49.3 reflète une atmosphère de «fin de règne», alors que le second quinquennat d'Emmanuel Macron vient à peine de commencer.