François Korber (Robin des lois) sur l'évasion de Rédoine Faïd : «Cela me rappelle la Dream Team»

François Korber (Robin des lois) sur l'évasion de Rédoine Faïd : «Cela me rappelle la Dream Team»© INTERPOL Source: AFP
Rédoine Faïd est parvenu à s'évader de prison à deux reprises, en 2013 puis en 2018
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Ancien détenu, François Korber revient sur la cavale de Rédoine Faïd. Pour lui, seul un transfert régulier de prison en prison peut contrer ses évasions. Sans cela, vu les compétences du braqueur, aucun autre moyen ne peut être efficace. Entretien.

RT France : Le braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd s'était déjà évadé en 2013. On savait qu'il souhaitait recommencer. Avec cette nouvelle évasion spectaculaire ce 1er juillet, il démontre qu'il y arrive encore. A votre avis, quelle est la faille du système pénitentiaire ?

François Korber (F. K.) : Il semble aujourd'hui que la seule faille soit le fait que Rédoine Faïd n'ait pas été transféré plus souvent. Le transfert régulier est en effet l’arme réelle dont dispose l’administration pénitentiaire face à des cas aussi extraordinaires. Il faut d'ailleurs noter que ce régime de transfert régulier, le «baluchonnage», est extrêmement dur pour les personnes qui le subissent car il leur faut six mois pour s’adapter à un nouvel établissement, à ses règles… Les personnes sont éloignées de leur famille. L’administration pénitentiaire utilise ce «baluchonnage» pour casser des meneurs et des candidats à l’évasion afin de ne pas leur donner le temps de nouer des sympathies. Ceux-ci n’ont pas non plus le temps de se repérer car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, aucune prison ne se ressemble. Le «baluchonnage» est l’arme la plus efficace pour des cas comme Rédoine Faïd.

RT France : La prison n'avait-elle donc pas de failles en interne ?

F. K. : On peut mettre dix surveillants au parloir, ce n’est pas cela qui empêchera un commando de rentrer. Il est aussi reproché qu’il n’y ait pas eu de filet au-dessus de la cour d’honneur [où l’hélicoptère a pu récupérer Rédoine Faïd]. En toute honnêteté, personne ne pouvait prévoir qu’il se passerait quelque chose à cet endroit. C’est une évasion «extra-ordinaire» qui ne se reproduira sans doute jamais comme cela. Apparemment, Rédoine Faïd n'a pas eu de complicité intérieure et il n’en avait pas besoin puisque, dans ce cas particulier, il n’a fait rentrer ni des armes, ni des explosifs. On est venu le chercher.

C’est une évasion «extra-ordinaire» qui ne se reproduira sans doute jamais comme cela

Quant au repérage du fameux couloir [où plusieurs portes ont été ouvertes à la disqueuse], quand vous êtes détenu et un peu malin, ce n’est pas très compliqué de savoir comment une prison est architecturée. Ce n’était d'ailleurs pas un couloir secret, c’était un couloir de service. De plus, quand vous êtes depuis quelques semaines dans une prison, vous situez à peu près bien le quartier maison d’arrêt, le quartier femmes, les murs, etc.

Enfin, quant à l’hypothèse des drones [qui auraient été aperçus au-dessus de la prison quelques mois avant l’évasion], je pense que c’est un «trompe-couillon». Il faudrait être complètement bête pour Rédoine Faïd, ou pour d’autres qui souhaitent s’évader, de faire venir un drone. Ils ne sont pas très nombreux à Réau à être capables de monter une évasion comme celle-là. On pourrait, tout de suite, les soupçonner d’avoir faire venir ces drones. Rédoine Faïd n’avait pas besoin de drones. Il a très bien pu se représenter les lieux autrement : de l’intérieur, en bavardant de façon anodine avec les uns et les autres, et avec les cartes de Google maps. Je ne pense pas qu’il y ait de mesures de sécurité qui puissent empêcher l’évasion, hormis le «baluchonnage».

 

RT France : Pourquoi le système pénitentiaire ne l’a donc pas fait ?

F. K. : En haut lieu, ils n’ont certainement pas estimé urgent de le faire transférer.

 

RT France : Donc la faille n’est-elle pas aussi due aux autorités car, apparemment, les surveillants pénitentiaires avaient alerté l’administration centrale des visites suspectes de Rédoine Faïd, du danger potentiel qu’il représentait… On apprend aussi qu’il avait réussi à contacter un parrain corse…

 

