Cryptomonnaies : les institutions contre-attaquent

Cryptomonnaies : les institutions contre-attaquent© Dado RUVIC Source: Reuters
Une pile de pièces représentants des bitcoins au milieux de monnaies telles que le dollar, la livre sterling ou l'euro (image d'illustration)
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Certains acteurs classiques du monde économique s'inquiètent du succès croissant des cryptomonnaies, bitcoin en tête. Entre méfiance, tentatives de régulation, et volonté de créer leurs propres monnaies virtuelles, ceux-ci organisent leur riposte.

Le bitcoin est devenu le porte-étendard du succès croissant que connaissent les cryptomonnaies tant auprès des particuliers que des grands investisseurs privés. Celles-ci ne sont plus seulement des objets de spéculation et acquièrent progressivement le statut de véritables monnaies et de placement de long terme. Une situation qui suscite la méfiance de certains acteurs économiques plus traditionnels. Qu'il s'agisse d'acteurs publics tels que les Banques centrales ou de multinationales, les réactions vont de la volonté de réguler au désir de créer sa propre monnaie virtuelle, et ce afin de concurrencer les cryptomonnaies qui sont à l'heure actuelle indépendantes de toute structure.

«Une émanation maléfique»

Symbole de cette méfiance des instituions à l'égard des cryptomonnaies, l'ancienne présidente de la Banque centrale américaine (Fed) Janet Yellen a déclaré dans une interview publiée par le New York Times le 23 février – au moment où le bitcoin atteignait des sommets – que cette cryptomonnaie était «un actif hautement spéculatif» et qu'elle s'inquiétait «des pertes potentielles que les investisseurs pourraient subir». «Je ne pense pas que le bitcoin soit largement utilisé comme mécanisme de transaction dans la mesure où il est souvent utilisé [...] pour le financement illicite [...] C'est une façon extrêmement inefficace de mener des transactions et la quantité d'énergie consommée pour traiter ces transactions est stupéfiante» a-t-elle ajouté, comme le rappelle Business Insider.

De l'autre côté de l'Atlantique, le multimilliardaire et fondateur de Microsoft Bill Gates a également émis des réserves sur le bitcoin et a rejeté l'éventualité d'en acheter, s'opposant ainsi à son compatriote Elon Musk, qui est un fervent défenseur des cryptomonnaies. Dans une interview accordée à Bloomberg, le troisième homme le plus riche du monde s'est exprimé en ces termes : «Je ne suis pas optimiste sur les bitcoins, et mon opinion générale est que si vous avez moins d'argent qu'Elon [Musk], vous devriez probablement faire attention». Bill Gates a également pointé du doigt l'anonymat garanti par les transactions en cryptomonnaies, sans pour autant rejeter le principe des monnaies numériques, qui sont selon lui «une bonne chose», reposant sur «une approche différente». «La Fondation Gates fait beaucoup en termes de monnaie numérique, mais ce sont des [initiatives dans lesquelles] vous pouvez voir qui fait la transaction», a ainsi expliqué le philanthrope, en mentionnant à nouveau le fait que sa fondation Bill&Melinda Gates travaillait sur ce type de monnaies, comme le rappelle Cryptonews.

En novembre 2018, l'économiste français Benoît Cœuré allait jusqu'à affirmer que le bitcoin était une «émanation maléfique de la crise financière», et «une idée extrêmement intelligente» mais qui n'était «pas une bonne idée», comme le rappelle Capital. Celui qui est désormais responsable du pôle innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI) a depuis lors tempéré son propos : dans le quotidien suisse Le Temps, Benoît Cœuré a reconnu en octobre dernier que «les banques centrales [avaient] pris les cryptomonnaies de haut». «Il ne faut pas brider l'innovation, il n'est donc pas question d'interdire ces initiatives, mais il faut les réguler pour qu'elles soient robustes en cas de crise financière, qu'elles protègent les données personnelles et qu'elles ne permettent pas le blanchiment», a développé l'ancien membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), qui souhaite donc une intervention régulatrice des pouvoirs publics dans l'univers des cryptomonnaies. 

