Offre de rachat de Suez par Veolia : Mediapart pointe le rôle ambigu de la CFDT
Selon Mediapart, les représentants CFDT au conseil d’administration d’Engie se sont pliés à une demande de l’Elysée lors du vote sur l’offre de rachat des actions de Suez par Veolia. L’Elysée dément «formellement».
Le 6 octobre au matin, le téléphone du service de presse de la CFDT est aux abonnés absents. Au secrétariat général, on renvoie vers la fédération Chimie-Energie les journalistes qui voudraient comprendre pourquoi les deux administrateurs CFDT n’ont pas pris part au vote du conseil d’administration d’Engie du 5 octobre au soir. Une échéance particulièrement stratégique, puisque ses treize membres devaient se prononcer pour ou contre l’offre d’achat controversée des actions de Suez (que détient Engie) par son concurrent Veolia. Une offre finalement entérinée au terme de la délibération.
Mais le téléphone de la fédération Chimie-Energie, dont relèvent les activités d’Engie est bloqué sur un répondeur. Or, la défection des administrateurs CFDT lors du vote du conseil d'administration de l'énergéticien suscite naturellement des interrogations. Chez Suez, le syndicat «réformiste» a rejoint l’intersyndicale qui s’oppose de façon catégorique au projet de rachat par Veolia. Les représentants du personnel, qu’ils soient CFE-CGC, CFDT, CFTC, CGT ou FO, craignent une saignée pour l’emploi, et demandent même une commission d’enquête parlementaire.
En fin d’après-midi, le 6 octobre, une dépêche de l’AFP tombe avec l’explication du coordinateur CFDT chez Engie. Et elle prête à sourire : Si les deux administrateurs n’ont pas pris part au vote c’est parce qu'ils «n’avaient pas les éléments». Etrange. Comment ces administrateurs d’un syndicat en principe opposé à cette opération en tête de la chronique économique et sociale française depuis deux mois peuvent-ils se justifier en affirmant qu’ils n’avaient pas les moyens de se prononcer ?
A la CFDT Engie, tentatives de justification
Le délégué CFDT d’Engie souligne que l'offre de Veolia a été approuvée par sept membres du conseil d'Engie (le représentant CFE-CGC, le président du conseil et cinq administrateurs indépendants), tandis que quatre votes «contre» ont été comptabilisés (représentant CGT, représentant de l’Etat, deux administrateurs proposés par l'Etat). Une majorité de 7 voix contre 4, dans un conseil d’administration comptant treize membres. Autrement dit, un vote des deux délégués CFDT n’aurait pas changé le résultat.
Exact, sauf que si les délégués CFDT avaient voté «contre», l’administrateur CGC, qui a fait pencher la balance en faveur de l’offre d’achat – alors que sa centrale dénonçait, à l'unison de l'intersyndicale, «une perspective destructrice d’emplois et dépourvue d’un projet industriel cohérent et fédérateur» – se serait retrouvé seul représentant syndical dans le camp des partisans de l’opération...
De son côté, Mediapart affirme, dans un article intitulé «Suez-Veolia : la journée des dupes» qu’«Alexis Kohler [secrétaire général de l’Elysée] a téléphoné aux représentants de la CFDT pour leur demander de ne pas participer au vote». Ce que le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a depuis «démenti formellement», le 7 octobre.
«Mettre en scène» l'impuissance de l'Etat
Mediapart n’arrive toutefois pas à lever un mystère : «De quels arguments, de quels moyens de pression disposent le groupe et plus généralement le pouvoir pour les amener [les deux représentants CFDT au conseil d’administration d'Engie] à enfreindre les consignes de vote données expressément par Laurent Berger ?»
Le conseil d’Engie du 5 octobre s’apparente à une journée des dupes où l’Etat a tout fait pour mettre en scène sa propre impuissance, où il a semblé devoir s’incliner devant des forces adverses, alors qu’il n’a cessé de les encourager en sous-main
En revanche le media d’investigation a une explication pour la démarche illisible du gouvernement : «En coulisses, tout a été mis en œuvre pour organiser la défaite de l’Etat actionnaire. Et le conseil d’Engie du 5 octobre s’apparente à une journée des dupes où l’Etat a tout fait pour mettre en scène sa propre impuissance, où il a semblé devoir s’incliner devant des forces adverses, alors qu’il n’a cessé de les encourager en sous-main.»
«Il me semble que l’opération en question fait sens»
Il est vrai que dès le départ, le gouvernement s’est montré favorable à cette opération, le Premier ministre Jean Castex déclarant dès le 3 septembre, lors d’une conférence de presse : «Il me semble que l’opération en question fait sens.» On peut alors s’étonner que les trois administrateurs portant sa voix au conseil d’administration d’Engie aient finalement voté contre le projet.
Officiellement, c’est parce que les deux parties (Suez et Veolia) n’étaient pas parvenues à s’entendre pour que l’opération soit amicale. La veille du vote, le ministre de l’Economie et des Finances pressait encore les groupes Veolia et Suez de «reprendre leurs discussions dans les prochaines heures afin de parvenir à un accord amiable».
Il était pourtant parfaitement clair que Suez refusait totalement cette opération en martelant dans ses communiqués de presse qu’il «mettra[it] en œuvre tous les moyens à sa disposition pour préserver les intérêts de ses salariés, de ses clients, et toutes ses parties prenantes, notamment pour assurer un traitement égalitaire et juste de tous ses actionnaires, et éviter une prise de contrôle rampante ou un contrôle de fait».
Ivan Lapchine