F. K. : L’établissement pénitentiaire local a fait son travail mais il n’a pas la main pour le faire transférer. Il signale, il demande un transfert. Pour Rédoine Faïd, ils l'ont envisagé. Manifestement, comme Rédoine Faïd est DPS [détenu particulièrement signalé], son transfert est ministériel. Evidemment, ce n’est pas la garde des sceaux qui examine son dossier. Il dépend de la Direction de l'administration pénitentiaire (la DAP), qui est sous l’autorité du ministère de la Justice. Et dans la DAP, vous avez le Bureau de gestion de la détention qui est complètement asphyxié d’une façon totalement chronique. C’est très grave car, depuis quelques années, se développent des prises d’otages, les affectations dans les prisons étant parfois farfelues. Les détenus qui font cela n’ont pas du tout envie de tuer, ni de s’évader. En sachant qu’ils seront sanctionnés, les détenus le font par désespoir parce qu’on leur refuse ce transfert, parce que cela traîne depuis des mois. Quand ils demandent un transfert c'est parce qu'ils souhaitent se rapprocher de leur famille ou d’un endroit pour recevoir une formation. Et pour arriver à se faire transférer, le système est tellement asphyxié et étouffé – et que tout le monde s’en moque en réalité – qu’ils en arrivent à réaliser des prises d’otages. C’est navrant et ça peut mal tourner même si ces détenus ne veulent pas faire de mal. Le problème avec Rédoine Faïd ce n’est ni plus ni moins cet engorgement du système de transfert.

 

RT France : Pourquoi dites-vous que le système est à l’asphyxie ? Les demandes de changement de prison sont trop nombreuses ? Il manque du personnel dans ces services ?

F. K. : Non, c’est un effet de la surpopulation carcérale. Dans une même cellule, il peut y avoir cinq ou six personnes, certaines dormant sur des matelas par terre. Des conditions de détention inhumaines et indignes dans le pays des Droits de l’Homme. On est d'ailleurs régulièrement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, dans les centres de détention et les maisons centrales, il n'y a qu'une personne par cellule. Le problème c’est que, contrairement à ce que croit l’opinion, les peines se sont allongées.

Depuis de nombreuses années, les politiques de droite comme de gauche ne font rien car, électoralement, les prisons et le système pénal n’intéressent personne

Il n’y pas de laxisme là-dessus. Cela fait 20 ans que les peines se sont alourdies pour des faits similaires. Cela signifie qu’on libère moins et ça bouchonne. En centre de détention, il faut des mois pour obtenir une place. Le système des affectations est totalement asphyxié. Depuis de nombreuses années, les politiques de droite comme de gauche ne font rien car, électoralement, les prisons et le système pénal n’intéressent personne. D'ailleurs, les Français ne connaissent pas, ou mal, leurs prisons car les journalistes n’entrent quasiment pas dans les prisons... contrairement à d’autres pays où les journalistes peuvent y entrer plus facilement.

 

RT France : Est-ce que la prison de Réau, étant donné cette évasion, était une prison adaptée pour un cas aussi dangereux comme Rédoine Faïd ?

 

F. K. : Le quartier maison centrale de Réau est l’un des plus sûrs en France en termes de murs, de miradors… Le coup de génie de cette évasion c’est qu’avec la disqueuse, cela a été plus rapide et plus précis qu’avec des explosifs.

RT France : Malgré tout, en 2013, un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté ciblait la prison de Réau pour «son sous-dimensionnement des effectifs criant». La prison de Réau ne manquait-elle pas d'effectifs pour contrôler les appels, les visites, les surveillances ?

 

F. K. : L’ouverture de Réau [en 2011] a été très difficile. Ses premières directions ont eu du mal à faire fonctionner cette grande prison avec notamment un quartier maison centrale, une maison d’arrêt et une gestion effectuée, en partie, par du privé. Le démarrage était très difficile.

Le principe en France, c’est que les surveillants ne sont pas armés. A partir de là, vous pouvez mettre une dizaine de surveillants, cela ne changera rien

Contrairement aux aboiements sécuritaires de certains syndicats de surveillants, depuis ce 1er juillet, ce n’est pas ici une question d’effectifs. Même s’il y avait eu trois ou cinq surveillants au parloir, cela n’aurait pas empêché ce qui s’est passé. Le principe en France, c’est que les surveillants ne sont pas armés. A partir de là, vous pouvez mettre une dizaine de surveillants, cela ne changera rien. Aussi, Rédoine Faïd a certainement été fouillé régulièrement depuis des mois mais il n’y avait rien dans sa cellule. Je pense qu’il n’était pas idiot pour garder un téléphone dans sa cellule. Il savait qu'il était surveillé. Mais il a suffisamment d’aura pour s’en faire prêter un, ou en utiliser un ponctuellement…

RT France : Mais cela dévoile aussi que Rédoine Faïd a trouvé assez facilement des relations extérieures pour venir jusqu'à la prison de Réau et faire l'évasion...

 

F. K. : Oui mais tous les spécialistes du grand banditisme disent que Rédoine Faïd est quelqu’un d’extrêmement organisé. Il a probablement mis de l’argent de côté. Certains se sont sûrement dit qu’ils avaient besoin de lui pour ses compétences, pour monter d’autres opérations. Il n’est certainement pas passé par des relais grillés, c'est-à-dire des anciens complices qui avaient auparavant attaqué des fourgons avec lui.

Certains se sont sûrement dit qu’ils avaient besoin de Rédoine Faïd pour ses compétences, pour monter d’autres opérations

Mais même avec beaucoup d’argent, avec tous les risques que cela représente, on ne vient pas chercher quelqu’un de cette manière. Toutefois, vu son profil cela n’a rien de surprenant. Si c’était un petit proxénète ou un petit cambrioleur, il serait resté en prison le temps de sa peine. Là, cela me rappelle la Dream Team [équipe de braqueurs des années 90]. Rédoine Faïd doit être demandé.