Du côté du privé, les banques s'inquiètent également de ce manque de régulation. Ainsi, comme le relève Le Figaro, la banque suisse UBS a publié fin janvier une note face à la multiplication de questions de ses clients à propos de l'opportunité d'investir dans le bitcoin, dans laquelle elle fait part de sa grande prudence : «Le prix des cryptomonnaies pourrait évidemment continuer à grimper à court terme, mais rien, selon nous, ne peut l'empêcher de tomber à zéro en raison de changements de réglementation», détaille la plus grande banque de gestion de fortune du monde.

Réguler pour sécuriser, ou pour étouffer ?  

Puisque les cryptomonnaies ne peuvent plus être arrêtées et que même leurs détracteurs s'accordent à leur reconnaître de nombreux avantages, le débat porte sur la régulation de cet univers caractérisé par son absence de structures organisatrices. Certains défenseurs des cryptomonnaies considèrent néanmoins que cette régulation est une grande menace sur la liberté et l'indépendance de ces dernières.

Une épée de Damoclès a ainsi été suspendue au-dessus des détenteurs de cryptomonnaies fin décembre 2020, avec la tentative de l'administration américaine d'introduire une nouvelle réglementation, au travers du Financial crimes enforcement network (FinCEN). La mesure la plus contraignante serait l'obligation d'enregistrement de toutes les transactions de plus de 10 000 dollars depuis ou vers les cryptomonnaies, avec un risque d'immixtion de l'administration fiscale et de taxation. Les plateformes d'échanges de cryptomonnaies pourraient également être contraintes à enregistrer tous les échanges et à exiger une preuve d'identité pour toute transaction supérieure à 3 000 dollars. Des mesures auxquelles s'opposent par exemple la plateforme californienne Coinbase ou l'Electronic frontier foundation, une association de défense des libertés sur internet qui a exprimé ainsi son mécontentement : «Ces développements sont une atteinte à la liberté de conduire des transactions en ligne de manière privée et une tentative d'étendre la portée de la surveillance financière des institutions bancaires aux cryptomonnaies. Les enregistrements financiers [qu'il faudra désormais révéler] contiennent quantité d'informations sensibles sur la vie des personnes, leurs croyances et affiliations». Reste à savoir quel avenir l'administration Biden réserve à cette série de mesures proposée par son prédécesseur, mais il est clair que la «normalisation» des cryptomonnaies ne pourra se faire vis-à-vis des pouvoirs publics sans une certaine dose de régulation. 

Ainsi, alors que l'univers des cryptomonnaies attend actuellement la décision de la Securities and exchange commission (SEC, l'organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers) sur l’autorisation de création du premier fonds négocié en bourse (ETF) en bitcoin des Etats-Unis, Cryptonews nous rappelle que la SEC a rejeté toutes les précédentes demandes similaires. Les raisons invoquées étaient entre autres le manque d'ordre et d'efficience du marché du bitcoin, mais aussi le fait qu'il soit largement non réglementé et ne fasse l'objet d'aucune surveillance. Au Canada, en revanche, un ETF investissant dans le bitcoin a d'ores et déjà été lancé à la bourse de Toronto le 18 février dernier et a connu un grand succès, comme le détaille Bloomberg.

En France, les velléités de régulation se sont concrétisées dans la loi PACTE de 2019, celle-ci ayant introduit une réglementation des cryptomonnaies via les plateformes d'échanges. Par ailleurs, le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) Robert Ophèle s'est lui aussi prononcé en faveur de la réglementation des cryptomonnaies, comme le rappelle Cryptoactu. «Le développement confirmé et continu des cryptomonnaies rend indispensable une régulation rapide de leur marché au niveau approprié. […] Il est évident qu’un processus est en cours qui, sous de nombreux angles, va profondément modifier nos marchés financiers», avait-il ainsi affirmé en février dernier. Robert Ophèle n'occulte pas cependant les problèmes soulevés par une telle régulation, qui se solderait par une perte de compétitivité dans un secteur porteur si elle était mise en œuvre unilatéralement par la France ou l'Union européenne. «Il s’agit aussi de garder l’Europe compétitive à un moment où des approches similaires sont désormais déployées dans de nombreux pays», pondère ainsi l'économiste français.

