A tombeau ouvert : dans quel état les économies du G7 abordent-elles le sommet de Biarritz ?
Le G7 n’est plus un club de puissances capables d’orienter l’activité économique mondiale. Et surtout, ses membres abordent la rencontre de Biarritz en ordre dispersé, avec des économies en plus ou moins bonne forme et des objectifs divergents.
Donald Trump, le président des Etats-Unis, arrive à la tête d’une économie qui roule à tombeau ouvert. Chômage historiquement bas, croissance nettement supérieure à celle de ses partenaires au sein du G7 (voir tableau), le dynamisme de l’économie américaine doit beaucoup à un endettement exponentiel. Dans un article récent intitulé «Le FMI s'alarme de la politique budgétaire des Etats-Unis» le quotidien Les Echos souligne que «parmi les pays industrialisés, les Etats-Unis sont les seuls qui verront un accroissement de leur endettement public d'ici à cinq ans».
Récemment un club d’économistes américains à même prédit une récession d’ici deux ans. Mais le président des Etats-Unis a d’autres échéances : sa réélection (ou pas) à la présidence des Etats-Unis en 2020, et pour laquelle il est déjà entré en campagne. A ce titre, la période hivernale sera cruciale, mais Donald Trump a pris ses précautions en signant avec le Congrès, au début du mois d’août, un accord portant le déficit budgétaire pour 2020 (dont l’année fiscale commence en octobre 2019) à 1 000 milliards de dollars. C’est plus de 5% du PIB ! Mais cela devrait permettre au 45e président des Etats-Unis d’éviter de se retrouver en situation de shutdown, c’est-à-dire de fermeture partielle des administrations sans versement de salaire aux fonctionnaires concernés, avec des effet potentiellement désastreux du point de vue électoral.
Sur le front de la guerre commerciale avec la Chine (non membre du G7) le président des Etats-Unis n’a aucune bonne nouvelle à annoncer, en dépit des déclarations tonitruantes et triomphales qui animent son compte twitter personnel. Il n’a, pour le moment, réussi qu’à provoquer un ralentissement de l’économie mondiale dont ses alliés sont les premiers à souffrir. Quant aux discrètes négociations en cours avec l’Union européenne (UE) pour parvenir à un accord commercial qui favoriserait les exportations américaines, elles sont au point mort. Les négociateurs européens n’ont en effet pas la latitude d’y inclure l’agriculture alors que c’est une des priorités de l’actuelle administration américaine.
Médiocrité heureuse
Le Japon, deuxième économie du G7 est un cas d’école : atteint par le vieillissement de sa population dont il a décidé d’assumer le coût social, c’est le pays le plus endetté au monde et de très loin, avec un ratio dette publique-PIB qui se rapproche de celui que connaissait le pays en 1944. Mais en temps de paix, le Japon arrive à se le permettre, en partie parce que sa dette est presque intégralement détenue par des nationaux. Ainsi, le Trésor public du Japon émet des obligations à taux d’intérêt négatifs. C’est-à-dire que l’Etat rembourse à ses créanciers moins que ce qu’il leur a emprunté. Une situation bien plus avantageuse que celle des Etats-Unis pourtant plus de deux fois moins endettés. Ainsi, le pays du Soleil-Levant continue-t-il de vivoter dans une médiocrité heureuse avec une croissance molle, une inflation dangereusement proche de 0%, mais le taux de chômage le plus bas du G7.
Il est toutefois particulièrement exposé aux effets négatifs de la guerre commerciale entre deux de ses principaux clients, la Chine et les Etats-Unis. En outre, l’inoxydable Shinzo Abe, Premier ministre par intermittence depuis 2006, se voit contraint de résoudre un conflit supplémentaire aux conséquences économiques également néfastes avec un autre de ses partenaires régionaux, la Corée du Sud. Séoul continue d’exiger de nouvelles réparations au titre de la Seconde Guerre mondiale. Mais le chef du gouvernement japonais peut espérer à terme des retombées bénéfiques de l’accord commercial de libre-échange signé avec l’Union européenne le 17 juillet dernier.
A bout de souffle
Longtemps élève modèle de l’Union européenne, l’Allemagne montre de très nets signes d’essoufflement. Certes, les finances publiques sont saines avec une dette contenue aux environs de 60% du PIB, alors qu'elle frôle les 100% en France et dépasse 132% en Italie. Le chômage est également bas, mais le pays est entré en récession au second trimestre, plombé par la chute de ses exportations industrielles. Et les perspectives ne sont pas bonnes. Accro aux débouchés du marché américain, Berlin pourrait se retrouver dans une position fâcheuse si Donald Trump mettait à exécution sa menace de taxer les berlines allemandes. Le pays est également sous-pression des Etats-Unis en raison de sa dépendance au gaz russe régulièrement dénoncée par Donald Trump. Ce dernier demande inlassablement à l’Allemagne de s’équiper à ses frais de terminaux de liquéfaction de gaz, afin d’en importer à un tarif plus élevé que celui du gaz russe depuis les Etats-Unis. Ces derniers qui payent pour «protéger l'Allemagne de la Russie», selon les propos de Donald Trump, ont beaucoup investi ces dernières années pour tenter de ravir à Gazprom sa rente gazière en Europe.