RT France :Cela pose un autre problème : d'après ce que vous me dites, n'importe quel terroriste, avec beaucoup d'argent et intelligent, ne pourrait-il pas trouver des relations extérieures et permettre ce type d'évasion ?

F. K. : Dans cette confusion, on peut imaginer des «barbus» s’attaquer à la prison de la Santé. Non les «barbus» n’attaqueront jamais la Santé. Car, s’ils sont en prison, les autres «barbus» estiment qu’ils en trouveront d’autres. Les terroristes islamistes ne viennent jamais chercher leurs copains car ils n’ont pas les «couilles» pour le faire. Ce n’est pas dans leur logique. Que les gens se rassurent.

Les terroristes islamistes ne viennent jamais chercheur leurs copains car ils n’ont pas les «couilles» pour le faire

A la grande époque, c’était les Corses et les Basques par exemple qui venaient chercher leurs copains. Les gangs, s’ils font sortir quelqu’un c’est pour un investissement. Le terroriste islamiste, lui, investit sur le bon Dieu, sur les vierges au Paradis mais il laisse crever ses copains derrière les murs.

 

RT France : Pour quelqu’un qui a de bons contacts à l’extérieur, intelligent, considéré comme un bon investissement, les prisons ne sont-elles pas des passoires ?

 

F. K. : Non, en France, les prisons sont tout sauf des passoires. En France, nous avons un des taux d’évasion les plus faibles d’Europe par rapport au nombre de détenus [selon les statistiques du Conseil de l’Europe, en 2015, la France est effectivement dans la moyenne basse avec 4,1 évasions pour 10 000 prisonniers]. Premièrement, malgré quelques brebis galeuses, le personnel pénitentiaire est très intègre. Deuxièmement, la sécurité a été pensée et ajustée au fil des années, notamment depuis la toute première évasion par hélicoptère en 1981 à Fleury-Mérogis.

En France, les prisons sont tout sauf des passoires

La sécurité a été adaptée aux moyens modernes. On ne pourra jamais empêcher une évasion aussi extraordinaire que celle de Rédoine Faïd, sauf à passer par l’arme du «balluchonnage» qui, psychologiquement, est très dur. La solution ne peut pas être celle de mettre des camions de CRS à vie sur les lieux de l’évasion. Le commando était ici exceptionnel. Cela n'arrive qu'une fois tous les dix ans. En ce sens, les paroles du ministre de la Justice Nicole Belloubet ont été à la hauteur de l’événement. Elle a été digne en essayant de faire de la pédagogie et en disant que cette évasion était extraordinaire. Elle ne cherchait pas à courir derrière les syndicats sécuritaires ou certains politiques.

 

RT France :Les conditions de détention à Réau peuvent-elles pousser un individu à s’évader ?

 

F. K. : Sans doute. La prison de Réau est un endroit épouvantable au bord d’une autoroute. C’est du béton et de la ferraille. Mais, pour expliquer une tentative d'évasion, il faut aussi se pencher sur la longueur des peines qui n’est pas supportable. Il faut qu’on repense les systèmes des confusions de peine [le détenu, qui aurait plusieurs peines, n’exécuterait que la plus lourde]. Quand la peine est totalement démesurée, les individus finissent en légumes et incapables de se réinsérer. Dans tous les pays d’Europe du Nord, la peine maximale effective est généralement entre 13 ou 16 ans car on estime que quelqu’un, passé ce seuil, ne peut plus se réinsérer après. Selon la gravité et la nature des crimes, il peut en revanche être relâché sous conditions. Quelqu’un comme Rédoine Faïd, qui a été condamné au total à plus de 35 ans de prison, n'avait pour seule perspective que de sortir vieillard.

Pour qu’il y ait un espoir de liberté, il faudrait un mécanisme pour rendre ces peines raisonnables, à l'image de l'Espagne. Ce serait un moyen de limiter la violence dans les prisons et l’évasion.

 

RT France :Mais vous imaginez un tel système de remise en cause des peines, pour les familles de victimes. Je pense notamment à la famille de cette policière qu’ils ne verront plus, tuée par Rédoine Faïd lors d'un braquage…

 

F. K. : Robin des lois n’oublie jamais les familles de victimes. Dans tous les cas, les familles de victimes doivent encaisser le choc d’une libération conditionnelle éventuelle ou d’une libération, dans le cas où les détenus se comportent bien. S’il y avait de la pédagogie, même les familles très meurtries pourraient le comprendre. Je ne parle évidemment pas des criminels absolument incurables (en l'état de nos connaissances) qui, parce que ce sont de très grands dangers sexuels, recommenceraient après leur libération. Mais de grands braqueurs comme François Besse ou Michel Vaujour ont prouvé qu’ils pouvaient changer de vie et arrêter leurs conneries.

Bastien Gouly

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