Face à l'enjeu mondial que représente l'émergence des cryptomonnaies, les réponses demeurent en effet, pour l'heure, nationales. Le 30 janvier dernier, le Parlement indien a par exemple lui aussi ouvert la voie à une régulation des cryptomonnaies, qui pourrait aller jusqu'à une interdiction des cryptomonnaies dites «privées» dans ce pays de 1,3 milliards d'habitants, comme le relève Cryptonaute. Une décision qui serait prise en parallèle de l'instauration d'une monnaie électronique nationale, adossée et gérée par la banque centrale d’Inde.

Les stablecoins, cryptomonnaies des grands 

L'Inde est loin d'être la seule dans cette démarche. De nombreuses institutions monétaires traditionnelles, reliées à des Etats, travaillent à l’élaboration de leur propre monnaie virtuelle ou MDBC (pour «monnaie digitale de banque centrale »). Ce type de cryptomonnaies entre dans la catégorie des «stablecoins», que BPI France définit comme des actifs numériques qui répliquent la valeur faciale d’une monnaie fiduciaire (souvent le dollar) dans le but de protéger leurs porteurs des fluctuations spéculatives. Les stablecoins peuvent être créée par des entités privées, comme Facebook avec Libra. Cette cryptomonnaie annoncée en juin 2019 en partenariat avec des dizaines d'autres géants (Visa, Uber, eBay...) et désormais renommée Diem a fait face à des critiques, voire à un rejet complet, de la part de nombreux gouvernements dans le monde.

Face à ces initiatives privées, les banques centrales de nombreux pays (Canada, Suède, Uruguay...) travaillent sur le lancement de monnaies digitales publiques. Au niveau européen, la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde a évoqué à plusieurs reprises le projet d'un euro numérique, qui pourrait voir le jour d'ici 2 à 4 ans. Cet «e-euro» serait émis par la BCE (comme le sont aujourd’hui les billets de banque), s’échangerait à la parité de 1 contre 1 avec l'euro et viendrait compléter voire se substituer au cash, comme l'explique Le Figaro.

En Russie, la Banque centrale a annoncé en octobre 2020 qu'elle évaluait la possibilité de créer une version numérique du rouble. Sa présidente Elvira Nabioullina a déclaré le 18 février qu'un plan plus détaillé serait dévoilé d'ici l'été. 

Aux Etats-Unis, l'idée de la création d'une MBDC a également été évoquée, bien qu'ils ne semble pas s'agir d'une priorité. Le président de la Fed Jerome Powell avait ainsi déclaré en octobre 2019 que son pays ne «ressent[ait] pas l’envie ou le besoin d’être le premier» dans ce domaine. «Nous avons déjà l’avantage d’être les premiers car le dollar américain est la monnaie de réserve», avait-il alors expliqué, afin de justifier le fait que la création d'un «e-dollar» prendrait «des années plutôt que des mois». 

La Chine s'est quant à elle lancée dès 2014 dans la création d'une cryptomonnaie nationale – un projet qui aurait très bien avancé, selon Les Echos – tout en menaçant depuis 2018 d'interdire le bitcoin sur son territoire. Le directeur de la Banque centrale chinoise Mu Changchun a déclaré que ce stablecoin chinois devrait servir «à terme» à remplacer le yuan, permettant ainsi une surveillance accrue des utilisateurs de cette monnaie. 

Victimes de leur succès, les cryptomonnaies pionnières sont désormais à la croisée des chemins : se «normaliser» pour poursuivre une croissance à grande échelle – quitte à perdre la liberté qui a fait leur succès – ou refuser les régulations et demeurer un outil relativement marginal.

P.F.

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