#Paris et #Téhéran vont discuter avant le #G7 pour tenter de sauvegarder l'accord sur le nucléaire
— RT France (@RTenfrancais) 22 août 2019
➡️ https://t.co/OHRTKc6IArpic.twitter.com/3ztgzbE2rA
Grâce au mouvement des Gilets jaunes, et aux mesures en faveur du pouvoir d’achat auxquelles le gouvernement a été acculé fin 2018, la France résiste mieux que son partenaire d’outre-rhin au ralentissement économique mondial. Soutenue par la consommation intérieure, la croissance sera plus dynamique – ou plutôt moins faible – en France qu’en Allemagne en 2019. Une première depuis plus de dix ans. La baisse généralisée des taux d’intérêt permet aussi à Paris de financer son endettement à moindre coup et d’éviter pour le moment de franchir le cap psychologique d’une dette représentant 100% du PIB.
Les Gilets jaunes sauvent la croissance française
L’horizon n’est pourtant pas dégagé. Les prévisions de croissance en 2019 qui étaient de 1,7% au moment où a été bâti le budget ont été depuis abaissées à 1,2%, et une nouvelle correction n’est pas à exclure. Mais surtout, l’économie française pourrait être sérieusement touchée en cas de Brexit sans accord, ce qui explique peut-être l’apparent rapprochement du président français Emmanuel Macron avec Boris Jonhson, l’actuel Premier ministre britannique. Enfin, en faisant cavalier seul sur la taxation des GAFA, Paris est entré dans l’œil du viseur de l’administration américaine qui y voit une mesure de discrimination contre ses champions de l’économie numérique. Donald Trump, sans surprise, a de nouveau menacé de sanctions commerciales les exportations françaises de vin aux Etats-Unis.
Un Brexit sinon rien
Pour le Premier-ministre du Royaume-Uni, la rencontre de Biarritz est incontestablement et avant tout un G7 du Brexit. Sauf ultime coup de théâtre toujours possible, Boris Jonhson n’a plus que deux mois pour éviter une sortie de l’Union européenne (UE) sans accord qui aurait des conséquences fâcheuses pour le puissant secteur financier logé à la City. La Banque d’Angleterre a d’ores et déjà prévu, en cas de No deal, la chute d’un symbole, celui de la livre sterling, à un niveau proche de la parité avec la monnaie unique, alors que la livre valait près d’1,5 euro avant la crise financière de 2008-2009. Ce serait une humiliation presqu’aussi grande que celle que pourrait avaler le locataire du 10, Downing street, s’il accepte finalement les conditions posées par l’UE : le fameux «filet de sécurité» (ou backstop en bruxellois contemporain) qui revient presque à une perte de souveraineté sur son territoire au nord de l’Ile d’Irlande.
En attendant, la croissance au Royaume-Uni, jadis nettement plus dynamique que la moyenne de la zone euro, se maintient avec difficulté au niveau de la France, et il en va de même pour son déficit commercial.
Rome année zéro
L’Italie, 3e économie de la zone euro, aborde la rencontre de Biarritz en pleine incertitude politique, avec en ligne de mire des élections parlementaires anticipées qui pourraient changer radicalement la composition du gouvernement. Rome qui a bataillé avec succès – mais en faisant des compromis – pour imposer à Bruxelles un budget de relance, est confronté à un taux de chômage qui reste élevé et à une perspective de croissance nulle pour l’année en cours.
Son alliance avec la Chine par le biais de sa participation aux projets des Routes de la Soie constitue-t-elle un atout pour relancer son activité et soutenir l’emploi via des investissements dans ses infrastructures ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais 100% des gagnants ont tenté leur chance. Et pour le moment, ce n’est pas du côté de Francfort qu’il faut attendre de véritable programme de relance digne d’un new deal et dont l’économie transalpine aurait besoin.
«Small is beautiful»
«Small is beautiful», doit se dire Justin Trudeau, dirigeant de la plus petite économie du G7. En effet, le Canada affiche, à première vue, la situation la plus saine du club. Il est avec le Royaume-Uni le seul pays à maintenir une inflation égale ou supérieure à 2% écartant ainsi le spectre d’une déflation qui menace les autres économies. Quant à son endettement, il a réussi à le maintenir aux environs de 30% de PIB, deux fois moins que l'Allemagne !
Selon les projections de l’OCDE, la croissance devrait se redresser pour atteindre un taux annualisé de 2 % environ au second semestre de 2019, et se maintenir au moins à ce rythme en 2020. Le Canada pourrait ainsi se retrouver en tête du G7 en 2020 pour la croissance, ex-æquo avec les Etats-Unis. Le taux de chômage, quant à lui, devrait durablement rester proche de son plus bas historique.
Les exportations qui bénéficient déjà de l’entrée en vigueur partielle du CETA, accord de libre-échange avec l’UE, devraient encore gagner en vigueur grâce à un assouplissement des obligations de réduction de production imposées au secteur pétrolier. Enfin, le déficit budgétaire restant modeste, le ratio dette-PIB devrait poursuivre son lent repli. Une ombre au tableau toutefois : allié obligé des Etats-Unis le Canada s'est retrouvé bien malgré lui impliqué dans les manœuvres américaines contre le géant chinois de la téléphonie mobile Huawei, ce qui lui a coûté un important débouché pour son agriculture.
Jean-François Guélain