Pour 46 milliards de plus : EDF au bord du gouffre avec l’EPR, prêts pour un grand bond en avant ?

Pour 46 milliards de plus : EDF au bord du gouffre avec l’EPR, prêts pour un grand bond en avant ?
Piliers de transport d'électricité à haute tension près du chantier du réacteur européen à pression de réaction (EPR) à Flamanville, dans le nord-ouest de la France photographiés en mars 2018 (illustration).
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EDF évaluerait à 46 milliards d’euros le coût de construction de six réacteurs nucléaires de dernière génération dans un document interne. Cet investissement s’ajouterait aux quelque 34 milliards de dettes de l’énergéticien français.

EDF évalue à au moins 7,5 milliards d'euros le coût unitaire d'éventuels nouveaux réacteurs EPR, selon un document interne dont le quotidien Le Monde a révélé le teneur le 9 novembre. «EDF calcule que six réacteurs EPR construits par paires, financés sur une durée d'environ vingt ans, coûteraient au moins 46 milliards d'euros. Soit entre 7,5 et 7,8 milliards d'euros par réacteur», souligne le quotidien.

Ces six réacteurs correspondent à l’un des scénarios pour lequel les ministres de la Transition écologique et de l’Economie Elisabeth Borne et Bruno Le Maire ont récemment demandé une estimation à Jean-Bernard Lévy, PDG de l’électricien national. Contacté par l'AFP, EDF s'est refusé à tout commentaire, mais une source syndicale interne a confirmé les ordres de grandeur évoqués dans l’article du Monde. Elle a aussi insisté sur la réduction des coûts qu'ils représenteraient par rapport à ceux constatés actuellement en Europe, plutôt aux environ de 12 milliards d’euros par réacteur.

C’est par exemple le cas de celui que construit EDF à Flamanville, au bord de la Manche, et dont le coût annoncé était initialement de 3,3 milliards d’euros en 2006, face à des offres commerciales concurrentes alors comparables. Il devrait en outre être livré d’ici la fin 2021, soit avec près de 10 ans de retard.

«Ce n'est pas les Français qui vont payer ces retards»

Et c’est seulement après sa mise en service que le gouvernement français, qui se rapprocherait de la fin de la mandature actuelle, prendrait éventuellement la décision de construire ces six nouveaux réacteurs pour remplacer une partie du parc actuel, dont près de la moitié se rapproche de sa fin de vie.

A quelque 400 kilomètres plus au nord-ouest, EDF est aussi à la peine sur la construction de deux réacteurs de la même génération pour la centrale d’Hinkley Point, en Angleterre, dont les délais et les coûts ont également dérapé pour aboutir à une facture elle aussi proche de 12 milliards d’euros l’unité. Ces dépassements ont toutes les chances d’être à la charge d’EDF, malgré les déclarations de Bruno Le Maire, fin septembre, qui affirmait lors de la dernière réévaluation du coût du chantier d’Hinkley Point : «Ce n'est pas les Français qui vont payer ces retards».

Or les Français pourraient payer en fin de compte beaucoup plus, car l’entreprise nationale détenue à près de 84% par l’Etat est dans une situation financière préoccupante. Certes, les comptes de 2018 présentent un résultat net (part du groupe) positif de 1,2 milliard d’euros, mais le groupe reconnaît aussi un endettement financier net de 33,4 milliards d’euros. Même si ce montant n’était pas sous-estimé, il représenterait déjà près de 120% de la valeur boursière du groupe (28,22 milliards d’euros au cours de clôture du 11 novembre) dont l’action est passée de 32 euros lors de son introduction en bourse en novembre 2005 à environ 9,25 euros actuellement.

110 milliards d'euros d'investissements d'ici 2033

Mais à elle seule, la construction de ces six réacteurs serait insuffisante pour faire face au renouvellement du parc nucléaire actuel et à sa mise en conformité avec les réglementations de sécurité renforcées, notamment depuis Fukushima. En 2014 déjà la Cour des comptes évaluait ces investissements à 110 milliards d’ici 2033.  

En outre, l’électricien public est structurellement pénalisé par des règles visant à faire émerger un secteur concurrentiel en France. Dans une interview accordée au Monde à la mi-octobre, le PDG d'EDF Jean-Bernard Lévy avançait que ce système mis en place «pour faire émerger des concurrents et pénaliser EDF [avait] atteint un niveau de pénalisation qui se retourne contre le contribuable, contraint de renflouer EDF». 

EDF doit, en effet, livrer à ses concurrents des mégawatheures à un prix d’environ 40 euros alors que le dernier rapport de la Cour des comptes estime que le coût de production réel du mégawattheure se situe au-dessus de 54 euros.

Vers la fin du kilowattheure bon marché

Surtout, le nucléaire, qui a longtemps eu la réputation de fournir aux Français un kilowattheure bon marché, est maintenant regardé comme une énergie chère. Au point que dans l’édition du 10 novembre de l’Emission politique de France Inter, France Télévisions et Le Monde, la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne a annoncé qu’elle demanderait aussi à EDF de «réfléchir» à son rôle au cas où un scénario «100% énergies renouvelables» serait retenu à terme pour la fourniture d'électricité en France, au dépens de nouvelles centrales nucléaires.

Or, en juin 2019, un consortium emmené par EDF Energies Nouvelles, allié à l’allemand Innogy et au canadien Enbridge, a été retenu pour la construction d’un champ éolien en mer, à 10 kilomètres au large de Cherbourg, composé de 45 machines d’une puissance totale de près de 600 MW. Il est prévu pour une entrée en service en 2026, et pour un coût de production du mégawattheure annoncé à 50 euros (contre 54 actuellement pour le nucléaire selon les calculs de la Cour des comptes).

L’électricien public français se retrouve donc aujourd’hui dans la situation peu enviable d’une entreprise industrielle surendettée dont les choix stratégiques sont soumis aux aléas de la politique. Il est de surcroît largement lié à une technologie à la fois potentiellement dangereuse et de moins en moins performante économiquement, tout en ayant l’obligation de vendre à perte à ses concurrents, tandis que les investisseurs privés lui ont massivement retiré leur confiance.

Nationalisation des pertes et privatisation des bénéfices

Pour faire face à cette situation, le gouvernement envisage une réorganisation d’EDF, qui devrait être fidèle au principe consistant à nationaliser les pertes et privatiser les bénéfices. Le projet, qui prend la poussière dans les cartons du PDG d'EDF sous le nom de code d'Hercule, consisterait en effet à créer deux entités. L’une resterait à la charge de la collectivité et regrouperait la production d’énergie nucléaire et hydraulique, avec tout le passif des dettes et investissements, tandis que l’autre, promise à la privatisation, regrouperait la commercialisation d’électricité aux particuliers et la production d’énergies renouvelables, en bénéficiant des avantages fiscaux d’une politique de transition énergétique.

Lire aussi : Elisabeth Borne s'en prend au PDG d'EDF, accusé de vouloir fixer la politique énergétique du pays

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