Rachat de Suez par Véolia : élus et syndicats inquiets pour l'emploi et la concurrence
Des élus locaux de tous bords, inquiets des conséquences possibles du projet de rachat de Suez par son concurrent Véolia, demandent à être consultés par le gouvernement. Les syndicats et dirigeants de Suez, eux, sont vent debout contre ce projet.
Près de 70 élus locaux français, maires, sénateurs et présidents de collectivités territoriales, ont signé une tribune publiée sur le site du Point en début de semaine pour demander au gouvernement, en tant qu'actionnaire d'Engie, «d'organiser sans attendre le dialogue avec les collectivités locales, […] avant toute décision sur ce dossier».
Ils font référence au projet de rachat de Suez, acteur majeur de la distribution d’eau potable et du traitement des déchets en France et dans le monde, par Veolia, numéro un mondial des services aux collectivités dans les mêmes domaines. Or, Suez est détenu à 32,1% par le Groupe Engie dont l’Etat français est l’actionnaire majoritaire, avec 23,64% du capital et 34,30% des droits de vote au conseil d’administration.
Dès l’annonce de ce projet de rachat, le 30 août, le président de Véolia Antoine Frérot, a expliqué son objectif : «Construire le super champion mondial français de la transformation écologique.» Mais, pour éviter de tomber sous le coup des réglementations anti-trust, ce projet passe par la revente immédiate des activités «eau» de Suez, vraisemblablement à Meridiam, que son président et fondateur Thierry Déau présente comme un «fonds d’infrastructures».
Dans une interview accordée aux Echos, il précise cette notion en expliquant que son fonds «ne cherche pas à dégager de plus-value à tout prix [et investit] les capitaux d'institutionnels, de type assureurs-vie, voulant un revenu récurrent et stable à très long terme de l'ordre de 3 à 5 %, sur au moins 25 ans, voire 50 ans».
C'est […] la première fois qu'un opérateur du service public de l'eau serait exploité par un fonds d'investissement, sans aucune garantie de la notion même de service public
Mais dans leur tribune, les élus voient les choses différemment et soulignent que «c'est […] la première fois qu'un opérateur du service public de l'eau serait exploité par un fonds d'investissement, sans aucune garantie de la notion même de service public».
Ce que redoutent les élus, c’est que soit menacé le modèle actuel qui repose sur la rivalité de deux principaux concurrents, Veolia et Suez. Dans le contexte actuel de crise sanitaire et sociale, ils disent ainsi vouloir s’assurer que cette opération «ne se fasse pas au détriment des usagers et contribuables, des collectivités locales et de l'emploi».
«Monopole paresseux»
Or dans leur texte, ils doutent des assurances sur le maintien de l’emploi chez Suez après sa vente au fonds Meridiam «quand toutes les fusions de grands groupes industriels se sont traduites à plus ou moins court terme par de la casse sociale».
Sans se prononcer sur cette conséquence éventuelle, le rédacteur en chef de Global Water Intelligence, média de référence au niveau mondial sur le marché des services de l’eau, interviewé par La Tribune estime que «la fusion Veolia/Suez réduirait la concurrence» et que «si la France veut être le leader mondial de la transition écologique, elle a plutôt besoin de deux concurrents dynamiques, pas d'un détenteur de monopole paresseux».
Les salariés de Suez et leurs représentants, eux aussi, sont sceptiques vis-à-vis du projet de Véolia. Dès le 4 septembre, les syndicats ont appelé à un débrayage de deux heures «pour marquer leur détermination à lutter contre le projet d’OPA». Le 22, des centaines de salariés de Suez, arborant des casques de chantier griffés «#Always Suez» (Toujours Suez) ont également manifesté devant le siège d’Engie dans le quartier de la Défense près de Paris, en scandant «Adieu Clamadieu» (Jean-Pierre Clamadieu, président d'Engie) et «Veolia, ton OPA on n'en veut pas !».
«Casse sociale»
Le jour même, Jean-Marc Boursier, directeur général adjoint du groupe Suez pour la France, avait affirmé, devant quelques journalistes, en marge d'une visite du Centre international de recherche sur l'eau et l'environnement de Suez : «Evidemment que ça aboutirait à une casse sociale. On l'a chiffrée à 10 000 personnes dans le monde dont 4 à 5 000 en France.»
Mais le gouvernement est-il prêt à écouter les élus qui demandent dans leur tribune l’organisation d’«Etats généraux de l'eau, de l'assainissement et de la gestion des déchets avec tous les acteurs concernés et syndicats», ou les syndicats et dirigeants du groupe Suez opposés au rachat de leur entreprise par Véolia ? Il a pour le moment laissé entendre sans ambigüité qu’il était favorable à ce projet.
Dès le 3 septembre, lors d’une conférence de presse sur le plan de relance, le Premier ministre Jean Castex a déclaré : «Il faut que ça fasse sens, sans pour autant, et nous y veillerons étroitement, que ça puisse créer des monopoles notamment dans le secteur de l’eau et de l’assainissement […] et il me semble que l’opération en question fait sens.»
Ivan Lapchine